Citations de Valérie Zenatti (419)
J'ai senti que je contenais en moi des milliers de possibles, tels des points lumineux. Je ne pouvais pas les nommer, dire de quoi ils étaient faits mais ils étaient là, flottant dans le bonheur et la douleur d'exister, d'avoir les yeux ouverts, de lever la tête vers le ciel, marcher vers la mer, et se sentir vivante.
Et lorsque le voisin raconte que son fils est tombé, lui demander s'il ne s'est pas fait mal.
P72 « Dire les choses avant qu’elles existent, c’est peut être laisser échapper le souffle qui dérange l’ordre du destin. »
« Ecoute-moi, je suis très sérieuse, ai-je repris. Dans ce paquet il y a une bouteille.
J’aimerais que tu la jettes dans la mer, à Gaza.
Le sourire disparu de son visage.
-Tal tu es folle ? Je n’ai pas le droit de jeter n’importe quoi, n’importe où, surtout là bas ! Si quelqu'un me voit, il risque d’y avoir une enquête on m’arrêtera peut être … »
A l 'étage, Madeleine s' affaire , aidée des petites, elle débarrasse la table qu'ils pousseront bientôt pour dérouler les matelas des filles, celui de Jacob et celui qu'elle partage avec Abraham. Les hommes fument en sirotant l'alcool de prune dans des verres minuscules, Camille est fascinée par les reflets dansant entre le cristal et le liquide transparent, on croirait du feu dans l'eau, elle voudrait le dire à Jacob, il lui expliquerait peut - être comment c' est possible, mais la voix forte de Haïm interdit toute tentative de parole, il ouvre une bouteille de vin en plus de la prune, échange avec ses fils des propos sur l'expérience que le benjamin s' apprête à vivre.L 'armée, elle transforme les poules mouillées en lions, Dit-il en pressant l'épaule de Jacob dans sa large main, les enfants en hommes, ajoute -t-il en ponctuant sa phrase d'une deuxième pression , on y apprend la vie , conclut Abraham, les yeux voilés de regret.Dans ces phrases, il y a l'écho de celles prononcées quand Isaac est parti faire son service, quand Allfred l'a suivi, les deux frères placés entre Abraham et Jacob en sont revenus tels qu 'ils avaient toujours été, ni plus courageux ni moins menteurs, ni plus généreux ni moins vantard, un peu plus velus peut - être , la barbe plus fournie parce qu'ils avaient été obligés de se raser tout les jours.
Le ciel est d’un bleu époustouflant, la neige scintille en réponse, le commandant chuchote, ici, on fait du bon vin, quand on aura libéré Thann, je vous conseille d’y goûter, même ceux pour qui c’est interdit par la religion, je suis sûr qu’Allah fait une exception pour les vins d’Alsace.
Jacob lit crémerie, boucherie, boulangerie, c’est sa langue, les mêmes écriteaux que chez lui, finalement, c’est peut-être la France qui ressemble à l’Algérie, et pas l’inverse.
Je suis restée prostrée plusieurs jours après l'enterrement, puis j'ai bondi, je suis partie à la chasse aux couleurs, aux ombres et aux lumières avec une exaltation farouche.
Je ne quittais plus mon Leica, je ne regardais plus autour de moi qu'à travers l'objectif et la douleur a reflué, ou s'est concentrée en un point minuscule derrière ma pupille.
(p. 46–47, de l'édition de poche )
Depuis trois ans,nous avons eu à Jérusalem un nombre incalculable d'attentats. Parfois tous les jours,ou même deux fois par jour,on n'arrivait plus du tous à suivre les enterrements à la télé et à pleurer avec les familles,il y en avait trop.
Les gens disent qu'ils s'habituent . Moi pas.
J'ai grandi dans l'idée qu'entre les Palestiniens et nous il pouvait y avoir autre chose que des corps déchiquetés ,du sang et de la haine.
...comment les autres font-ils pour dormir. Lui n'y arrive pas, malgré l'entraînement qui fait exploser sa poitrine trop pleine d'un air brûlant qu'elle ne parvient pas à réguler, déchire ses muscles , rétifs à la perspective de se tendre encore, en se tendant quand même, et les humiliations du sergent-chef qui a l'air de n'avoir jamais été un enfant, ou alors un enfant cruel, de n'avoir jamais eu dix-huit ans mais toujours trente, il dit courez, il dit à terre, il dit grimpez, il dit tirez, il dit debout, il dit mous comme vous êtes, vous n'allez pas tenir, bêtes comme vous êtes vous allez tous mourir, c'est son vocabulaire, personne ne l'a jamais entendu articuler merci, peut-être, bonne nuit, dire qu'il y a des mots qu'un homme peut ne pas prononcer de toute une vie.
Il ne crie pas, fixe un point dans le noir de la cave, ses yeux sont des balles et le point, son grand-père.
Quel magnifique roman ! Les âmes sœurs de Valérie Zenatti est une photographie de la vie de chacune de nous, femme, mère, épouse. Des mots justes, de cette justesse d'une photographie noire et blanc qui ne triche pas parce qu'elle nuance en une palette de tons toute simple. Un roman qui se lit vite, trop vite... on aimerait tant passer encore un peu de ce temps entre parenthèses avec Emmanuelle, avec Lila, dans le cocon de l'écriture de Valérie Zenatti.
La terre s'est ouverte sous elle, dévoilant les chemins qui lui manquent cruellement, depuis qu'elle a cru qu'il était sage de renoncer aux rêves.
(...) pourquoi Jacob n'était pas rentré, la protection n'était peut-être pas efficace en dehors de la maison, sur une terre lointaine et froide, dans un lieu où l'on ne croyait pas en Dieu de la même manière, et Rachel, qui fixait aussi les marques, se balançait doucement en se maudissant d'avoir donné le prénom d'un enfant mort à Jacob, ça avait été une erreur de défier ainsi le choix de Dieu, et elle pensait, si il avait été fragile comme Abraham, ils n'auraient pas voulu de lui à l'armée et il serait encore là, s'il n'avait pas été vigoureux, il serait resté dans un bureau à remplir des papiers et il serait encore là, si le fou allemand n'avait pas décidé de faire la guerre en Europe, il serait encore là, s'il avait été moins beau et n'avait pas attiré le mauvais oeil de tous ceux qui le croisaient, il serait encore là, et si j'avais pu l'embrasser une dernière fois, cela m'aurait suffi, et si je n'avais pas pu l'embrasser mais si j'avais pu le voir de loin, cela m'aurait suffi, et si je n'avais pas pu l'embrasser ni le voir de loin ni entendre sa voix mais que je l'avais simplement vu mort, cela m'aurait suffi, et si je ne l'avais pas vu mort mais qu'on m'avait apporté ses derniers vêtements imprégnés de son odeur et de son sang, cela m'aurait suffi, mais il n'y avait rien eu à part l'annonce (...).
Ce sont des jours de ténèbres, de tristesse et d’horreur. La peur est revenue.
C'est ainsi que mon père parle. C'est ainsi qu'il est un merveilleux poète, un conteur avec lequel je peux marcher pendant des heures en voyagent dans le temps
Jacob était fait de ces mots transmis de génération en génération, prières, bénédictions, exclamations, il était fait aussi des silences si nombreux autour de l’amour, de la mort.
Rachel qui ne sentait plus la force d’aimer personne, d’aimer la vie s’il fallait connaitre l’arrachement, à quoi ça lui servirait de vieillir si ça lui signifiait de s’éloigner de Jacob….
On ne peut pas vivre indéfiniment en disant, après, plus tard, un jour.
Ainsi elle n'avait pas connu le coup de foudre en amour, mais en amitié, oui.