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Critiques de William Faulkner (569)
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Lumière d'août

Ma première rencontre avec William Faulkner, il y a une douzaine d'années, n'avait pas été des plus agréables : le Bruit et la Fureur, un livre pour le moins ardu, pénible à lire et plus encore à comprendre, à la fin duquel vous êtes tout juste prêts à le relire tellement il est clair comme du jus de boudin.



De plus, j'avais été globalement déçue par le Bruit et la Fureur car, une fois le puzzle remis dans l'ordre, ce qui n'est certes pas une mince affaire, l'histoire ne m'apparut pas si époustouflante que cela.



Il en est allé tout autrement ici pour moi avec Lumière d'août. Je ne vais pas en faire mystère, c'est un livre que j'ai trouvé en tout point supérieur, non, très supérieur, à l'autre : plus long, plus dense, plus profond, bref, plus TOUT.



L'auteur n'a pas cherché ici à nous embrouiller par une narration intriquée, mais il demeure un ouvrage REMARQUABLEMENT construit, tant d'un point de vue temporel, du timing avec lequel il nous dévoile l'action, que du point de vue des personnages, je veux dire l'agencement des personnages entre eux.



J'ai beaucoup entendu parler ou lu dans les critiques qu'avec cette oeuvre — que beaucoup considèrent comme sa meilleure —, Faulkner atteint à la tragédie, au récit biblique sous des airs de roman noir. Eh bien, je pense quant à moi, que l'auteur a réussi à composer une véritable symphonie littéraire.



Le thème principal est celui de Christmas, mais on ne le sait pas dès le début, on ne le découvre que très progressivement. Aux environs de la moitié du roman, on connaît le thème, et l'on se rend compte, ému(e), que les autres personnages, ceux d'avant, ceux d'après, ne font tous que reprendre le thème, mais ils le rejouent tous selon une orchestration qui leur est propre et qui donne une incroyable cohérence à l'ensemble, comme dans une symphonie, où si les différents instruments jouent à différents moments, jamais cela ne nuit à l'harmonie d'ensemble.



Je dois dire que cette composition symphonique est d'une ampleur rarement lue en littérature, même pas dans le grand, le phénoménal Crime et Châtiment de Dostoïevski, où si de nombreux personnages rejouent effectivement le thème, ça n'est pas aussi époustouflant comme construction. Et le thème, quel est-il ? J'ai lu à droite à gauche « le destin », oui, d'accord, mais quoi « le destin » ? J'aurais tendance, pour ma part, à avancer la notion de psychogénéalogie. C'est cela même qui me semble être au coeur du travail romanesque de Faulkner ici, notamment le fait que certains d'entre nous vont dans le mur, savent qu'ils vont dans le mur mais font quand même tout pour y aller.



En somme, l'auteur, sous des airs d'écrire un roman noir, ou un roman social, ou un roman régionaliste, ou une parabole, ou une chronique de son temps, écrit en fait, ou décrit plutôt, la mécanique d'un phénomène humain, de la psychologie humaine j'entends, bien plus vaste, bien plus universel et surtout bien plus troublant.



Vous avez tous entendu parler de ces violés qui deviennent violeurs, de ces reproductions de galères de génération en génération, de ces gens qui paraissent irrémédiablement marqués du sceau de la malédiction et qui ne font rien pour faire un pas de côté. Eh bien voilà, c'est ça Lumière d'août !



La mère de Christmas, au père impitoyable, s'est fait mettre enceinte par un vaurien de passage, Lena fait de même. le pasteur Hightower vient s'empêtrer dans une profession et un lieu où il n'aurait rien à faire, mais ce lieu, justement, cette profession, justement, lui furent comme imposés, dès avant sa naissance, par les frasques d'un grand-père peu académique.



Joanna Burden est elle aussi venue accomplir un destin qui ne lui appartient pas et qui remonte à ses grands-parents. le vieux uncle doc Hines, le jeune Percy Grimm viennent tous accomplir un destin sacrificiel et violent plus grand qu'eux, de même que le père adoptif de Christmas. Byron Bunch a l'art de venir s'empaler dans un destin pourri d'avance, tout comme Christmas...



À chaque fois la victime devient bourreau ou le bourreau victime. La malheureuse Lena, victime de Lucas Burch, devient bourreau de Byron. Byron devient bourreau de Hightower, et ainsi de suite. Tout se rejoue à intervalle, en décalé, comme dans une symphonie, tous voient la vie foirer devant leurs yeux, tous voient ce qu'il faudrait éviter, tous voient le chemin de la félicité, mais tous le refusent obstinément, comme n'étant pas encodé dans leurs « gènes » ou plutôt dans leur propre destinée familiale.



Le roman n'est pas toujours captivant à lire, mais il y a une indéniable puissance, une densité rare, une pénétration dans les côtés sombres et inexplicables de l'humain, dans l'illogique, vu de l'extérieur, mais 100 % logique dès lors qu'on sait de quel logiciel est pourvu le personnage.



En somme, un grand, un très grand roman d'après moi, pas forcément toujours du plaisir à la lecture mais des choses qui remuent, et qui continuent de vous maintenir en ébullition même après l'avoir refermé, bref, la marque des grands romans, CQFD. Chapeau bas William Faulkner et pour tout autre considération, faites-vous-en votre propre opinion en le lisant par vous même et souvenez-vous que cet avis, cette ombre de décembre, ne représente pas grand-chose face à la lumière d'août. Tenez-vous-le pour dit, même si c'est votre destin.
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Le bruit et la fureur

Voici un livre très difficile à lire, surtout au début. J'ai fait l'expérience de le lire absolument sans aucun indice, de me perdre, de chercher, de retrouver ma route, de lutter (comme les personnages) mais, très sincèrement, on lâche prise et le livre nous tombe souvent des mains.



C'est vraiment parce que je sentais quelque chose derrière et que j'avais vraiment envie d'aller au bout que je me suis accrochée comme une diablesse en mal de vice, mais quelle lutte ! On peut dire que Faulkner n'a pas eu peur de noyer 90 % de ses lecteurs (pour ne pas dire 99 %) avec une telle entrée en matière !



A priori, c'est dommage car cette oeuvre a des tonnes de mérites, et a en son coeur une indéniable qualité, mais je comprends qu'on puisse ne pas avoir envie de se battre avec sa lecture comme ce fut le cas pour moi. Dommage car le scénario est excellent, dommage car les personnages sont très travaillés.



Je comprends aussi les tenants d'une telle version, avec toute sa complexité, avec l'effort qu'elle requiert, où toutes les pistes sont brouillées, où l'auteur cherche à nous faire vivre de l'intérieur la confusion de ses personnages.



Pourtant, je vais me faire l'avocate du diable en prétendant que Faulkner avait largement les moyens d'écrire un livre accessible en faisant ressentir avec la même force, voire plus encore de force, ce qu'il a voulu exprimer en mélangeant toutes les pièces du puzzle.



Encore une fois dommage car l'oeuvre est tellement intriquée, mélangée, inaccessible que beaucoup de ceux qui l'ont lue en entier sont d'abord passés par la préface qui dévoile toutes les clefs. À quoi bon faire une oeuvre tellement compliquée où l'on est censé lever peu à peu des morceaux du voile, si pour pouvoir la lire correctement on est obligé de lire un mode d'emploi qui donne toutes les réponses ?



C'est un livre tellement abscons à certains moments qu'on gagne à le lire une deuxième fois juste dans la foulée, et lors de cette deuxième lecture on savoure plus, car, alors seulement, les magouilles formelles de Faulkner ne nous embrouillent plus et l'on s'attache à donner plus de sens à ce qu'on lit.



D'aucuns diront, " c'est précisément ce qu'il voulait ". Sans doute, mais un livre parle s'il est lu et non s'il est abandonné en cours de lecture et que sa voix reste coincée entre les pages qu'on a pas eu le courage de tourner.



Si vous voulez tenter l'expérience de découvrir le texte sans le moindre indice, arrêtez de lire maintenant mon commentaire.



Pour les autres, voici de quoi s'y retrouver (un peu) :



Voilà j'espère ne rien avoir dévoilé du scénario mais tout de même avoir aidé ceux qui le désirent à s'y retrouver dans l'imbroglio du départ, notamment quant aux identités de chacun. Seules les deux premières parties sont très décousues, le reste est de facture plus classique et le plaisir va crescendo. Mais tout ceci, une fois encore, n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Le bruit et la fureur

Pour bien savourer ce roman, il ne faut rien lire à propos de l'histoire (ni résumés, ni explications, ni interprétations). Il faut entrer directement dans la lecture intégrale de l'oeuvre. Chose que j'ai accomplie; je crois d'ailleurs que c'est la seule manière pour lire ce roman.



Qu'est-ce qui rend ce roman tellement original, génial (mais aussi difficile)? C'est la forme complexe. La manière de raconter, l'écriture et même la typographie. L'histoire est plus simple peut-être; la chute d'une famille.



Il s'agit de quatre parties, quatre journées, quatre narrateurs, quatre manières de raconter.



Le lecteur est d'emblée surpris, perplexe, c'est comme s'il s'est trompé de lieu et qu'il entend curieusement ce qu'on dit dedans pour comprendre! L'auteur a choisi de commencer par la partie la plus difficile; un vrai défi pour lui, puisqu'il peut rebuter plus d'un lecteur, mais aussi pour le lecteur lui-même qui pourrait lâcher et perdre ainsi le plaisir de lire le fameux William Faulkner. On s'accroche péniblement à quelques phrases intelligibles pour se heurter après à des passages indéchiffrables d'où la beauté de cette lecture. C'est après une cinquantaine de pages qu'on conçoit vraiment de quoi il s'agit dans cette première partie.



Sorti de cette lecture exigeante, on ne sait pas vraiment qu'est-ce qui nous attend! Si l'auteur gardera le même narrateur auquel on s'est peu ou prou habitué, ce retour en arrière qu'on rencontre dans le titre de la partie sera-t-il un éclaircissement des événements? Non! pas du tout ! Faulkner revient avec un autre narrateur, une nouvelle vision des choses, mais surtout, une typographie plus complexe avec de longs passages sans ponctuation, et plus de flash-backs (qui , au lieu d'aider le lecteur, augmente la difficulté) et de digressions.



Maintenant, on est plus courageux, on s'attend à tout, on est prêt à affronter toutes les difficultés possibles, on s'attend aussi à un autre narrateur. Mais cette fois Faulkner, s'amuse à nous jouer un autre mauvais tour; c'est à un récit classique (au niveau de la forme et des normes de la narration) qu'on a affaire. On suit une narration rapide, et passionnante, interrompue de dialogues (ou peut-être le contraire).



La quatrième partie, toujours avec plus de surprises, car on s'attendait à un quatrième narrateur (le personnage qui s'avère le plus important du roman; celui de Caddy), mais c'est un "il" qu'on retrouve; la partie la plus courte. Et l'on constate avec tristesse que cette aventure (celle du lecteur bien évidemment) va se terminer après quelques pages.



En plus de la difficulté représentée par la narration fragmentée et bouleversée, et par la typographie variée qui mélange les événements passés et actuels, il y a aussi la difficulté des noms des personnages qui se ressemblent (prénom féminin et masculin en même temps aussi).



La vie […] : une fable

Racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur,

Et qui ne signifie rien.

Voilà d'où vient ce titre assez significatif. Ces vers Shakespeariens résument tout. Faulkner a mené jusqu'au bout son expérience singulière, avec un narrateur débile qui voit les choses d'une manière inédite, un narrateur torturé par un mal psychique et un autre narrateur agressif; utilisant cette technique de courant de conscience.



Et l'histoire? Il y en a. L'histoire d'une famille au déclin avec trois générations (un couple et un oncle, trois fils et une fille, une petite-fille) avec leur serviteurs noirs (eux aussi trois générations). Une famille jadis riche qui sombre dans la misère et l'abjection...



Lorsque j'ai terminé cette lecture j'étais comme Howard Hughes dans The Aviator à répéter : "voilà qu'il est là un grand roman, voilà qu'il est là un grand roman..." une lecture qui laisse un effet étrange et qui dure.
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Le bruit et la fureur

Ce livre m'a longtemps résisté.

J'avais déjà fait deux tentatives, il y a un temps certain, mais l'hermétisme du premier des quatre volets qui composent le Bruit et la fureur m'avait rebuté. Je ne comprenais rien, tout simplement. Il faut dire que William Faulkner ne cherche pas à racoler le lecteur avec une lecture facile et aguichante.

Toute la chronologie est explosée ( 1er volet se situe le 7 avril 1928 , 2ème le 2 juin 1910, 3ème le 6 avril 1928 et le dernier le 8 avril 1928 ) ; certains prénoms sont attribués à deux personnages sur deux générations ( Quentin, l'oncle et sa nièce ; Jason le père et le fils ). Chaque volet donne la parole à un personnage différent ... et le premier est narré par Benjy, l'attardé mental qui monologue de façon délirante en confondant événements passé et présent.



Bref, tout est fait pour dérouter profondément le lecteur et j'ai été profondément déroutée.



Pour cette troisième lecture, j'ai donc procédé autrement. J'ai fait quelque chose que je m'interdis en général : lire le résumé de l'oeuvre, comme un tuteur, comme un guide pour pouvoir enfin accéder à la puissance de roman-culte et entrer dans le cercle des profanes initiés.



Et ça a marché ! Ma persévérance a été récompensée. Lorsque j'ai achevé la lecture du dernier volet, j'ai saisi l'ampleur de cette oeuvre et de son écriture démesurée. Et j'ai relu les deux premiers chapitres si déroutants à l'aune du reste. Je me suis immergée dans cette tragédie qui nous plonge dans le déclin et la dégénérescence des Etats sudistes par le biais de la chute de la famille Compson sur 3 générations, chacune incapable de faire face aux réalités du monde moderne post guerre de Sécession. Tous les personnages de cette famille sont terriblement campés.



Au-delà de l'écriture, riche, puissante, complexe avec ces monologues intérieurs en mode flux de conscience, ce que j'ai trouvé particulièrement fascinant, c'est le travail sur le temps. Chaque chapitre a le sien. le premier narré par le «  fou » brouille toutes les notions passé / présent ; le 2ème est narré par son frère Benjy, désespérément pris au piège du temps, enfermé dans la nostalgie, comme l'indique brillamment les passages sur sa montre brisée dont le tic-tac le hante ; le 3ème par l'autre frère Jason obsédé par le futur immédiat, voulant retrouvé un standing quitte à être brutal et sadique ; le dernier, enfin, raconté par une des servantes noires, la seule à être en paix avec son présent.



Une expérience littéraire incroyable !
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Tandis que j'agonise

Il s’agit là d’une écriture très particulière. C’est la retranscription du parcours de vie d’une famille, mais selon un processus et au cours d’une procession peu ordinaires. Les sections d’expressions sont rigoureusement attribuées et secrètent un langage intérieur proche de la pensée directe, laquelle s’extériorise simultanément, au fur et à mesure de l’émergence et de la production. Ce qui nous donne un texte d’une profondeur et d’une pureté rares. Si Larbaud, Malraux, Barrault et bien d’autres encore ont pu dire de ce livre qu’il les avait marqués, à chacun alors de trouver jusqu’à quel point. Et, Tandis que j’agonise, sacré William ! Évidemment, rien ne me vaut une telle familiarité, sinon que je suis conviée à l’accompagnement d’une marche funèbre. Car en effet, si l’action m’apparaît tant réelle, c’est que la défunte n’aura revêtu ce statut qu’après l’accomplissement du vœu ultime, son retour parmi les siens, d’où le périple jusqu’en Alabama. Ce qui par ailleurs a de quoi me surprendre, quand j’entends le père, Anse, commander à Dewey Dell de préparer le repas de feu sa mère, Addie, et pour eux-autres, car dit-il : « Il faut soutenir ses forces ». De quoi me renforcer dans l’idée que la mort n’apparaît véritablement que dans l’oubli, ce d’autant que je me sens si proche de l’auteur que pourtant je découvre aujourd'hui. Mais rien n’est aussi simple, ni monotone, quand la mort de la mère se vit comme un séisme. C’est le pilier central du lien, le mur porteur de la maison qui s’écroule. Il se fissure peu à peu comme un point de saignée qui s’élargit, une plaie véritable qui prend acte peu à peu dans la chair du tout filial et familial en même temps que la mort se propage dans la réalité. Et paradoxalement, c’est beau. Le tour de force à mon sens étant que le texte est tellement vivant qu’il occulte l’esprit de gravité pour inscrire chacun en son déclin aussi bien que dans un éternel recommencement.
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Le bruit et la fureur

Un roman magistral. Un roman coup de poing. Un roman tel un cri de colère. le bruit et la fureur des membres d'une famille engluée dans l'ambre de la dégénérescence et l'ombre de la dépossession, à l'image de la chute et de la déchéance des États sudistes dans les années 1920, alors que la guerre de Sécession est encore présente dans les esprits et les pratiques de ségrégation raciale profondément ancrées.



Le titre est inspiré de Macbeth de Shakespeare « C'est une histoire, contée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, qui ne signifie rien ». Sa caractéristique est d'être composée de quatre grandes parties, avec quatre narrateurs différents. C'est ainsi un roman choral portant sur quatre voix désespérées. Quatre cris. Quatre journées. le bruit et la fureur des membres d'une famille en déclin dans un État du sud des États-Unis.



Mais surtout le génie du livre, qui raconte une histoire finalement assez simple, repose sur quatre manières, fragmentée, perturbée et bouleversée, d'exprimer sa désespérance à l'image sans doute du regard que porte Faulkner sur ce monde fracassé : les soliloques incroyables d'un handicapé mental, les divagations et monologues intérieurs d'un homme en passe de se suicider, jaloux de sa soeur pour laquelle il éprouve de l'amour et qui va se marier, l'amertume glaciale et implacable d'un autre frère qui prend conscience de la chute familiale, le constat résigné et humain de la vieille bonne de la famille qui est là depuis des décennies, témoin impuissante de la fin de cette famille.

Benjy, Quentin, Jason et Dilsey.

Aucune structure narrative ne relie les différentes parties qui ont toutes un style bien marqué. Si les deux premières parties donnent cette impression étonnante d'être reliées directement aux pensées fleuve des protagonistes, la troisième partie avec Jason montre une normalité froide, des phrases ordinaires sans ambiguïté, la quatrième partie repose enfin sur une conception classique du roman où un narrateur nous fait part des pensées les plus intimes de Dilsey et de Jason.

Voilà quatre manières de crier, d'exprimer sa fureur. Pour ma part ce sont les deux premières parties qui me touchent le plus, cette manière de rendre compte des pensées d'un personnage comme si nous étions réellement dans sa tête, courant de conscience qui me fait aussitôt penser à Antonio Lobo Antunes, mais lorsqu'il s'agit en plus d'un homme handicapé mental, cela se transforme en une expérience inouïe qui m'a profondément touchée.



Certes ce n'est pas un livre facile d'accès. D'abord la chronologie est dilatée, explosée. le premier chapitre se situe le 7 avril 1928, le 2ème le 2 juin 1910, le 3ème chapitre et 4ème chapitre respectivement les 6 et 8 avril. L'ensemble du roman tient en réalité en trois jours, entre le 6 et le 8 avril 1928. Chacune des quatre parties tient en une seule journée, qui semble donc démesurément longue, car elle occupe entre cinquante et cent pages et pourtant il ne se passe pas grand-chose : l'anniversaire de Benjy, le spectacle de forains, la fuite de Quentin. Mais surtout, dans chaque partie, le temps est différent. Entrecoupé en incessants aller-retour passé et présent avec Benjy, bloqué dans le passé avec le mélancolique Quentin, à l'image de sa montre cassée, obsédé par le futur généalogique proche avec Jason et enfin linéaire et apaisé avec Dilsey.

Ensuite, autre difficulté, concernant les prénoms de cette famille. Présentons en rapidement les membres. Les parents sont Jason, homme discret de peu d'autorité et Caroline, femme hypocondriaque et capricieuse, figure tutélaire du clan Compson tout en ne prenant soin de personne. Ils ont quatre enfants : Jason (fils), Quentin, Benjamin surnommé Benjy et Candace, surnommée Caddy. Cette dernière a une fille prénommée Quentin.

Le roman est non seulement difficile d'accès du fait des différents styles évoqués précédemment, des soliloques entrainant une compréhension progressive de l'histoire, en filigrane, tel un puzzle se constituant petit à petit. Mais aussi du fait des répétitions des prénoms qui nous entrainent au début dans une sacrée confusion. le fils ainé porte le même prénom que son père (Jason) et la jeune Quentin, fille, porte le même prénom que son oncle. Répétition de prénoms reflet de la répétition amplifiée des échecs : le fils Jason semble être une caricature de son père (alcoolique, incapable de communiquer, violent car sans autorité) ; la fille Quentin reproduit les fautes de sa mère en papillonnant d'homme en homme…Elle portera le coup fatal et sonnera le glas de la perte et de la déchéance.



Une fois cette complexité comprise, du moins acceptée, le livre est magistral. C'est une tornade. le bruit et la fureur de quatre personnages, tels des scarabées retournés, aux pattes se débattant dans le vide. En vain.



Le bruit et la fureur de Benjy tout d'abord, débile gémissant et hurlant, qui ne voit pas les choses comme nous mais de manière inédite, ne vivant que le moment présent et entièrement porté par ses sens. Exprimant ses sensations de façon si sensible, si différente, comme elles viennent. Comme par exemple ces étoiles dans une boite que lui offre sa soeur Caddy : « Caddy a pris la boite et l'a mise par terre. Elle l'a ouverte. Elle était pleine d'étoiles. Quand j'étais tranquille, elles étaient tranquilles. Quand je bougeais, elles scintillaient et étincelaient ». Ou encore dans sa façon de sentir sa soeur, qui « sent comme les arbres quand il pleut » sauf lorsqu'elle revient d'un flirt où elle ne sent alors plus comme les arbres…Caddy qui lui manque tant.

La parole n'est pas donnée à cette femme d'ailleurs, comme exclue. Exclue de sa famille et exclue du livre. Pourtant omniprésente par la voix de ses frères. Elle était très proche de son frère handicapé. Enceinte hors mariage d'un amant dont elle refuse de donner le nom, elle se résout en 1910 à faire un mariage de convenance pour sauver l'honneur de la famille, homme dont elle divorcera peu de temps après. Elle laissera son enfant, qu'elle a appelé Quentin, en souvenir de son autre frère disparu, à sa mère afin qu'il soit élevé par cette famille soucieuse de ce qu'il reste de son image.



Benjy ne s'est jamais remis du départ de la soeur chérie. A chaque évocation de mots, d'endroits, d'odeurs, en lien avec la connivence passée, il pense instantanément à elle, source de cris et de gémissements poignants. Ce sont ces sensations qui expliquent ces incessants sauts entre passé et présent qui peuvent déstabiliser la lecture mais qui sont magnifiques car tellement représentatifs d'une expérience universelle sur notre façon de penser : ne faisons-nous pas cela tout le temps ? En nous le temps n'est pas linéaire mais en continuels sauts, passé, présent et futurs ne cessant de s'entremêler sans même que nous n'y prenions garde…



Le bruit et la fureur de Quentin ensuite qui erre, préparant son suicide, englué dans le passé et ses souvenirs avec Caddy dont il semble vouer une adoration et un amour impossible. le son du tic-tac de la montre cassée, le bruit du fleuve lors de sa fuite, la volonté obsédée de vouloir écraser son ombre sur le chemin, en dit long sur l'imminence de la catastrophe à venir et sur sa désespérance. Voyez comme son regard est merveilleusement poétique :



« Papa m'a dit que les pendules tuaient le temps. Il m'a dit que le temps reste mort tant qu'il est rongé par le tic-tac des petites roues. Il n'y a que lorsque la pendule s'arrête que le temps se remet à vivre. Les aiguilles étaient allongées, pas tout à fait horizontales. Elles formaient une courbe légère comme des mouettes qui penchent dans le vent. Contenant tout ce qui d'habitude m'inspirait des regrets, comme la nouvelle lune contient l'eau, disent les nègres. L'horloger s'était remis au travail, courbé sur son établi, le tube, comme un petit tunnel, incrusté dans sa face. Ses cheveux étaient séparés au milieu par une raie qui remontait jusqu'à sa tonsure comme un marais drainé en décembre ».



Le bruit et la fureur de Jason, amer, frustré, qui est resté auprès de sa mère pour s'occuper de Quentin (fille) alors qu'il aurait dû faire des études en lieu et place de Quentin (frère). Alors que Benjy et Quentin aime Caddy, lui la déteste. C'est un personnage raciste, d'une grande cruauté, impatient, violent. Sans doute c'est la partie que j'ai le moins aimé, la forme narrative même du chapitre, classique et ordinaire, en pâle reflet de ce personnage insipide dont nous comprenons l'amertume mais que nous ne réussissons pas à aimer.



Le calme et la sérénité de Dilsey enfin, comme emprisonnée dans ce bruit et cette fureur mais la mettant à distance, la figure la plus humaine, la plus solaire du livre. Victime d'un monde dominé par les blancs et les hommes, elle résiste par son humanité, sa patience, sa force vitale et sa résilience. Témoin de la chute de la famille, cette dernière ne tient que grâce à elle. Elle en maintient les derniers lambeaux dans une tendresse sereine et émouvante.



« Dilsey mena Ben jusqu'au lit et l'y fit asseoir près d'elle, et elle le prit dans ses bras et le berça, et avec l'ourlet de sa jupe, elle essuyait la bave qui lui coulait de la bouche ».



On se demande comment Dilsey peut faire preuve d'une telle tendresse vis-à-vis de cette famille blanche quand on pense à la façon dont les noirs sont traités à cette époque. Il est fait allusion par moment à ces conditions comme cette jeune Nancy, tuée tel un chien d'un coup de fusil et jeté dans un fossé. Meurtre d'autant plus touchant lorsque c'est Benjy qui raconte :



« Et quand Nacy est tombée dans le fossé et Roskus lui a tiré un coup de fusil et les busards sont venus pour la déshabiller. Les os débordaient du fossé où les plantes noires se trouvent, dans le fossé noir, et entraient dans le clair de lune comme si quelques-unes des formes s'étaient arrêtées. Et puis elles se sont toutes arrêtées, et tout était noir… ».



Voilà un chef d'oeuvre qui raconte de manière très complexe une histoire simple, celle de la chute d'une famille sur fond de ségrégation raciale. William Faulkner, via la complexité temporelle et narrative dont il use et abuse, en fait un véritable enfer et donne une saveur insolite à ce livre, une émotion particulière, une ambiance de fin imminente, une fragrance de décadence, une puissance à ce bruit et à cette fureur exprimée, contenue surtout. Et cela au milieu des odeurs de chèvrefeuille, des senteurs d'arbre, des bruits de rivière, d'une poésie troublante malgré tout ce qui se trame, permanence de la nature au-dessus des grandeurs et des décadences humaines. Ce livre est une bombe dont la déflagration peut blesser son lecteur ou le transformer.



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Lumière d'août

J'avais fait une première tentative de lecture de William Faulkner, en ouvrant

" Sanctuaire". Diverses critiques avaient engendré en moi une certaine appréhension, car Faulkner était présenté comme un auteur "difficile".

Handicapé de cette malédiction je n'avais pas pu franchir ce Sanctuaire, et j'étais honteux, car je savais que j'étais coupable et non l'auteur. Aujourd'hui, peut être pour me dédouaner, j'ai pensé que les traducteurs ( il est dur de passer après Maurice E. Coindreau ) avaient aussi une part de responsabilité.Je le pense de plus en plus depuis que j'ai lu " Lumière d'août ".

Ne voulant pas rester sur cet échec j'ai pris au hasard ce second roman.

Ce fut comme une histoire d'amour. Au début on se remarque à peine, puis l'on s'apprivoise, on se rapproche jusqu'a ne plus penser qu'a l'autre.On vit ensemble de grands moments de joie dont on mesure l'importance que bien plus tard. Quand vient la fin.

Comme la fin de ce livre, que j'ai refermé empli d'une douce chaleur, et même si je savais que je venais de faire la rencontre d'un grand écrivain, je n'imaginais pas que longtemps après j'aurais toujours cette sensation de bonheur à l'évocation de cette lecture.

Comme une histoire d'amour...
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Le bruit et la fureur

Je suis plutôt un adepte du "ne jamais relire" , même les livres que j'ai le plus aimé. La phrase de Mitterand "La somme des livres que j'ai lu restera toujours inférieure à la somme des livres que je n'ai pas lu" symbolise parfaitement mon désespoir face aux rayons d'une énorme bibliothèque, bien que j'aie aussi conscience que me sont épargnés beaucoup de mauvais livres par cette malédiction.



Je fais pourtant une rare entorse (après aussi la relecture de chacun des tomes du Seigneur des Anneaux avant la sortie de leur adaptation ciné par Jackson) en me lançant dans la lecture d'un roman que je savais devoir recroiser, me délectant à l'avance de replonger dans le Bruit et le Fureur de Faulkner.



Quand on répond sans hésiter à la question du livre préféré, c'est qu'on a établi avec cet ouvrage un lien particulier qui va au delà du lien habituel avec une lecture. On parle de tournant dans sa carrière de lecteur. Ce roman m'a permis d'accéder au plaisir de la lecture difficile, d'apprécier ne pas comprendre grand chose de ce que je lisais, de me laisser conduire en faisant confiance à quelqu'un que je ne connaissais pas pour me transporter dans un brouillard complet. Et ce cadeau est inestimable. Parce qu'il vous permet du coup l'accès à l'universel puisqu'il ne vous prive pas du plaisir de la lecture facile, de la lecture "bonbon" où tout est limpide et clair, il ne fait que vous ouvrir le champ des possibles. Pour cette récompense merveilleuse, soyez bien remercié M. Faulkner.



Qu'en est-il de la relecture d'un tel moment charnière ? Il y a forcément le risque de la déception, de l'idéalisation d'un souvenir passé qui ne rejaillit jamais exactement comme on l'avait espéré. Et bien, non, entre Bill et moi, ça ne se passe pas comme ça. La deuxième lecture fut peut-être encore plus jouissive, si cela est possible. J'ai presque pu revoir mon moi passé, comprendre par quels artifices il avait été perdu, dénouer certaines énigmes qui restaient ancrées, m'en créer d'autres que je ne suis pas parvenu à résoudre encore, ce qui me laisse envisager, sans certitude, une troisième lecture.



Au delà de mon expérience personnelle de lecteur, je vais tout de même vous parler du livre lui-même. de sa folle capacité à nous faire entrer dans la tête de trois frères si différents : Benji l'attardé, Quentin le désespéré, Jason le cruel. Nous comprenons au fur et à mesure de mieux en mieux l'histoire de cette famille à travers le prisme forcément déformant de ces trois consciences malades.

L'expérience troublante de se trouver à la place de cet adulte au cerveau de petit enfant, de s'entendre dire "Chut !" par tout le monde alors qu'on n'a pas conscience soi-même des cris qu'on pousse, de voir ses pensées varier entre présent et passé, guidées par les sensations rencontrées, sans avoir aucune prise sur elles.

L'expérience éprouvante de vivre dans un esprit rongés par les remords, la jalousie, le désespoir, qui ne voit qu'une seule solution finale, définitive.

L'expérience rebutante de subir un esprit pervers, méchant, qu'on sait construit par son histoire mais qu'on ne parvient pas tout de même à vraiment justifier dans ses agissements odieux.

L'expérience frustrante non vécue de ne jamais savoir ce que peut réellement penser Caddy, la soeur de ces trois là, qui est finalement le personnage principal du livre, insaisissable et obsédante.

Le chapitre final nous fait prendre de la hauteur en partant dans la narration à la troisième personne, mais aussi finalement en nous offrant le regard des ces personnages déconsidérés dans la plupart du reste du récit, ces "nègres" libérés par l'abolition mais continuant l'asservissement plus ou moins volontaire dans un salariat minable, comme si maîtres et esclaves, remplis de haine-amour réciproques, se mettaient à entonner ensemble la chanson de U2 "I can't live.... with or without you".



Souligner aussi comment, tout en nous éprouvant comme lecteur, Faulkner nous épargne finalement comme humains, ne nous confrontant jamais face à face avec les horreurs sous-jacentes de cette famille : la mort, le suicide, l'inceste, le déshonneur, tout en les gardant toujours présents à l'esprit de tous les protagonistes, tels les secrets de famille qui nous constituent mais restent couverts par le non-dit, le tabou.



Cette relecture était une évidence, elle fut aussi un grand plaisir, surtout celui de pouvoir parler plus longuement dans cette critique de ce monument de la littérature qui reste donc mon Everest, et que je sais maintenant impossible à déloger de mon île déserte, puisqu'assuré de sa propension à pouvoir endurer le risque de la multiple exploration sans perdre de son charme.
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Le bruit et la fureur

« La littérature ne permet pas de marcher, mais elle permet de respirer », disait Roland Barthes.

Il est vrai que la lecture ne nous permet pas de changer le cours des choses, mais elle permet de nous arracher à notre existence, sans qu'il nous soit pour autant donné de comprendre celle-ci...

La parole de Roland Barthes m'a rassuré et accompagné dans cette lecture qui fut, je le reconnais bien volontiers, difficile. Mais il est mille fois plus riche de penser contre soi-même que d'aller vers une littérature trop facile qui nous contenterait dans ce que nous sommes.

Le bruit et la fureur, parlons-en. Mais au fond, qu'a voulu nous dire ce cher William Faulkner ici ?

William Faulkner qui naquit, vécut et mourut dans le Mississipi, écrivait souvent dans un état proche de l'Ohio.

Oui il y a une opacité dans ce roman, oui c'est un livre rugueux, oui c'est un livre qui résiste. Mais on ne peut pas attribuer cette difficulté d'approche au seul fait que William Faulkner s'enfilait deux bouteilles de Bourbon dans la journée.

Le récit démarre le 7 avril 1928. Nous découvrons ce personnage de Benjy le jour de l'anniversaire de ses trente-trois ans et nous découvrons le monde qui l'entoure par ses seules perceptions et sensations. William Faulkner nous offre ce monde au travers du regard et surtout des perceptions d'un idiot, ce Benjy. Voilà comment cet auteur nous hameçonne au récit !

La scène démarre tout près d'un cour de golf. Des joueurs sont là, hèlent parfois le caddy. Caddy ! Caddy ! Ainsi ce mot que prononcent à répétition les joueurs de golf, réveille dans le coeur de Benjy le souvenir de la soeur perdue qui s'appelle Caddie... Une douleur venue de l'intérieur monte en lui et brusquement, de cette seule sensation surgit, de l'envers du décor, le passé de manière foudroyante. Alors tout se mélange, le passé, le présent...

Alors, c'est comme si Benjy tirait à lui le drap du paysage, emportait tout dans son élan incontrôlé.

Le génie de Faulkner est de nous faire entrer dans ce récit par le prisme d'un idiot qui voit le monde à sa façon et nous raconte une histoire à travers ses sensations et à travers des visions qu'il a. Idiot, oui Benjy l'est assurément, on dirait aujourd'hui de lui une personne qui a un handicap profond...

Dans ce démarrage d'un récit complexe, j'ai entendu dès les premiers mots comme une musique dans les phrases scandées. Des phrases courtes, qui cinglent, qui swinguent dans le tempo libre d'un jazz improvisé. Dans l'entrelacement des voix, c'est comme l'improvisation d'un jazz. William Faulkner aime en effet brouiller quelque peu la chronologie des faits, comme un joueur de jazz le ferait à l'identique, comme Thelonious Monk ou John Coltrane ont tant aimé casser les codes du jazz.

Ici en effet les codes narratifs sont totalement cassés... le temps, la chronologie, tout cela vole en éclat comme une montre que l'on brise sur le coin d'une commode. Ici, l'espace et le temps n'ont plus de logique, du moins jusqu'au moment où nous parvenons à retrouver le chemin dans notre imaginaire.

William Faulkner nous raconte une histoire qui tient de la dramaturgie d'une tragédie antique, mais il nous la raconte à sa manière. La tragédie de ce livre est sans doute la folie qu'il déploie et décrit et il fallait bien une écriture qui ressemble à cette folie...

Balzac, Zola, Flaubert, Hugo, Maupassant, c'est-à-dire tous ces grands écrivains que j'aime tant, ceux du XIXème siècle, n'ont rien inventé dans la manière de nous raconter une histoire.

Personne n'a rien inventé de nouveau depuis Homère, jusqu'à ce qu'un certain William Faulkner vienne bousculer cet ordre des choses. Voilà celui que j'attendais, le narrateur qui n'est plus le même dans la manière de nous raconter une histoire.

Il n'y a plus ce narrateur classique qui se tient tranquillement en repos et à distance, racontant ce qui arrive à des personnages qu'il observe. Faulkner est celui qui rétrocède la conduite du récit aux acteurs, c'est-à-dire ceux qui sont à la manoeuvre, ceux qui sont dans le jus. Il donne la parole aux personnages qui fabriquent l'histoire du récit. Et quoi de plus génial que de confier cette parole pour la première fois à un idiot qui nous délivre des fragments de cette histoire... !

C'est une oeuvre complexe, désordonnée et confuse à première vue, qui suggère plus qu'elle ne dit.

Expliquer qui est qui dans le bruit et la fureur est impossible ; au départ on ne sait pas qui est qui, alors une manière d'avancer dans ce récit torturé et tortueux, c'est de se laisser porter dans ses fragments disparates... Se laisser porter par sa poésie, par exemple...

Puis rassembler un à un les morceaux de puzzle que nous glanerons au fil de notre lecture.

C'est vrai qu'il y a une poésie chez Faulkner, une poésie des personnages dans les paysages. Une poésie des sens...

L'odeur du chèvrefeuille, celle des arbres, le murmure d'un cours d'eau, un chemin...

Un moineau coupant le soleil en biais...

Une enfant qui tombe assise dans le cours d'un ruisseau...

Et puis cette enfant se relève, grimpe à un arbre montre sa culotte souillée sous la risée des autres enfants, cette enfant d'une belle famille de Blancs bien comme il faut, tout est dit là, rien que là. Faulkner pose dans ce seul acte tout le renversement du livre et ce qui en résultera dans l'accomplissement des destins. Cette scène est simplement sidérante.

Le bruit et la fureur n'est rien d'autre qu'un roman choral qui permet de faire alterner plusieurs personnages différents, où de larges ellipses temporelles sont aménagées entre les voix, parmi lesquelles nous tentons de nous frayer un chemin...

Ce n'est rien d'autre que cela.

Pendant cette lecture j'ai été sidéré et envoûté, quelqu'un écrivait, me parlait, pouvait rivaliser en opacité avec le monde, c'était aussi opaque et incompréhensible que le monde absurde qui nous entoure et nous gouverne parfois, je me suis alors demandé s'il n'y avait que Faulkner pour avoir ce talent de nous extirper contre notre gré et nous amener à nous confronter avec ce paysage hostile.

Je reste envoûté par les images remarquables et les sonorités dissonantes de ce roman. Ses couleurs, ses odeurs qui nous imprègnent peu à peu. Sa construction est belle puisqu'elle vient après.

On n'est pas forcément entraîné pour entrer dans un tel monde, on ne nous a pas appris à trouver les bonnes clefs. Nous sommes façonnés par une éducation classique qui nous empêche d'entrer de plein pied dans cette histoire avec facilité.

On entre ainsi dans cette oeuvre par les sensations d'un idiot et ça c'est inventif et prodigieux.

Je ne saurai dire si c'est le fond ou la forme qui prend le pas sur l'autre, disons que la forme donne un sens, un cheminement, traduit un ressenti immense et que c'est à la toute fin que l'on comprend...

Pour le reste, ne comptez pas sur moi pour vous raconter de quoi ça parle. Tout juste, pourrais-je vous dire que tout se tient sur trois jours, qu'il s'agit d'un de ces drames qui se déroule dans le Mississipi au sein d'une famille Blanche, une de ces vieilles familles hautaines et prospères à qui tout a réussi jusqu'à présent. Ici la famille Compson va commencer à perdre la face, tomber dans la misère et l'abjection...

Hautaines et méprisantes, elles le sont, notamment à l'égard de la communauté des Noirs qui sont à leur service, témoins immobiles et privilégiés des fautes, des errements, de la malédiction des Blancs. Et c'est sans doute la gouvernante de la maison, Sisley, qui est pour moi l'un des plus beaux personnages du roman. Elle a une capacité à se détacher de la narration, en ce sens elle est brusquement supérieure aux Blancs, parce qu'elle est là tout simplement avec les siens, par le simple fait d'être là, d'exister, d'endurer et de durer. Elle traverse le paysage du livre, elle dure, elle va encore durer tandis que la famille des Compson n'a comme seule destinée que de se fracasser contre sa propres malédiction...

Je referme le livre et j'entends encore les voix de Caddie, Quentin, Jason, leurs rires tandis qu'ils étaient encore des enfants, je les vois, je les entends à travers la pensée atrophiée de Benjy, ils sont là si près de moi, la vie brutale ne les a pas encore disloqués dans la haine et le fracas du monde.

Le bruit et la fureur est peut-être une histoire sans fin...



Quelle joie d'avoir mené cette lecture dans un projet collectif avec quelques-uns de mes amis de cette fabuleuse communauté de Babelio ! Ce fut une aventure pleine de bruit et de fureurs au regard de nos ressentis si diversifiés et néanmoins si bienveillante par ces échanges si riches !

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Tandis que j'agonise

La légende dit que William Faulkner aurait écrit ce roman, Tandis que j'agonise, en six semaines, en 1929.

Nous sommes dans le Mississipi, dans les années vingt. Dans cette atmosphère étouffante, je découvre une famille de paysans humbles, qui récolte le coton.

Il s'agit d'un récit polyphonique qui met en scène une famille de paysans bouleversée par ce qui arrive à leur mère, Addie Bundren, celle-ci s'apprête à mourir. Autour d'elle il y a Anse, le père et les cinq enfants.

L'auteur bouleverse ici les codes de la narration classique, convoque les personnages à travers une succession de monologues intérieurs.

Chaque personnage cache en lui un secret douloureux ou dérisoire.

Les voix des enfants sont différentes, certains sont submergés par la colère, d'autres par la tristesse et la douleur, certains par une poésie onirique. Ah ! Comme j'ai aimé la voix touchante de Vardaman...

Lorsque le roman débute, la mère n'est pas encore morte. Elle est mourante, elle est entourée de sa famille, elle est consciente, elle agonise, tandis qu'elle sait qu'elle va mourir, elle a cependant décidé d'orchestrer la fin de sa vie en demandant à son fils ainé Cash de lui fabriquer son cercueil, quasiment sous ses yeux, là-bas dans le hangar où est entreposé le coton après la récolte.

En prêtant l'oreille, dans les mots que nous délivre Faulkner, on pourrait presque entendre Cash scier, clouer, raboter... tandis qu'Addie Bundren respire difficilement, agonise...

Ce roman est une magnifique symphonie des adieux, ce sont des paysans bouleversés par la mort de leur mère.

Le silence est la base de ce roman, c'est son fondement.

Les personnages sont des gens rustiques, des taiseux, ne se parlent pas entre eux, et qui ne parlent que lorsqu'ils sont seuls ou à distance. On les sent en proie à une profonde solitude.

Il y a quelque chose de théâtral, une poésie charnelle et crépusculaire dans cette lumière du Mississippi.

La parole des uns et des autres scelle des mots, des pensées, des images, tandis que Cash scie, cloue, rabote.

Autour du cadavre de la mère, les monologues intérieurs recomposent les vies de chacun, jusqu'au point final.

Ce sont des personnages perdus dans une terre brûlante et aveugle.

Addie Bundren exprima le souhait de se faire ensevelir à quarante miles de là sur la terre de ses ancêtres.

Anse Bundren, son époux et ses cinq enfants entreprennent alors un voyage funéraire pour aller enterrer la mère sur le lieu de son souhait.

Sous un ciel orageux, le convoi s'en va.

Alors des images saisissantes viennent, une charrette tirée par des mules affolées par les flots de la rivière qu'il faut traverser tandis que les ponts ont été chavirés par le tumulte des flots, une grange qui prend feu...

Plus tard, passer de l'autre côté de la vie n'empêchera pas Addie Bundren de parler.

La voix d'outre-tombe d'Addie est vibrante d'émotion. C'est le cri d'une femme qui révèle sa douleur d'épouse qui fut. Elle dit sous la tombe enfin scellée ce que sa vie fut de souffrance et d'un manque d'amour.

La terre obscure du Mississippi n'empêche pas sa voix de venir à nous, grâce à l'écriture somptueuse de William Faulkner, avec un ton féministe qui m'a touché.

De nombreux artistes ont encensé ce très beau roman : Valéry Larbaud, Jean-Louis Barrault, David Bowie... Ils ont eu mille fois raison d'aimer ce texte éblouissant.

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Le docteur Martino et treize autres histoires

William Faulkner n'est pas nécessairement un auteur d'approche facile. (C'est le moins que l'on puisse dire.) Personnages torturés, discontinuités narratives, ambiances glauques et ambigües, flashbacks et projections, courant de conscience, etc.



Beaucoup des ingrédients qui ont fait son succès (et aussi mes déboires lorsque je pataugeais dans la boue au milieu des marécages sous une pluie battante où m'avaient planté l'auteur du Bruit Et La Fureur et que j'essayais désespérément de distinguer un quelconque panneau indicateur pour retrouver ma route).



Aussi, pour s'accoquiner à l'univers si particulier de Faulkner n'est-il peut être pas idiot de commencer par ses nouvelles, qui, si elles mettent en scène des personnages aussi torturés et ambigus que ceux des romans, de par leur format, les rapproche plus d'une forme classique et donc, accessible plus aisément au profane.



C'est ainsi que l'on peut sans doute effectuer un rapprochement pas trop scandaleux entre Le Docteur Martino et Musique Noire de nouvelles classiques comme le Horla de Maupassant, les unes comme les autres donnant la part belle aux personnages névrosés qui évoluent dans des atmosphères bizarres, un brin glauques, qui touchent aussi bien au réel qu'au surnaturel ou à la folie légère.



Dans Le Docteur Martino, l'auteur nous présente un jeune homme assez fier et imbu de lui même, Hubert Jarrod, qui, lors d'une halte de voyage, fait la connaissance d'une charmante jeune fille, Louise King, à laquelle il sert de prétexte pour échapper à la vigilance de sa mère.



De fil en aiguille, la nature humaine étant ce qu'elle est, la question des relations entre ce jeune homme et cette jeune femme va bientôt se poser dans des termes plus précis.



Mais Jarrod découvre, derrière plusieurs nappes de mystères, que Louise est manifestement sous l'influence d'un autre homme. Un rival ? Sans doute. Mais de quel type ? Ça, c'est plus dur à dire. Un certain docteur Martino. Un vieux bonhomme, qui ne dit presque rien et qui reste désespérément assis, immobile, sur le toujours même vieux banc.



Étrange pouvoir magnétique que celui du docteur Martino sur cette imprévisible jeune femme. Quelle est la nature de ce magnétisme ? Son origine ? Et d'ailleurs, ce magnétisme est-il unilatéral ? Qu'implique-t-il ?



Hubert Jarrod doit essayer de dénouer cet imbroglio aidé d'une redoutable partenaire en la personne de la mère King, pas forcément la meilleure carte pour apprendre à lire dans le jeu de la fille...



Dans Musique Noire, Faulkner nous déplace à Porto Rico, dans une ambiance qui, au départ, pourrait éventuellement rappeler celle du Vieil Homme Et La Mer, mais qui, par la suite, s'en détache notablement.



On essaie de comprendre ce qui a bien pu amener Wilfred Migleston à venir s'enterrer dans l'île vingt-cinq ans plus tôt et à vivre désormais comme un trois-quarts clochard, sans ami, sans argent, sans toit véritable et même sans avoir appris trois mots d'espagnol depuis tout ce temps.



Les cancans vont bon train, on lui attribue toutes les réputations, du malfrat en fuite au nœud-nœud de service mais, en pareil cas, le mieux est peut-être de l'écouter s'expliquer lui-même, non ? Alors, écoutons-le.



Deux nouvelles intrigantes donc, bien menées, dont la facture évoque plus clairement les écrivains américains de l'entre-deux-guerres tels Hemingway, Steinbeck ou Caldwell, où la psychologie humaine est bien malaxées entre les mains d'un maître potier nommé Faulkner. Pourtant, comme le Horla pour Maupassant, ce n'est pas dans ce genre de nouvelles que je prends le plus de plaisir, d'où cette appréciation mitigée.



En outre, vous savez bien maintenant que cela n'est que mon avis, assis depuis bien trop longtemps sur son vieux banc, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Tandis que j'agonise

Ayant déjà lu Le Bruit et la Fureur, j’étais prêt à revivre une nouvelle aventure avec un autre roman de William Faulkner : Tandis que j’agonise. Un véritable défi puisqu’il s’agit d’une lecture exigeante qui demande beaucoup d’attention. A vrai dire, on se sent comme à la recherche de la solution d’une énigme dont les indices sont éparpillés et enfermés hermétiquement dans des cachettes obscures. Et l’on doit ainsi suivre et trouver tout ce qui peut nous aider à comprendre ces mystères. C’est comme si William Faulkner n’informe pas, il cache, et par conséquent, c’est au lecteur de reconstituer l’histoire.



Tandis que j’agonise est un exercice de lecture à la fois difficile et captivant, puisqu’à chaque fois qu’on éclaircisse un événement ou on découvre un secret, on est plus content et plus excité aussi. Cette difficulté vient de plusieurs éléments. D’abord, le nombre de narrateurs, presque une quinzaine. Et là le lecteur doit s’adapter à la psychologie de chaque personnage puisque chaque chapitre raconté par un personnage est une sorte de monologue où le narrateur s’exprime avec liberté. Cette méthode s’inscrit dans ce qu’on appelle le courant de conscience et qu’on retrouve aussi chez Virginia Woolf entre autres. Ensuite, la narration polyphonique ne suit pas toujours un déroulement purement chronologique ; des flash-back, des ellipses narratives et parfois de véritables délires ou paroles d’enfant entrent en jeu. N’oublions pas que les narrateurs sont diverses et représentent des âges aussi différents et une multitude de caractères. Enfin, il est plus question d’expression intime et de monologue interne que de véritable narration ; autrement dit le narrateur ne cherche pas à informer le lecteur mais d’exprimer ses sentiments, de justifier ses actes, de juger les actes des autres et parfois de donner libre cours à ses divagations.



Tandis que j’agonise ; titre assez poétique ! cela est normal puisqu’il est inspiré d’Homère. Chose étrange, le titre de son roman précédent Le Bruit et La Fureur lui aussi est inspiré d’un poète ; Shakespeare. Tandis que j’agonise est une marche funèbre dans l’impossible à travers les misères d’une famille où chaque membre est isolé comme une île dans un archipel. Chacun est animé par des sentiments différents et un but personnel (pour certains personnages) tout en participant à ce voyage qui devient une véritable odyssée. L’affaire tourne mal et effleure la catastrophe. Chaque personnage est affecté d’une manière ou d’une autre. L’auteur, avec une excellente maîtrise psychologique, a réussi à mener jusqu’au bout son défi romanesque et à maintenir la tension jusqu’au bout en multipliant les coups de théâtre. La chute du roman même en est une.



A vrai dire, je ne veux pas donner plus d’indices pour ne pas ôter le charme d’une lecture sans à priori.

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Sanctuaire

J'ai abandonné la lecture de ce livre. J'ai résisté jusqu'à la centième page, barrière psychologique faisant que, si je m'ennuie ou si je ne comprends rien (les deux ici mon Général !), je jette le gant comme on le disait au Moyen Âge. Alors je n'accuse personne... surtout pas Faulkner (pas envie de me faire lyncher en place publique !!! ) et je me dis qu'il faudra peut-être attendre le dég... euh, déclic (ceci dit, j'attends toujours celui pour Joyce mais il ne veut pas arriver ) pour apprécier à sa juste valeur (ou pas) ce bouquin !
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Le bruit et la fureur

Voilà un exercice extrêmement périlleux... comment parler de ce livre de Faulkner, Le bruit et la fureur, sans se prendre les pieds dans le tapis ?



Parce que ce n'est pas une lecture facile... elle demande du temps, de la concentration, d'accepter de ne pas tout comprendre immédiatement et qui se mérite !



Mais quel génie ce Faulkner ! Pour ma part j'adore absolument tout ce que j'ai déjà lu de lui et ce livre ne fait pas exception !



Le bruit et la fureur raconte le déclin de la famille Compson en donnant la parole à tour de rôle aux trois fils de la famille : Benjamin, Quentin et Jason. Ils ont une sœur, Caddie, et une nièce, Quentin, que nous ne connaîtront qu'à travers eux.



Ce livre est divisé en quatre partie qui vont decrescendo dans la difficulté :



Partie 1 : Nous sommes dans la tête de Benjy, un handicapé mental, qui ressens les choses plus qu'il ne les comprend et à qui un mot ou une odeur suffisent à lui refaire penser à un événement passé. Il n'a aucune notion du temps et la difficulté de cette partie est de situer les événements dans le temps.



Partie 2 : C'est Quentin qui prend la parole alors qu'il a pris la décision de se suicider. Là encore le discours est fragmenté avec des sauts dans le temps car Quentin est au bord de la folie et ses propos sont souvent décousus.



Partie 3 : Enfin Jason peut dire ce qu'il a sur le cœur. C'est le puiné, celui qui a pâti des avantages accordés à Quentin et Caddie, ses aînés. Il est aigri et c'est le méchant de l'histoire. Cette partie là est plus facile à suivre



La dernière partie est classique avec un narrateur anonyme qui déplace l'histoire sur le point de vue des serviteurs noirs de la famille.



Je lis ce livre pour la deuxième fois et toujours avec le même plaisir ! Le bruit et la fureur fait partie de ces livres où l'on redécouvre de nouvelles choses à chaque relecture et dont on ne se lasse pas !



Et ce qui a été encore plus intéressant c'est que je l'ai relu dans le cadre d'une Lecture Commune et nos avis ont été très partagés avec des débats pertinents sur les points de vue de chacun (et toujours dans la bonne humeur)... Pour ma part, nos échanges m'ont permis de mieux comprendre la pensée de Benjy !



Alors je ne peux que conseiller d'aller lire les avis de mes compagnes et compagnons de lecture sur Babelio, dans le désordre :

@Yaena @berni_29 @catherineCM @dannso

@DianaAuzou @El_Camaleon_Barbudo @Fanny1980

@Gromit33 @HordeDuContrevent @HundredDreams

@Isacom @mcd30 @michemuche @MYLUCHINE

@NicolaK @Patlancien @SabrinaTrublet @yellowsub
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Le bruit et la fureur

On ne peut pas aborder « le bruit et la fureur » de Faulkner comme n’importe quel autre livre. Il se mérite et il sait aussi se faire désirer. On rencontre la complexité de l’œuvre au détour de chaque page, de chaque mot ou de chaque personnage. Ne cherchez pas la chronologie de l’histoire, elle est inexistante…Faulkner l’a volontairement bouleversée, Le présent et le futur sont supprimés seul subsiste le passé. Les mots sont disposés les uns à côté des autres sans ponctuation, comme dans un torrent impétueux et sauvage, un déluge verbiage qui vous emporte dans la folie de l’auteur. Les personnages eux même se télescopent, s’entremêlent, se perdent et nous perdent dans cette obscurité de forme et de fond…



Puis c’est la révélation. Elle vient tout doucement à pas feutrés car elle n’est ni mystique ni religieuse. Elle est comme une petite lueur au fond de la nuit, pas facile à voir mais bien présente quand même. Pour certains lecteurs, elle sera insuffisante et leur fera rebrousser chemin et c’est bien compréhensible. Pour d’autres, elle aura la force d’un phare et les attirera dans ses rayons de lumière pour ne plus les lâcher. Nous sommes bien en présence d’une révolution littéraire voulue par Faulkner lui-même et c’est là, la différence et la clé de l’ouvrage. Déçu par ces premiers essais qui ne rencontraient aucun succès, il avait décidé avec ce roman de s’affranchir de toute contrainte afin de devenir son propre éditeur pour écrire en toute liberté…



Cette liberté d’écriture va lui permettre de se découvrir et d’innover dans un style exempt de servitudes où ses propres pensées vont jaillir les unes après les autres. Au-delà des mots et des formes grammaticales, Faulkner va se libérer et nous libérer du classicisme littéraire pour nous permettre de sortir des sentiers battus. Son romantisme débridé et déluré va nous interloquer et nous bousculer au point de ne plus retrouver nos repères de lecteur traditionnel. Coup de bluff de l’écrivain ou folie de l’homme, personne à part lui ne pourra répondre à cette question. Encore moins le lecteur qui restera sur sa faim…certains crieront à l’imposteur et d’autres au génie.



« Le bruit et la fureur » nous raconte l’histoire des Compson, une famille du Sud des Etats Unis, lors de la grande dépression de 1929. C’est une fratrie composée de quatre personnages qui va retenir notre attention durant tout le roman. L’ainé Quentin qui doit réussir obligatoirement dans la vie, Caddy la seule fille de la famille qui tombe enceinte et qu’il faut absolument marier, Jason qui n’accepte pas d’être le troisième dans l’ordre de succession, et enfin Benjy le simple d’esprit et dernier né. Cette histoire contient quatre grandes parties, deux monologues et deux récits classiques.



C’est le récit d’une famille patriarcale où les femmes jouent un grand rôle, une famille d’aristocrates blancs qui n’a pas réussi à se remettre de l’abolition de l’esclavage et qui continue d’utiliser leurs serviteurs noirs. C’est aussi une famille qui va devoir se déposséder de sa fortune et de ses plantations afin de payer les études de leur fils ainé ou le mariage de leur fille, une famille qui ne sait plus aimer où qui le fait mal et souvent à contretemps, une famille aussi écartelée entre le monde d’avant et le monde de demain. Une famille enfin sans avenir qui s’arc-boute sur son passé pour vivre son présent.



Cette histoire est désespérément simple dans sa conclusion mais le génie de Faulkner est d’en faire une œuvre exceptionnelle au niveau de son schéma narratif. En effet, Faulkner arrive à nous livrer en trois jours, sans détour et habilement, les trente-trois ans de la vie d’une famille. Une prouesse littéraire où la laideur des sentiments se heurte à beauté de l’âme humaine, où la misère des noirs s’oppose à la richesse des blancs, le handicap mental s’affranchit de l’intelligence machiavélique et où la vie prend le dessus sur la mort.



« Le bruit et la fureur » est un roman qui ne laisse pas indiffèrent. On l’aimera où on le détestera. C’est sa force mais aussi son originalité. Il porte en lui une souffrance qui peut abimer comme transcender son lecteur. Merci à tous mes amis Babeliotes d’avoir partagé leurs ressentis et surtout de l’avoir fait « sans bruit et sans fureur » au cours d’une inoubliable lecture commune.





« Dilsey entendit les pieds traverser la salle à manger, puis la porte s’ouvrit et Luster entra, suivi d’un grand gaillard fait, semblait-il, d’une substance dont les molécules paraissaient n’avoir voulu, ou n’avoir pu, s’agglutiner ni se fixer sur le squelette qui en était le support. Sa peau sans poil avait l’air d’être morte ; hydropique également, il avançait d’un pas balancé et traînant, comme un ours apprivoisé. Ses cheveux étaient pâles et fins. On les lui avait brossés bien également sur le front, comme les cheveux des enfants sur les daguerréotypes. Il avait des yeux clairs, du bleu pâle et doux des bleuets. Sa bouche épaisse était entrouverte et un peu de bave en coulait. »

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Le bruit et la fureur

Alors comment dire ?



Commençons par le positif, ce que j’ai aimé dans ce livre. En même temps ça ne va pas prendre beaucoup de temps.



Le titre d’abord, mais ce n’est pas de lui, mais de Shakespeare, c’est peut-être pour cela que j’ai aimé.

Et puis de temps en temps, un passage, plein de poésie qui reposait ma tête fatiguée d’errer dans les méandres des pensées, des divagations des protagonistes.

Et puis aussi quelques belles images, comme celle du temps personnalisé pour Quentin (l’oncle) par cette montre sans aiguilles, le temps qu’il ne peut arrêter, même si les aiguilles ne sont plus là pour l’indiquer.



Voilà,et ce que je n’ai pas aimé, c’est la façon dont l’auteur écrit, cela m’a donné l’impression d’être enfermée, à la limite du malaise. J’ai découvert ce sentiment dès la première partie, espérant ensuite trouver une narration plus structurée. Et quand j’ai abordé les deux parties suivantes, j’ai retrouvé ces longs monologues, suivant la pensée de chacun des deux autres frères. Je me suis aperçue alors que cette première partie était en fait celle qui me convainquait le plus. Parce que celui qui raconte est un idiot, et si l’on revient au titre en élargissant la citation, c’est tout à fait cela.

« Told by an idiot, full of sound and fury

Signifying nothing… »

Ne signifiant rien ...



Et ce procédé qui se comprend pour cet homme de 33 ans qui est resté un enfant, je n’ai pas réussi à en comprendre la finalité pour les autres, et le procédé m’a paru artificiel.



Au vu de la réputation de ce classique de la littérature et des notes sur Babelio, j’ai dû passer à côté de quelque chose. Mais, et malgré la recommandation de Faulkner lui-même, je ne pense pas que j’essaierai de le relire pour trouver ce dont il s’agit. Et sans tous les participants à cette lecture commune que je remercie, j’aurais sans doute abandonné en chemin.

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Le bruit et la fureur

The Sound & the Fury


Traduction : Maurice-Edgar Coindreau





Avant d’aborder « Le Bruit et la Fureur », ami Lecteur, mieux vaut prendre vos précautions.


Sachez donc avant toute chose que vous mettez les pieds dans une chronologie bouleversée de fond et comble et que son auteur laisse, pantelante, derrière lui. Le roman comporte en effet quatre parties. Mais attention : sur ces sections, seule la dernière, qui se déroule le 8 avril 1928, occupe la place qui lui revient.


D'un point de vue strictement chronologique, la première partie du roman, qui décrit la folie croissante menant Quentin Compson au suicide, se situe le 2 juin 1910 mais Faulkner la place en seconde position dans son plan. Les événements du 6 avril 1928, qui ont pour héros principal Jason II Compson, l’un de ses frères, se situent quant à eux en troisième position. Enfin, ceux du 7 avril, qui révèlent la vision du monde de Benjy Compson, l’autre frère du suicidé, nous sont racontés d’entrée, dans la première partie.


Le lecteur averti voit déjà l’intérêt qu’il y a à lire « Le Bruit et la Fureur » tel que son auteur l’a conçu et puis, quelques mois plus tard, en remettant un peu d’ordre dans cette chronologie en apparence insensée mais qui se calque en fait sur l'esprit du "narrateur" principal : Benjy.


Autre embûche de taille, volontairement placée là par Faulkner : la confusion des prénoms. Qui a lu ne serait-ce que le très classique « Sanctuaire » sait déjà que l’auteur sudiste éprouvait un malin plaisir à semer le doute sur l’identité à laquelle se rapportent dans ses œuvres tel ou tel pronom personnel. Mais dans « Le Bruit et la Fureur », ce procédé atteint le summum.


Faulkner a pourtant opté pour un trompe-l'oeil des plus simples : il a pris deux prénoms, « Jason » et « Quentin », et les a donnés dans chacun des cas à deux personnages de génération différente.


Le premier Jason, c’est le père de la nichée, un père dont on entrevoit de temps à autre la silhouette accablée par les événements et volontiers tentée par l'alcool. Aristocrate sudiste, il a épousé une jeune fille de son monde et a eu d'elle quatre enfants : trois garçons et une fille.


Le premier Quentin est le fils qui doit aller à Harvard. Malheureusement, il a reçu de sa mère névrosée une tendance à se créer des mondes imaginaires un peu trop envahissants. Pour sauver sa soeur bien-aimée d'un mariage avec un homme qu'elle déteste, il a l'idée de se prétendre le père de l'enfant qu'elle a conçu de son amant. Mais son père, à qui il avoue un inceste non accompli mais qu'il appelle de tous ses voeux, ne le croit pas et le renvoie à ses études. Désespéré par le mariage-sauvetage de sa soeur, Quentin se suicide. La seconde partie du roman nous retrace son cheminement lent et obstiné vers la folie auto-destructrice.


Maurice était au départ un bébé comme les autres. Puis, la vérité atroce s'est fait jour : Maurice, le second fils, ainsi nommé en l'honneur du frère de sa mère, est en réalité un enfant handicapé. Alors, on le dépossède de son prénom , dont il n'est plus digne et on lui substitue celui de Benjamin (Benjy). Et puis on le laisse grandir, avec toujours un serviteur noir à ses côtés pour le surveiller. Au début du roman, Benjy a trente-trois ans et à la suite d'un incident avec une fillette, sa famille l'a fait castrer.


Jason, le troisième fils, est celui que l'on a sacrifié pour payer des études inachevées à Quentin et dénicher un mariage réparateur pour sa soeur. Aigri, fielleux mais responsable, il n'a plus qu'une passion - ou presque : l'argent. Personnage énigmatique à plus d'un titre, il exaspère le lecteur et l'attendrit pourtant car, qu'on le veuille ou non, Jason est bien une victime, au même titre que Benjy.


La fille, Candace, dite « Candy », qui était particulièrement attachée à son frère handicapé, a failli déshonorer la famille en se faisant faire un enfant par un amant dont elle refuse de livrer le nom. En 1910, elle se résoud à faire un mariage de convenance qui assurera un nom à son enfant mais divorce après la Grande guerre. Menant désormais une vie plus ou moins cosmopolite, elle se résigne à laisser sa fille - qu'elle a baptisée "Quentin" en souvenir de son frère disparu - à sa propre mère, à charge pour celle-ci de l'élever comme doit l'être une Compson.


C'est avec le personnage tout en bouillonnements et en révoltes de Quentin II que Faulkner nous dévoile l'autre passion de Jason, son oncle. Même s'il hait sa nièce au point de lui soutenir que sa mère ne s'intéresse pas à elle et ne participe en rien à son entretien (en réalité, il s'arrange pour encaisser les mandats envoyés par Candy) Jason semble bien nourrir au plus profond de lui-même une attirance inexplicable pour Quentin - comme une ombre de la passion incestueuse jadis éprouvée par son frère Quentin envers leur soeur.


Une fois que le lecteur s’est familiarisé tant bien que mal avec cette valse du temps et des identités ainsi qu'avec le dédale des monologues intérieurs, il lui reste encore à affronter le personnage de Benjy qui, dans la première comme dans la dernière partie, nous conte l’histoire de sa famille, ces Compson si orgueilleux et si riches, peu à peu réduits à la portion congrue, mais vue par lui, l’handicapé mental. Une vision par conséquent fragmentée et kaléidoscopique mais non dépourvue de logique – pour peu, évidemment, qu’on n’ait pas trop de mal à suivre celle de Benjy.


Avec Benjy, Dilsey, la vieille servante noire qui assure l’intendance de la maison, demeure le personnage le plus touchant – le plus déchirant aussi. Pilier vivant de cette famille en pleine décomposition, elle veille à ce que nul n’abuse de cet innocent qui, à trente-trois ans, se révèle incapable d’exprimer les joies et les peines qu’il ressent autrement que par des grognements et des hurlements. Elle n’y parvient pas toujours mais au moins, elle s’y efforce. Et sa bonté résignée, qui ne comprend ni le pourquoi, ni le comment de cette malédiction pesant sur un être sans défenses, constitue la seule trouée de lumière de ce livre que William Faulkner plaça sous le patronage de la tirade désespérée de « Macbeth » :


« … […] La vie n’est qu’une ombre qui passe, un pauvre acteur


Qui, son heure durant, se pavane et s’agite


Et puis qu’on n’entend plus : un histoire contée


Par un idiot, pleine de bruit et de fureur


Et qui ne veut rien dire. […] … »


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Le bruit et la fureur

Chef d'œuvre ! Publié en 1929, ce désormais "classique" de la littérature américaine a ouvert la voie à de nombreux romanciers contemporains. Je l'avais lu il y a vingt-cinq ans, deux fois coup sur coup. Je viens de le relire ; deux fois à nouveau. Avec ce livre, soit on se décourage et on le ferme au bout de cinquante pages, soit on le lit au moins deux fois. Hermétique, incompréhensible, voire rebutant à première lecture, Le bruit et la fureur offre un plaisir de lecture somptueux dès lors que l'on a franchi les étapes d'initiation qu'exige le procédé littéraire adopté par William Faulkner. Il me fait penser aux symphonies de Mahler, dont la musique peut être perçue comme bruit et fureur par celui qui l'écoute sans préparation et pour la première fois.



Cadre des événements : le Sud des Etats-Unis, au début du vingtième siècle. La guerre de Sécession est encore dans les esprits. Si l'esclavage n'existe plus, les pratiques de ségrégation raciale restent sans limites. Le livre tourne autour d'une ancienne famille de planteurs, en voie de décomposition matérielle et morale, sur une trentaine d'années ; trois frères, Quentin, Benjamin, Jason, et une sœur, Caddy, personnage central du roman bien qu'absente. Le roman est constitué de quatre parties, chaque frère étant narrateur d'un chapitre sous forme d'un monologue intérieur, le quatrième chapitre étant une narration classique.



Benjamin, ou Benjy, déficient mental lourd, un idiot comme on disait, est le "narrateur" du premier chapitre. Nous sommes en 1928, il a trente-trois ans. Incohérent, son soliloque mental part de ce qu'il ressent quand il parcourt ce qui reste du domaine familial où tout lui rappelle sa sœur absente Caddy, des sensations visuelles, olfactives et auditives qu'il ne comprend pas, mais qui lui font revenir en désordre les souvenirs de différents moments de son enfance.



Le deuxième chapitre se situe dix-huit ans plus tôt, à Harvard, où étudie Quentin, l'ainé ; un jeune homme tourmenté, idéaliste, écorché vif. Tout en préparant son suicide, il ressasse des réminiscences décousues et des pensées délirantes, où se mêlent son désespoir à l'annonce du mariage de Caddy, à laquelle il est lié par des fantasmes incestueux et morbides, et sa jalousie haineuse à l'égard de ceux qui sont plus doués, plus heureux ou plus riches que lui.



Puis on revient à 1928, avec Jason ... Lui, c'est le sale con par excellence ! Un esprit négatif, soupçonneux, égocentrique ; vénal et sans scrupules ; raciste et antisémite au delà de l'imaginable. Frustré de rester le seul homme en mesure de faire vivre la famille, il manipule sa vieille mère malade imaginaire et cherche à martyriser sa nièce, la fille de Caddy, élevée par sa grand-mère et nommée Quentin en hommage pour son oncle disparu.



Car non content de ne (presque) pas donner d'indication de dates pour les moments évoqués par les trois frères dans des "flashbacks" désordonnés et elliptiques, Faulkner prend un malin plaisir à donner le même prénom à plusieurs personnes de différentes générations, ce qui rend très difficile la reconstitution de la chronologie des évènements, notamment dans les deux cents pages où Benjy et Quentin divaguent et extravaguent.



La lecture de ces deux chapitres est ardue, de nombreux passages paraissent incompréhensibles. A chaque fois, je me suis accroché, quitte à passer sur les zones d'ombres. Certaines se clarifient dans les deux derniers chapitres, plus accessibles, l'écriture perdant en magie poétique mais gagnant en lisibilité. Les événements s'y révèlent dans leur objectivité et leur brutalité. En relisant ensuite la première partie du livre, on comprend que ces évènements sont déjà évoqués, mais qu'ils ont été plus ou moins transformés, occultés ou embrouillés par leurs narrateurs selon leur propre ressenti. C'est ce qui les rendait inintelligibles lors de la première lecture.



Pour lire Le bruit et la fureur dans sa complétude et avec du plaisir, il est nécessaire de se faire aider. C'est comme dans une exposition : il n'est jamais inutile de se faire commenter les œuvres.... et pas seulement les contemporaines. C'est comme pour l'opéra : difficile d'apprécier la complexité et la cohérence du Ring de Wagner sans s'être fait expliquer la trame des péripéties et le principe des leitmotiv. Les éditions françaises du bruit et la fureur comportent une excellente préface. Il faut la lire avant de se lancer dans le roman et ne pas hésiter à y revenir par la suite ; cela fait partie du cursus d'initiation.



Mais quel intérêt de lire un roman dont on connait l'essentiel de l'histoire avant, objecteront certains ! Pas grave ; ce roman est un puzzle dont on connait l'image finale. Et l'on cherche à la reconstituer, fragment par fragment, en décodant l'expression très subjective, chaotique et elliptique des personnages auxquels Faulkner donne la parole.



L'histoire en elle-même importe peu. C'est la littérature et la poésie qui comptent.


Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Le bruit et la fureur

pas sûr d'avoir tout appréhendé !

4 parties- 4 histoires- je passe rapide les deux premières (tout à déjà été dit dans les critiques précédentes !) plus proches des écrits d'un petit carnet à spirales d'un psychanalyste !!!!! donc on reprend pied au 3 em chapitre, on assimile on digère on digresse encore un peu puis nous voilà dans l'épilogue .......m'enfin !!!! heureux ceux qui auront compris la chute !????? mais là ! Chuttt .......

Par contre je suis très étonné que ce livre n'ai pas fait l'objet de plus de polémique !? on tire à vue sur le " nègre" ,le "juif" mais on lui attribue un Nobel ! ( le Mississipi est le dernier état américain a avoir ratifié en 2013 l'amendement interdisant l'esclavage !!!!!!)

j'ai donc rajouté les Etiquettes : Mississipi, Psychanalyse, ParanoÏa, Flash-back ...





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Absalon, Absalon !

Un univers tragique digne des maudits Atrides, mais en version fluviale, Mississippi et longues phrases hypnotiques qui charrient l’effarement, les souvenirs et ressassements des fantômes dupés du Sud ténébreux.

Celui de ces fantômes dupés qui est au centre du livre, autour duquel s’enroulent les phrases titubantes et haletantes des narrateurs, c’est Thomas Sutpen. À noter, puisqu’on nous présente parfois Faulkner comme enraciné dans un terroir, Sutpen n’est pas originaire du Mississippi, c’est un déraciné, au départ un petit môme d’un coin de montagne en Virginie-Occidentale, qui ressemble étonnamment chez Faulkner au monde d’avant la société civile de Rousseau:

«là où il habitait, la terre était au premier venu et à tout le monde, si bien que celui qui se serait donné la peine d’en clôturer un lopin en disant «ceci est à moi» aurait été un fou; quant aux biens, personne n’en possédait plus que son voisin, parce que chacun ne possédait que ce qu’il avait la force et l’énergie de prendre et de garder, et qu’il n’y aurait eu que ce fou à se donner la peine de prendre et de désirer plus qu’il n’aurait pu manger ou échanger contre de la poudre ou du whisky.»

C’est en émigrant que Stupen va apprendre que la société peut être divisée en compartiments nettement déterminés selon la quantité de biens que l’on possède et la couleur de sa peau. Et concevoir, alors qu’il n’est qu’un jeune adolescent, l’ambition obstinée d’appartenir à la classe des riches planteurs.

L’histoire d’une ambition, bon, on pourrait penser que c’est un terrain bien balisé. Mais on n’est pas dans un roman du XIXéme siècle, ici les choses sont bien plus compliquées à appréhender, et on a parfois l’impression de se retrouver perdus en forêt profonde. L’aspect si déroutant du roman tient en partie aux particularités des narrateurs, à la «voix revêche, inquiète, effarée» de Rosa Coldfield qui raconte à Quentin Compson son histoire du démon-Sutpen «jusqu’à ce qu’enfin on cessa de l’écouter, qu’on ne l’entendît plus que de façon confuse». À la façon dont Quentin cherche à saisir ou plutôt à rêver cette histoire, écoutant Miss Rosa ou son père, s’interrogeant, se projetant par l’imaginaire au côté des Sutpen, échafaudant des hypothèses en discutant avec son ami Shreve,

«tous deux créant entre eux deux, à l’aide d’un ramassis de vieilles histoires et de vieux ragots, des personnages qui, peut-être, n’avaient jamais existé nulle part».

Un style narratif tumultueux, déboussolant, une écriture poétique, ténébreuse, hantée, qui semble plonger de multiples racines dans la culture universelle: Bible, tragédie grecque, tout aussi bien que la malédiction liée à l'origine de l'inégalité dans le Discours de notre Jean-Jacques «vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne», à laquelle s’ajoute la malédiction du Sud, qui a oublié aussi qu’un être humain ne pouvait être la propriété d’un autre - une écriture unique, puissante, sidérante, qui donne au roman une épaisseur incroyable.
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