Un roman court, extrêmement bien construit, au rythme intense, à la lecture douloureuse et attachante.
En refermant ce livre, je me suis dit qu'il était magistral, un tour de force extraordinaire, avec si peu de mots, Toni Morrison avait réussi à m'embarquer dans l'Amérique raciste et violente des années 50. J'ai suivi le parcours dément et bouleversant de Franck Money vers la rédemption, la reconquête de soi, j'ai assisté, impuissante, l'estomac noué, aux violences politiques, institutionnelles, raciales, celles perpétrés en temps de Guerre (ici celle de Corée), celles faites aux femmes «Les époux qui avaient été agressés chuchotèrent entre eux ; elle, d’une voix douce, suppliante ; lui, avec insistance. Quand ils rentreront chez eux, il va la battre, se dit Franck. Et qui ne le ferait pas ? Être humilié en public, c’était une chose. Un homme pouvait s’en remettre. Ce qui était intolérable, c’était qu’une femme avait été témoin, sa femme, qui non seulement avait vu, mais avais osé tenter de lui porter secours ! Il n’avait pas pu se protéger et n’avait pas pu la protéger non plus, comme le prouvait la pierre qu’elle avait reçue au visage. Il faudrait qu’elle paye pour ce nez cassé. Encore et toujours.».
Je me suis attachée à l'histoire d'amour fraternelle entre Franck et sa soeur Cee «Ils se disputaient, se battaient, riaient, raillaient et s'aimaient sans jamais avoir à se le dire.», leur complicité est touchante, et ce chemin chaotique, hanté par les images atroces de cette guerre, torturé par la culpabilité, qu'entreprend Franck pour délivrer sa soeur de l'enfer des pièges de la vie et l'aider à retrouver sa dignité, force l'admiration.
Ce roman est une boucle; il s'achève sur un événement par lequel Home avait commencé. Franck et Cee vont donner une sépulture décente à ce cadavre, dont ils avaient vu le corps jeté dans une fosse. L'image finale forte, la boucle est bouclée, l'accès à la liberté est envisageable, les erreurs expiées. «Quand elle a vu ce pied noir, avec sa plante rose crème striée de boue, enfoui à grands coups de pelle dans la tombe, elle s'est mise à trembler de tout son corps. Je l'ai prise par les épaules en la serrant très fort et j'ai essayé d'attirer son tremblement dans mes os parce que, en tant que grand frère âgé de quatre ans de plus qu'elle, je pensais pouvoir y arriver. Les hommes étaient partis depuis longtemps et la lune était un cantaloup au moment où on s'est sentis suffisamment en sécurité pour déranger ne serait-ce qu'un brin d'herbe et repartir à plat ventre, en cherchant le passage creusé sous la clôture. Quand on est rentrés chez nous, on s'attendait à prendre une raclée ou du moins à se faire gronder pour être restés si tard dehors, mais les adultes ne nous ont pas remarqués. Leur attention était accaparée par des troubles.»
L'écriture de Toni Morrison est percutante, belle et limpide, elle nous livre un roman empreint autant de cruauté et d'amertume que de poésie.
J'ai lu ce roman la semaine dernière, et je suis toujours aussi convaincue qu'il est magistral, et que je ne suis pas prête de l'oublier. Et c'est bien tout ce que j'attends de mes lectures, qu'elles m'accompagnent longtemps encore et encore ... Cette lecture est donc clairement une réussite !
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