Citations de Ursula K. Le Guin (1110)
TOMBER
Compagnon
Une patte et un museau qui fouille me réveillent à demi,
et je le laisse se glisser sous les couvertures.
Il se met en boule et s’endort en ronronnant.
Les chats sont moins encombrants que les amants.
LE PETIT PILON INDIEN DE LA MAISON À APPLEGATE
Dense, lourd, le grain fin, basalte sombre,
poli de toute part comme par une rivière, un cylindre
aux bords contondants, un outil : tu le devines lorsque
tu sens l’arrondi subtil, le creux,
qui épouse la main, par les mains formé
qui l’ont tenu ici, juste à cet endroit,
pour qu’il tombe de lui-même dans le bol,
écrase les graines, s’élève et retombe
au rythme du chant sourd et doux
qui a fini par s’incruster dans la pierre,
si bien qu’il m’a dit, quand je l’ai saisi, comment
le tenir et le manier, comment poser mes doigts où
d’autres doigts l’ont usé doucement, lui ont donné
cette forme qui épouse et emplit ma main,
ce poids qui veut tomber et, en tombant, chanter.
To light a candle is to cast a shadow...
But need alone is not enough to set power free; there must be knowledge.
— Comme elle change ! s'exclama-t-elle. Je n'arrive pas à suivre le rythme. Je suis trop vieille pour élever un enfant. Et elle... elle m'obéit, mais uniquement parce qu'elle en a envie.
— C'est là l'unique justification de l'obéissance, observa Ged.
("Tehanu")
Pas d’attentats sexuels, pas de viols. Comme chez la plupart des mammifères à l’exception de l’homme, il ne peut y avoir copulation que sur invitation et par consentement mutuel ; autrement le coït est irréalisable. Naturellement la séduction est possible, à condition de choisir juste le bon moment.
Pas de division de l’humanité en forts et faibles, protecteurs et protégées, êtres dominateurs et créatures soumises, maîtres et esclaves, éléments actifs et passifs. Toute cette tendance au dualisme qui imprègne la pensée humaine peut se trouver atténuée ou modifiée sur Nivôse.
Non, je ne parle pas d'amour quand je dis "patriotisme", je parle de peur. La peur d'autrui (...): haine, rivalité, agression.
— Alors, à quoi sais-tu qu'un homme n'est pas un sorcier ?
— Il n'est pas là, répondit Mousse. Il n'est pas là, ma toute belle. Le pouvoir. Écoute donc. Si j'ai une tête avec des yeux, je peux voir que tu as des yeux, n'est-ce pas ? Et si tu es aveugle, je le verrai aussi. Et si tu n'as qu'un œil, comme la petite, ou si tu en as trois, je les verrai, pas vrai ? Mais si je n'ai pas d’œil pour voir, tant que tu ne me l'auras pas dit, je ne saurai pas si tu en as. Mais j'ai des yeux. Je vois, je sais. Le troisième œil !
'- Pourquoi, à votre avis, votre mère n'avait-elle pas remarqué que la réalité avait changé depuis cette nuit-là ?
- Eh bien, elle ne l'avait pas rêvé. Je veux dire, le rêve avait vraiment changé la réalité. Il avait créé une réalité différente, rétroactivement, dont elle avait toujours fait partie. Étant dans cette réalité, elle n'avait souvenir d'aucune autre. Moi si ; je me souvenais des deux parce que j'étais... là... au moment du changement. C'est la seule façon de l'expliquer ; je sais que cela paraît insensé. Mais je dois trouver une explication, ou bien me rendre compte que je suis fou.' (p. 21)
Ce soir nous nous retrouvons dans la moraine, ce désert rocheux, ce chaos de cailloux amoncelés, de blocs erratiques, d’argile et de boue. Un bras du glacier s’est retiré de ce versant au cours du dernier siècle ou demi-siècle, mettant à nu le squelette de la planète, ses os décharnés où ne pousse aucun brin d’herbe.
Derrière la vitrine de la boutique, l'Etranger les regarda s'éloigner, pareil à une créature marine qui observait depuis un aquarium ; il les vit passer, puis disparaître dans la brume.
(Excipit)
Il regardait le monde incompris par l'esprit : le mauvais rêve.
" Il n'est pas debout là, pensa Orr ; pas comme je serais moi-même debout, ou assis, ou allongé. Il est debout comme moi dans un rêve, je serais debout. Il est là dans le sens où, dans un rêve, quelqu'un est quelque part. "
Le vide dans l'esprit de Haber, le cauchemar effectif qui avait irradié du cerveau qui rêvait, avaient défait des relations. La continuité qui avait toujours été maintenue entre les mondes ou les lignes temporelles des rêves d'Orr avait maintenant été rompue. Le chaos y avait pénétré.
Il pénétra dans l'œil du cauchemar.
Il ne paraissait pas connaître l'usage du silence.
Dans son sommeil, George vit les profondeurs de la pleine mer.
Il savait que, dans la mesure où quelqu'un renie ce qui est, il lit dans ce qui n'est pas : les contraintes, les rêveries, les erreurs qui accourent pour combler le vide.
J’éveillais en eux un degré variable de curiosité. Rares étaient ceux à qui ma personne faisait peur, ou chez qui elle provoquait un réflexe xénophobe. L’étranger n’est pas un ennemi en Karhaïde, on ne le voit pas comme un envahisseur, mais comme un invité. C’est votre voisin qui est l’ennemi.
Il n'existe qu'une seule créature capable de faire cela.
- Un homme?
- Nous, les hommes.
- Comment cela?
- Par un désir démesuré de la vie.
- De vie? Mais ce n'est pas un mal que de vouloir vivre?
- Non. Mais lorsque nous désirons acquérir du pouvoir sur la vie - une fortune inépuisable, l'invincibilité, l'immortalité -, alors ce désir devient de la cupidité. Et si la connaissance s'allie à cette cupidité alors survient le mal.
(Tome 3 - L'ultime rivage)