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Citations de Valérie Zenatti (413)


Il pense, mais les abeilles n'ont pas de voix, elles ne parlent pas, c'est le frottement de leurs ailes qui produit ce son, et celui-ci le ramène dans les gorges du Rhumel, il y a quelques mois, il y a mille ans, il entend le fleuve couler, ôte son casque, se laisse glisser à terre comme les autres à l'ombre d'un arbre, ferme les yeux. Il s'est isolé dans une vision qui n'appartient qu'à lui seul pour nager, sentir le soleil sur sa peau, rêver en levant les yeux vers le pont suspendu qui se détache sur le ciel. Il enfouit sa tête dans le creux de son bras replié, l'abeille effleure sa joue, s'installe sur son front, qu'elle explore quelques secondes, le contact de ses pattes minuscules fait frissonner Jacob, caresse-moi le front, caresse encore, mais l'abeille rebutée par la sueur qui s'écoule en filets scintillants sur les tempes du jeune homme, prend brusquement son envol.
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La pensée de ses parents, le père mort, la mère à des centaines de kilomètres, lui serre la gorge, dans une crispation devenue familière depuis dix ans, elle appelle ça le "ouahch", elle ne connaît pas de mot en français pour dire la tristesse liée au manque.
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Il aurait préféré être battu par son grand père plutôt que d être pris dans ce regard lui ôtant de manière inexplicable toute envie, dévastant son petit corps d enfant ligoté par un amour qui ne lui était pas adressé.
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Il a pris place en face d'elle, a desserré son poing pour tenir entre le pouce et l'index la plaque d'immatriculation d'Attali, il a parlé, il parle, un camarade est mort aujourd'hui, un autre il y a quinze jours, je n'ai pas compté les morts que j'ai vus depuis qu'on a débarqué, est-ce qu'ils sont des dizaines, des centaines, je me suis dit chaque fois, tu ne le connais pas, tu ne sais rien de lui, tu ne connais pas sa voix, ne sais pas où il est né, ce qu'il aimait, ce qui l'effrayait enfant, ce qu'il voulait faire après la guerre, c'est comme s'il n'avait pas existé. On pouvait continuer d'avancer parce qu'on était ensemble, Attali, Ouabedssalam, Bonnin et moi, depuis le 22 juin, on était devenu une famille, alors la mort de Bonnin, la mort d'Attali, c'est pas comme les autres, c'est comme si un cousin ou un frère était tombé, comme si une partie de nous s'était arrêtée de vivre
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Jacob était fait de ces mots transmis de génération en génération, prières, bénédictions, exclamations, il était fait aussi de silences si nombreux autour de l'amour, de la mort, et il était curieux qu'il ait rencontré les deux à des milliers de kilomètres de là où il était né, détaché des siens, défenseur d'une Europe qui avait tué ou laissé mourir ses juifs mais qui l'avait bien voulu, lui, pour la délivrer, alors que trois ans avant son incorporation on ne l'avait plus jugé suffisamment français pour l'autoriser à franchir les portes du lycée d'Aumale.
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"je n'ai pas compté les morts que j'ai vus depuis qu'on a débarqués, est-ce qu'ils sont des dizaines, des centaines, je me suis dit chaque fois, tu ne les connais pas, tu ne sais rien de lui, tu ne connais pas sa voix, ne sait pas où il est né, ce qu'il aimait, ce qui l'effrayait enfant, ce qu'il voulait faire après la guerre, c'est comme s'il n'avait pas existé."
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Je voudrai mettre le silence à fond, mais comment fait-on ?
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J'accepte de me laisser porter par le temps et les contretemps
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Je voudrais mettre le silence à fond, mais comment fait-on?
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Et j'en ai ras-le-bol aussi que tu m'envoies toujours à la figure le fait que nous sommes responsables de tous vos malheurs !
Tu sais bien que mes parents, moi, toute ma famille, on a toujours milité pour que vous ayez un Etat, pour que la paix ne soit pas uniquement un mot dans les chansons, les dictionnaires et les discours, mais aussi une réalité.
Alors, tu ne peux pas me soupçonner d'être contre toi, contre ton peuple.

Et puis, il y a une question que tu ne te poses jamais : ils sont où, vos militants pacifistes ? Pourquoi il n'y a jamais cent mille Palestiniens rassemblés pour réclamer la paix avec nous, sans haine dans les yeux ? Pourquoi l'Intifada a-t-elle éclaté il y a trois ans, alors que nous, les Israéliens, nous étions prêts à vous donner un Etat ? Comment acceptez-vous que des terroristes tuent des femmes, des enfants, des bébés ? (Je sais, tu vas me dire que notre armée fait la même chose, mais chez nous, il y a des gens qui protestent !) Pourquoi personne, chez vous, ne se rebelle jamais contre ça ou n'empêche ça ?

Tu sais ce que mon père a dit un jour ? "Je comprends la lutte armée contre les soldats, et même je l'accepte. Mais pas les attentats contre des civils."
Et il a son fils aîné à Gaza, mon père, il sait qu'on peut lui annoncer sa mort d'un instant à l'autre !
Est-ce que tu penses, parfois, que nous non plus ne vivons pas une situation normale ?
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J'en ai marre des profs qui pensent que les filles bavardes sont des commères, et les garçons bavards, simplement des mecs qui ont besoin de se défouler un peu.
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c’était donc sa vie, la vie : un regard écrasé par l’obscurité et traversé par la lumière ; le sentiment d’être relié à ce qu’on ne peut pas toucher mais que l’on voit, que l’on ressent
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« Veille à ce que le Bluetooth de ton portable soit toujours désactivé ». Elle s’est fait une réflexion, sur le moment : ma grand-mère n’aurait pas compris cette phrase sortie d’un monde peuplé d’étoiles et de dièses destinés à soumettre les clients, abonnés et consommateurs à une force implacable. Pour tourner en rond tapez 1 suivie d’étoile. Si vous voulez vous suicidez, tapez 3 suivi de dièse ? Nous n’avons pas compris votre réponse. Veuillez réessayez. Sinon tapez 0 pour revenir au sommaire.

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...un livre qui ne me quitte plus et que je garde en moi, car certains livres ,comme certains êtres, sont si intimes qu'il faut conserver précieusement leur nom à l'intérieur de soi...

P123
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J'avance jusqu'aux plaques de verre incrustées dans le sol, environ deux mètres me séparent des pierres que je fixe sous mes pieds. Ici marchèrent peut-être Vespasien, Titus, Agrippa, Josèphe et Bérénice, ici Bérénice fit peut-être l'amour avec Titus pendant que Jérusalem tombait.
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Oui, oui,il faut danser, concluait mon grand-père , les gens qui ne dansent pas sont tristes comme des mouchoirs à fendre l'âme.
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- Mesdames, messieurs, soldates ! (...) Je vous demande de ne pas prolonger les adieux, c'est très mauvais pour la santé et...ça ne vous fera pas maigrir pour autant.
- Ha, ha, ha, ricane Yula, méprisante.
- Je voudrais réagir comme elle, et le traiter tout haut de pauvre con. Mais je suis pétrifiée à l'idée qu'il est le premier idiot en uniforme que je croise sur ma longue route, et sûrement pas le dernier.
( p 67)
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Jérusalem, 9 septembre 2003

Maman venait de me répéter pour la troisième fois d'aller me coucher, parce que je commence tôt demain. Et puis les vitres ont tremblé, le coeur a fait un bond dans la poitrine, j'ai cru qu'il était monté dans ma gorge. Ce n'est qu'une seconde après que j'ai réalisé : une explosion venait de se produire tout près de chez nous.
Une explosion, c'est forcément un attentat.
Mon grand frère Eytan, qui est infirmier militaire, est aussitôt sorti avec sa trousse de secours. Papa a hésité un instant, puis il l'a suivi.
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Jacob n'avait jamais envisagé de tuer, la mort, pendant longtemps, a eu pour lui l'aspect terrifiant des poulets que l'on faisait tournoyer au-dessus des têtes, la veille de Kippour, avant de les égorger pour expier les péchés, c'était le jour des kaparot, le sang coulait des cous maigres et blancs, les plumes voletaient, il fermait les yeux pour ne plus voir mais il entendait le youyou des femmes qui distribuaient des cadeaux, c'était la fête, comment le sang pouvait-il être source de joie, ça le faisait frémir, il voulait fuir, se cacher, il ne savait pas alors que des hommes aux cous robustes et aux yeux clairs, il en tuerait des dizaines, sans une pensée pour eux, à des milliers de kilomètres de chez lui, sur une terre où il n'avait jamais mis les pieds, où il n'avait aucun souvenir mais dont le nom charriait des images nimbées de lumière dorée sur lesquelles Vercingétorix et Danton cotoyaient Napoléon.
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À la caserne de Touggourt, on prend à peine le temps de répondre à la femme qui s’exprime moitié en français moitié en arabe, passe du vouvoiement ou tutoiement de manière incohérente, appelle « mon fils » le lieutenant qui s’est arrêté un instant pour l’écouter, touché, elle lui évoque sa grand-mère corse, elle est à la recherche du sien, de fils, il est tirailleur, Jacob Melki, il a une très belle voix et des cheveux châtains, une cicatrice sur le crâne côté gauche, il s’est cogné au coin de la table quand il avait un an et demi, il était sage mais plein de vie aussi, il avait dansé en battant des mains, perdu l’équilibre, c’est comme ça qu’il s’est cogné, il a beaucoup saigné, ça saigne tellement la tête, j’ai couru avec lui dans les bras jusqu’au dispensaire sans m’arrêter, sans respirer, maintenant il est soldat français, tu ne sais pas où il est, mon fils ? Le lieutenant demande à Rachel la date d’incorporation de Jacob, elle ne comprend pas le mot incorporation, il explique, quel jour votre fils est-il parti à l’armée ? Le 22 juin, à neuf heures il est parti, je ne l’ai pas vu depuis, je languis beaucoup. Le lieutenant se doute que Jacob est déjà prêt à accoster en Provence, il n’en dit rien Rachel, il pense qu’elle serait heureuse de savoir qu’elle peut le retrouver quelque part, elle vivra quelques jours encore en l’imaginant toute proche et non pas de l’autre côté de la mer face à l’ennemi allemand dont on dit que la cruauté est sans limites, il saisit un bordereau de l’armurerie, le feuillette, concentré, dit, Jacob Melki, oui, voilà, il est à la caserne d’Aumale.
La caserne d’Aumale, comme le lycée d’Aumale, c’est bon signe, songe Rachel, Jacob est protégé par le duc d’Aumale. Il avait de si bonnes notes, toujours dans les premiers, premier prix de récitation et deuxième prix de composition, il a pourtant raté l’école pendant deux ans quand on l’a renvoyé en 1941 parce que la France avait décidé que les juifs d’Algérie étaient de nouveau des Indigènes. Le directeur du lycée avait convoqué Jacob dans son bureau avec d’autres camarades dont la sonorité du nom ne laissait planer aucun doute sur leur qualité d’éléments irrémédiablement étrangers à la France. Je suis désolé, avait-il dit, ce sont les directives, les enfants juifs n’ont plus le droit de fréquenter nos établissements. Jacob l’avait regardé comme si on lui avait découvert une bosse dans le dos, il avait baissé la tête en murmurant mais comment va faire alors pour étudier, le directeur avait écarté les bras en lançant un coup d’œil en biais sur le portrait du Maréchal Pétain accroché près de la fenêtre. Dans la soirée, le professeur d’anglais, Monsieur Adda, était venu frapper à leur porte. Rachel était gênée de le recevoir dans un appartement aussi petit où on se cogne les uns aux autres, elle avait envoyé Madeleine et les enfants dans la chambre à coucher, Monsieur Adda avait fait semblant de ne rien remarquer, s’était assis sur une chaise comme s’il était dans la salle des fêtes de la mairie et avait dit : ce décret est une infamie. Tous avait hoché la tête vigoureusement sans comprendre, devinant qu’ils ne pouvaient qu’être d’accord avec le mot et le ton catégorique qui l’imprégnait. Nous aussi on nous a chassés du lycée, ils ne veulent plus de juifs, ni comme professeur ni comme élèves, alors on a décidé de continuer à donner des cours aux enfants, ça se passera chez moi, tu viendras tous les matins à neuf heures, avait-il précisé en fixant Jacob, et on leur prouvera que les juifs tiennent par-dessus tout à l’instruction. Ainsi, en étudiant quelques heures par jour dans l’appartement de Monsieur Adda, entassés dans la salle à manger avec ses camarades, Jacob avait appris tout le programme de seconde, les yeux rivés sur le dessin du tapis qui aimantait son regard, et l’année suivante, retournant au lycée après le débarquement américain, il avait même eu le premier prix d’anglais, à force de le chanter, il savait bien le parler, ça lui permettra sûrement de trouver une bonne situation, à mon Jacob, ma vie, Dieu le protège là où il est, à la caserne d’Aumale, maintenant la France ne le rejette plus, au contraire, elle le juge suffisamment français pour porter l’uniforme de son armée, il est lavé de la honte d’avoir été chassé de l’école.
Page 52 – 54
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