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Critiques de Witold Gombrowicz (150)
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Ferdydurke

Je sors mitigée de cette lecture…Les premières pages m'avaient emballée mais au fil de la lecture mon enthousiasme a décru. L'histoire est originale, imaginez un monde où une certaine catégorie d'adultes veulent rendre le monde immature et infantile. Imaginez des écoles où sont scolarisés des hommes de 20 à 30 ans et qui ne semblent pas se rendre compte de leur âge. À travers certains chapitres on suit les péripéties de JoJo qui tente de trouver son équilibre entre maturité et immaturité, modernisme et tradition, en fait il essaye de trouver sa « forme » , sa personnalité , il essaye de « grandir » . D'autre part, des chapitres s'insèrent au milieu avec des histoires qui n'ont à priori pas de relation avec la notre, mais qui donnent des clés pour mieux la comprendre, l'analyser ( J'ai eu du mal !) … Un chapitre sur l'art … Un autre sur le comportement humain en société et ce que engendre chaque comportement sur les autres ( effet papillon)… Mon résumé vous parait désordonné ? sans fil conducteur ? Eh bien c'est l'esprit du livre…Mais ce n'est pas cela qui m'a ennuyée, en fait, je l'ai trouvé long pour ce qu'il contenait même si très intéressant et réflexif. Ce livre sort des sentiers battus… Il a failli plusieurs fois me tomber des mains , mais je ne regrette pas de m'être obstinée car en fermant la dernière page, j'ai eu cette sensation quand a lorsqu'on vient

de finir une lecture et qu'on sais qu'elle laissera quelque chose d'elle en nous …
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Ferdydurke

(lu il y a 4 mois - Traduction de George Sédir)



P.55 « J’avais la conviction que, si la réalité pouvait en un seul instant recouvrer ses droits, le caractère grotesque de mon incroyable situation deviendrait si manifeste que tous s’écrieraient :



« Qu’est ce que cet homme mûr fait ici ? »



Mais l’étrangeté générale étouffait celle de mon cas particulier. Oh, montrez-moi seulement un visage qui ne soit pas déformé, qui me permette de discerner les grimaces du mien ! Mais on ne voyait à la ronde que des visages disloqués, laminés, retournés, dans lesquels le mien se reflétait comme dans un miroir déformant, et ces reflets savaient bien me retenir ! Rêve ou réalité ? »



Ferdydurke est il capable d’échapper à la forme ? Lui est-il possible de refuser d’imploser de lui-même lorsqu’il est soumis à une très forte caractérisation ? Dans ce cas, toute tentative de l’estampiller, y compris avec la même férocité que l’édition contemporaine, devrait être vaine. C’est ce que nous allons voir !



*** Commençons par flatter lourdement le contenu de l’ouvrage ***



Ce livre est une merveille, et ça casse la baraque !

Gombrowicz rappelle par combien de « gueule » et de « cul-cul » il faut passer, et met le doigt sur une souffrance élémentaire et primordiale de l’humanité. Le livre décrit une guerre : celui de l’individu contre la saleté intellectuelle du monde.



Ferdydurke, c’est en somme le récit de l’homme se débattant non pas contre des forces qui le dépassent, mais contre sa propre médiocrité.



*** Réalisons maintenant un petit résumé avec une image choc, quelque chose qui passerait bien à la télévision ***



Il s’agit d’un livre purement humain, original et profondément novateur, qui procède d’une vision du monde que l’on pourrait désigner comme une « absurdité réaliste », dans laquelle les composantes physiques des personnes et de la société se seraient gonflées ou ratatinées selon des dimensions purement intellectuelles. Le monde que l’ont voit par Ferdydurke, c’est un peu comme ces dessins de personnages absurdement déformés montrés par les neurochirurgiens représentant les membres humains avec des échelles proportionnelles aux nombres de leurs connexions dans le cerveau.



***Ah ! Comme c’est synthétique ! Un vrai Philidor n’aurait pas fait mieux. Adoptons, pour nous amuser un peu, un point de vue analytique à présent : ***



L’académisme poussiéreux, les critiques littéraires, mais aussi l’élite intellectuelle emprunt de snobisme et de modernisme sont visés par les fantaisies de ce livre. On retrouve également une dénonciation des antagonismes maitre-valet, professeur-élève et moderne-ancien. Ainsi, le maître n’agit en maître uniquement parce que les regards que lui porte son valet lui apparaissent séduisants, Le professeur n’enseigne que pour combler une ignorance qu’il a lui-même suggérée par l’effet de son pédantisme, etc…



*** Oh ! Voila notre livre qui se déchire en morceaux, les feuilles éparses s’envolent au vent ! Il est urgent de jouer les pédants, à la manière de T. Pimko, pour le maintenir dans son unité ***



C’est avant tout une dénonciation de la sclérose de l’activité artistique. On comprend que la Pologne soit engoncée dans un académisme bon teint lorsque l’on sait que son ère romantique, qui constitue la période héroïque de sa littérature, a été l’occasion d’une certaine surenchère patriotique et mystique. Citons les noms d’Adam Mickiewicz qui s’est en effet imposé comme le chantre de la destinée de son Pays et Zygmunt Krasinski qui a fait de la Pologne rien moins que le « Le Christ parmi les nations ».



***Maintenant que nous tenons cette masse de feuillets agrafées, tentons d’en tirer monnaie sonante et trébuchante en adoptant un point de vue purement utilitariste : ***



Entamer un argumentaire face à un personne qui puiserait ses répliques dans Ferdydurke, c’est un peu comme s’attaquer à un disciple de Krav Maga, vouloir sculpter de l’eau, réaliser un collier de perles avec des mains savonneuses. Il s’agit du joker affable et souriant dans le paquet de cartes de la littérature.



*** Voici que notre livre est devenu utile ! Comme cela est froid et moderne ! A l’image du mollet de la jeune Zuta. Pour finir, livrons nous, comme tout commentateur contemporain qui se respecte, à une lecture avec une « perspective de grenouille », comme le disait si bien notre philosophe moustachu, en tentant de déformer violement cet ouvrage en cédant à un fiel tout personnel et surtout, ancré dans l’actualité : ***



Et d’ailleurs, combien d’entre nous, vieux ou jeune misanthrope aigris que nous somme, ont vu des argumentaires soigneusement construits démolis par la manifestation d’une ignorance crasse ou par le minable des situations ! Combien de bonnes intentions mises à mal par une puérilité obligatoire, de comportements authentiques neutralisés par l’importance qu’a pu s’octroyer à un moment fatidique une poignée de crétins…



*** Ha ha ! Voici un jeune idéaliste qui mériterait de faire sa crise parmi les élèves de M. le Directeur Piorkowski ! N’est ce pas M. le professeur ? ***



« Ils ne veulent pas être de bonnes petites pommes de terre bien tendres. »



Le traducteur : George Sédir (1927-2005) était diplomate, poète, romancier, essayiste et critique. Il a traduit essentiellement Gombrowicz et Miłosz. Il s’est tout particulièrement intéressé au mysticisme Asiatique. On imagine facilement la difficulté pour lui qu’a constituée la traduction de toutes les facéties de Ferdydurke.

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Ferdydurke

Il n’est pas facile de parler du style de Gombrowicz car justement il ne veut pas qu’on le range dans un style, et il fait tout pour que ce ne soit pas possible ! Il considère qu’il en est de même avec les individus, son héros, celui de Ferdydurke, fait donc tout pour échapper à la « gueule » et au « cucul », c'est-à-dire en gros qu’on le range dans une classe, une catégorie ou qu’on l’infantilise.



Il ne faut pas vous fier à ces mots et penser que ça doit voler très bas, au contraire ce roman de Gombrowicz est plutôt d’ordre philosophique (ça ne plairait pas à Gombrowicz que je le classe comme ça), il considère qu’il est quasi impossible pour un individu d’en aborder un autre sans lui donner une « forme ». C’est pourtant ce à quoi le personnage principal essaie constamment d’échapper. D’abord à l’école où on tente de l’infantiliser alors qu’il a 30 ans, ensuite dans une famille d’accueil dont il tente de casser l’image de modernité par tous les moyens, et enfin à la campagne où lui et son ami sèment la pagaille dans la relation entre la noblesse rurale et leurs domestiques. Cette histoire (si on peut appeler ça une histoire) est entrecoupée de chapitres n’ayant rien à voir (ou sinon indirectement) avec le reste, manière de rendre ce roman un peu plus inclassable.



Personnellement j’apprécie les idées et théories de Gombrowicz mais ai justement un peu plus de mal avec la forme. Cette volonté d’ « immaturité » (Gombrowicz préconise l’ « immaturité » pour lutter contre la « forme », en effet dans l’ « immaturité » il n’y a pas encore de « forme » établie) donne quelques passages assez drôles et clairement originaux mais à la longue on se lasse un peu, ce n’était peut-être pas fait pour être tout un roman, plusieurs nouvelles auraient, il me semble, fait l’affaire. C’est pourquoi si vous n’accrochez pas je vous conseille de le lire un peu dans le désordre (et je suis sûr que ça plairait à Gombrowicz).
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Cosmos

La fascination du néant. La bifurcation du destin. Un lapsus de trop. La chair rutilante, l'absence derrière, sémiotique des sens.

L'exploration se poursuit sur des chemins de traverse, de Ferdydurke à Cosmos: Gombrowicz fait sa contrebande, fourguant son immaturité au premier venu, menant son chariot bringuebalant vers des terres plus accueillantes, jusqu'à ces puceaux exhibés de la Pornographie, obscénité de la politique ou politique de l'obscène. Mais la forme c'est le tout, cosmos ordonné des oeuvres, insaisissable. Roman unique, si lourd de conséquences, à la limite du conscient.
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Ferdydurke

Poursuivant la découverte de l'œuvre de Gombrowicz, je me suis attelé à "Ferdydurke". Même si rien n'est comparable, j'ai moins adhéré que "Cosmos", néanmoins cela reste de la haute voltige délirante et absurde. Résumer ? La gueule et le cucul ? Oui bon ça n'avance pas grand-chose que de dire cela. Il s'agit, je dirais, d'un récit vaguement autoficitonnel et bien déjanté, limite surréaliste parfois, qui part d'une enfance d'un bourgeois qui dans sa tentative de séduction d'une jeune lycéenne face à son maladif problème d'interactions sociales, va finir par avorter au profit d'une virée campagnarde avec un de ses amis noble en quête de fraternisation. Il veut fraterniser avec qui ? Un pauvre, un manant, un serviteur... Ils en prennent un au hasard et le roman prend une tout autre dimension. Le cynisme aristocratique ne cache nullement son esclavagisme décomplexé. "Faut leur taper sur le museau, ils aiment bien cela". Quant à la fraternisation... Bolchevik ? Pédé ? PLls que la narration proprement décousue et savamment déglinguée, je me suis attaché aux introspections des personnages, aux réflexions, aux thèmes (l'éducation en prend pour son grade), aux débats que ce genre d'œuvre sulfureuse et résolument moderne peut apporter. Ici on quitte aisément le récit pour insérer une scène de théâtre, pour virer à la poésie... Roman total ? Pourquoi pas. Toujours est-il qu'on se fait happer par cette hystérie aristocratique qui se croit capable de tout et qui le prouve. Du coup de hache dans une jambe à l'épiage de la bienaimée en passant par un noble qui monte sur le dos d'un serviteur en pleine partie de chasse. Oui, ils peuvent tout se permettre et force est de constater qu'ils se le permettent encore, même si la noblesse ne se transmet plus forcément de la même manière (même si ça aussi, ça se discute). Bref, cette chronique datée nous parle toujours et encore d'aujourd'hui avec une verve et une virtuosité littéraire indiscutable, donc soit je ne me suis pas autant éclaté qu'avec "Cosmos", mais cela demeure du grand Gombrowicz.
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Kronos

Beaucoup de ses lecteurs (dont moi) considèrent que Le Journal de l’auteur, composé de trois très lourds volumes, est le sommet de son œuvre. Et voilà que l’épouse de l’écrivain ressort un journal secret, celui qu’il écrivait pour lui, et qui d’après ce qu’elle dit, est la chose qu’il lui recommandait de sauver en premier en cas d’un incendie. Alors évidemment cela intrigue, et donne une envie irrésistible à tout amoureux de Gombrowicz d’aller voir de quoi il s’agit.



Gombrowicz a commencé à écrire Kronos en 1953, il a fait une reconstitution sommaire des événements précédents de sa vie, il est remonté ainsi jusqu’en 1922, l’année où il a obtenu son bac, mais c’est parfois fort bref. Cela s’étoffe à partir de 1939, et devient réellement relativement détaillé à partir de l’année où il a commencé à le rédiger.



Ce texte est très différent du Journal, pas réellement littéraire, parfois cela relève d’un style télégraphique. Gombrowicz décrit ce qui lui arrive, d’une façon factuelle. Il résume chaque année, les rubriques qui reviennent concernent sa santé, l’état de ses finances, son travail d’écrivain (surtout du point de vue de sa reconnaissance) et sa vie érotique. Il ne faut vraiment pas y cherche un intérêt artistique, ni espérer des détails à proprement parlé croustillants, c’est très sec



C’est donc très différent du Journal, et n’aura pas de réel intérêt pour ceux qui ne connaissent pas l’œuvre et au moins un peu l’homme. C’est un document, un témoignage. C’est une lecture qu’il vaut mieux espacer, car cette notation de faits, dont la plupart seraient insignifiants chez le commun des mortels, pourrait vite devenir lassante.



Mais c’est une véritable mine pour ceux qui s’intéressent ou se passionnent pour Gombrowicz, et même si cela à mon sens ne change pas en profondeur les lectures que l’on peut avoir de ses œuvres, en particulier celles de fiction, cela permet d’avoir une autre vision de l’homme. Un homme qui a connu à certaines périodes la véritable misère, qui a eu d’énormes soucis de santé, qui a connu divers déboires en rapport avec son homosexualité. Une existence très amère, terminée par une mort précoce (65 ans) au moment où les choses allaient incontestablement mieux pour lui.



Il me sera difficile de relire Le Journal, avec ses ironies et son humour féroce, son impitoyable façon de disséquer les hommes et le monde, ses fanfaronnades et provocations, sans penser à ce que fut sa vie quotidienne au même moment.

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Cosmos

Un court roman très difficile à résumer. Deux adolescents qui ont fraichement fait connaissance au cours de leur fuite (l'un de sa famille, l'autre de son chef) atterrissent dans une pension. Chacun d'eux semble angoissé et en déroute, aspiré dans une fuite en avant. Dès leur arrivée, ils vont remarquer une succession de phénomènes curieux (bien que parfois anodins), prêter à leurs hôtes des mœurs bizarres, puis ils vont tenter d'agréger ce tout, de résoudre l'énigme qui se déroule sous leurs yeux. S'ensuit une escalade qui semble inévitable, car tout est alors interprété et disséqué, et un peu comme dans un roman policier, chaque personnage devient tantôt suspect, louche, complice, déviant, etc.. J'attendais de ce roman qu'il soit un autre « Ferdydurke » ; il l'a certes plus été que « Les envoûtés » ou « La pornographie » et j'y ai même presque cru au milieu du livre, mais je suis resté sur ma faim.
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La Pornographie

Ce roman met en scène deux hommes d'âge mûr qui, pour leur propre plaisir, vont tenter de pousser deux jeunes gens dans les bras l'un de l'autre. Ils le font par érotisme, au nom de l'esthétique, mais dans une démarche égoïste ; d'ailleurs, ils n'ont cure de la notion de bien ou de mal dans les moyens qu'ils vont mettre en œuvre (essentiellement de la manipulation verbale à l'origine), comme des conséquences de leurs intrigues. Cette histoire m'a mis souvent mal à l'aise (même si l'écriture est plaisante), notamment par la façon dont ces deux hommes faits sont réellement prêts à tout, extrémistes, pour assouvir leur désir pervers et manipuler (voire salir) la jeunesse de ces deux adolescents, faute de pouvoir en obtenir une deuxième pour eux (de jeunesse).
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Souvenirs de Pologne

Les Souvenirs de Pologne sont des feuilletons écrits au début des années 60 pour la Radio Europe Libre de Munich, et retrouvés en 1976 dans les papiers posthumes de Gombrowicz (avec un autre "feuilleton" : Pérégrinations argentines).

Né en 1904, Gombrowicz y livre ses souvenirs de jeunesse, une vie de jeune "bien-né", dans la campagne polonaise de la région de Varsovie, où il se plaît à jouer à l'aristocrate devant les amis.

Il admet volontiers l'excès de "snobisme", d'affectation, qui l'habite, et réfléchit souvent sur la condition des "Seigneurs" comme lui et sa famille par rapport aux gens simples. Ses remarques frôlent parfois la mégalomanie et il le reconnaît lui-même ! Witold G. n'aime pas étudier, ne fait aucun effort, se moque du système éducatif, tout en parvenant à obtenir sur le fil du rasoir son diplôme de droit. Sans beaucoup plus d'enthousiasme, il part étudier à l'Institut des hautes études internationales de Paris. Son récit de sa "visite" du musée du Louvre est inhabituel... et inoubliable !



Gombrowicz décrit d'un ton parfois badin sa relation avec ses pairs, ses débuts d'écrivain, ses réflexions sur la "polonité" et l'Europe, sans trop s'attarder du reste sur les événements de l'Histoire (guerre avec la Russie en 1920, coup d'Etat du maréchal Pilsudski en mai 1926, décès de Pilsudski en 1935, montée du nazisme...). Il adopte une attitude ambiguë par rapport au service militaire : il ne veut pas le faire, et finalement quand sa mère obtient de l'en dispenser, il se sent humilié de ne pas porter l'uniforme aux côtés des patriotes (il se retrouve ainsi dans le manoir familial à la campagne seul au milieu des domestiques).



L'écriture de Gombrowicz est souvent moqueuse, il pose un regard sans concessions sur les artistes qui se disent artistes, et son livre fourmille d'anecdotes sur les écrivains polonais qu'il a croisés durant cette période. (Malheureusement, quand on ne connaît pas du tout ces personnes comme c'est mon cas, ce "name-dropping" continu peut parfois tourner à vide...).





Ce "journal" nous apprend beaucoup de choses sur la Pologne de l'entre-deux guerres, le milieu artistique et littéraire, et explique la quête par Gombrowicz d'un style littéraire nouveau, "une forme" particulière, inédite, de littérature. Afin de mieux comprendre ce qu'il entend par cette "forme", on est obligé de découvrir les romans écrits par Witold Gombrowicz. et Cosmos fut pour moi une révélation...



Complément biographique (d'après Wikipedia) :

La publication des "Mémoires du temps de l'Immaturité" en 1933 puis de "Ferdydurke" en 1937 a imposé Gombrowicz comme l'enfant terrible de la littérature moderne polonaise. Il se lie avec les écrivains d'avant-garde Bruno Schulz et Stanislas Witkiewicz. Arrivé en Argentine pour un court séjour en 1939, l'invasion de la Pologne par l'Allemagne nazie le dissuade de rentrer en Europe, il restera 25 ans en Argentine. Gombrowicz revient en Europe en 1963, à Berlin puis en France où il décède en 1969.

L'œuvre de Gombrowicz, interdite en Pologne par les nazis puis par les communistes, tomba dans un relatif oubli jusqu'en 1957 où la censure fut levée provisoirement.
Lien : http://coquelicoquillages.bl..
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Ferdydurke

Attention, livre extraordinaire.



On a un livre chez soi qu'on doit lire, ça traîne, il est là, on en lit d'autres, on vaque... et puis un jour on ouvre ce livre, et... mon Dieu !! On ne s'y attendait pas ! Non, pas à ça ! C'est l'Amour.



Des milliers de livres sont publiés chaque année, et ne nous pouvons pas tous les lire. Alors la question à se poser c'est: lesquels vont rester ? Lesquels vont compter ? Lesquels seront comme des amis qui vous accompagneront toute votre vie ? Ferdydurke est, incontestablement, l'un de ces amis.



Cette critique n'est qu'une grossière approche, je le précise. le livre est très riche.



La lecture peut être ardue au départ, à cause de de la dinguerie ambiante et de la densité des images et des idées, mais une fois que l'on s'habitue et que l'on comprend, surtout, où l'auteur veut en venir, le livre se dévore. D'abord, il s'agit d'un livre drôle. D'un humour décapant, irrévérencieux, absurde. Ensuite, il s'agit d'un livre intelligent, d'une intelligence supérieure, affranchie de tout préjugé. Il ne ressemble à aucun autre (ceux qui ont lu "Bakakai" comprendront). Ce n'est pas le précis Wharton, le tendre Giono, le profond Dostoiewski, ou même un Kafka, un Gogol, qu'on lit tranquillement dans le ronronnement de son cerveau... ce sont des livres intéressants, magnifiques... des livres qu'on connaît bien, dont on sait où ils vont, et ce qu'ils veulent. Mais avec Gombrovicz, on entre dans une autre dimension: on sent que des connexions neuronales inhabituelles se créent.



Ferdydurke (le titre n'a bien sûr aucun rapport avec quoi que ce soit), c'est la critique de la forme, ou plutôt de l'absence de forme. le héros est un bouchon qui flotte sur l'eau de l'existence, sans forme propre hormis celle que lui font les autres, infantilisé en permanence par les autres, sans vraie identité possible. Il est d'abord sommé par un pédant de retourner à l'école, puis se retrouve chez le couple Lejeune, où il est (ne tombe pas, est directement, par définition) amoureux d'une lycéenne "moderne", réussit à s'enfuir à la campagne et tombe nez à nez avec sa tante, sur quoi il prend la forme d'un hobereau traditionnel. Pour fuir encore, il enlève la jeune fille de la maison, ou croit l'enlever car c'est elle qui en réalité l'a pris. Epuisé, il ne peut plus lutter et l'on comprend qu'il a atteint l'infantilisation ultime: la mise sous contrôle d'une épouse, l'enfermement dans le pays du mariage. Mais il veut fuir encore ("Courez après moi si vous voulez, je m'enfuis la gueule entre les mains")...



A travers ces situations tordantes et délirantes (tout le monde finit toujours par se battre et se taper, révélant que l'humanité est totalement immature malgré ses grands airs), l'auteur dévoile sans pitié les dessous humains, nos dessous. le professeur digne et pédant est un dragueur de lycéennes comme les autres. La mère de la lycéenne, la femme ingénieur Lejeune, est une perverse lorsqu'elle encourage sa fille à avoir un enfant naturel, les pédagogues sont avant tout terrorisés par l'inspecteur, ils sont d'ailleurs choisis pour leur absence totale d'idées personnelles, les seigneurs sont soumis à leurs domestiques autant que les domestiques aux seigneurs, les grand poètes ennuient tout le monde... tout ce beau monde a choisi sa forme, joue son rôle avec sérieux, mais lorsqu'on les titille un peu, ils se délitent et deviennent encore plus informes, encore plus incohérents, que le héros lui-même. Et ils ne paraissent même pas très bien savoir pourquoi ils sont ce qu'ils sont, ni comment ils peuvent rester ce qu'ils sont, ils n'arrivent pas à se justifier donc ils finissent par s'énerver, par taper. Même le valet de ferme, idéal du sincère, du direct, du brut, du non éduqué, du non culturel, se délite, lorsqu'il comprend qu'il peut rendre les coups à son maître. Il prend alors lui-même une autre forme. Mientus, un camarade du héros, un garçon de la ville éduqué et sophistiqué, était parti à la recherche du valet de ferme, pensant trouver en lui la délivrance: échec.



Il s'agit en parallèle d'une réflexion sur l'art (notamment dans les deux digressions insérées au milieu du roman), qui est traité comme tout le reste: il est pure forme, ou bien fortuit. Puisque aucun livre n'est parfait, aucun livre ne peut embrasser la totalité des choses, on doit s'en tenir à une partie, une partie d'idée, de lecteur, de corps... ainsi, et le lecteur et le pédant spécialiste "feront une gueule" à ce livre, la gueule qu'il voudront. le pédant réécrira le livres selon son école, et le lecteur sera dérangé par un coup de téléphone et la cuisson des côtelettes. "Et voilà tralala... Zut à celui qui le lira!". La poésie n'est d'ailleurs d'une histoire de Mollets (de jambes, dirions-nous aujourd'hui ?). Un poème entier peut se traduire par "Mollets mollets mollets mollets "etc... la jeune lycéenne a des mollets formidables. Les lettres d'amour qu'elle reçoit se gardent bien de parler des mollets d'ailleurs.

Solution: "Arrêtez de faire joujou avec l'art".



Où est l'homme ? Que reste-t-il après "cet acte de déformation que l'homme commet sur l'homme" ? "Où m'adresser, que faire, où prendre ma place dans le monde ?". Pas de solution hormis" à nouveau fuir en d'autres hommes".



La Forme (dont la manifestation la plus sophistiquée est l'art) est non seulement fausse, mais aussi dangereuse, c'est la grande pourvoyeuse de pédants, de viols et de guerres. Allons, humains, ne prenons pas trop aux sérieux nos gueules et nos cuculs.



Avec Gombrovicz c'est sans pitié: la vérité avant tout. le propos est sincère, sans compromis, sans tentative de plaire ou de tromper. Et c'est la sincérité qui fait les grands livres. Mais le livre est drôle aussi, c'est sa façon sans doute d'être poli lorsqu'il nous accable de toutes ces vérités.



Bref, Ferdydurke, ça envoie du lourd. Y'a du niveau comme on dit... et ça rafraîchit bien, ça nettoie bien, car après, on sait à quoi s'en tenir, on n'a plus trop envie de lire moyen.



Saluons la superbe traduction de Georges Sédir.
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Cours de philosophie en six heures un quart

Il est des accidents que l'on regarde avec un sourire gêné. Un petit peu comme un ami qui tient des propos fort dommageables pour sa crédibilité. On voudrait lui dire de se taire pour préserver ce qui reste de cohérence mais devant l'assemblée c'est impossible.

Alors peut être que cet ouvrage pour des personnes qui n'y connaissent pas grand chose en philosophie est agréable, peut être que pour les personnes qui souhaitent être autodidactes c'est un bon début mais il y a tellement de faussetés par simplification, tellement d'opinion personnelle sur ce que tel ou tel philosophe aurait voulu dire qu'on en vient à lire des contre sens. Le contresens en philosophie étant ce qu'il y a de pire, on se retrouve avec un ouvrage mal écrit, mal présenté, décousu, et parsemé de petites erreurs qui tuent le sens de la pensée des certains philosophes.

Je préfère retenir le Gombrowicz romancier ou nouvelliste.
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Le festin chez la comtesse Fritouille et au..

Voici trois nouvelles de très grande qualité, tant littéraire que symbolique : l'émergence progressive de l'absurde provoque un sentiment d'étrangeté qui se mue peu à peu en gêne, puis en malaise. Elles se lisent comme des contes métaphysiques avec une pluralité d'interprétations possibles. Voici celles que j'ai relevées à première lecture :

-"Meurtre avec préméditation" traite de l'absurdité de la logique menée jusqu'à son extrême limite au mépris du bon sens, de la manipulation des faits et de l'ambiguïté des sentiments ;

-"Virginité" aborde les paradoxes de l'innocence maintenue au détriment de la vérité, de l'amour de la vie et de la sauvegarde personnelle dans un monde où le jeu consiste, pour les loups, à salir la proie la plus pure possible : autrement dit, la vierge fait le prédateur, et tout est organisé pour le plus grand bénéfice du second. Une autre morale pourrait être :"L'homme n'est ni ange ni bête et le malheur est que qui veut trop faire l'ange fait la bête" (Pascal) ;

-"Le festin chez la comtesse Fritouille" traite de l'imperméabilité des classes sociales entre elles, fondée sur l'imposture idéologique, le cynisme et la lapidation symbolique des naïfs ne possédant pas les codes requis : la noblesse, en particulier, oppose, pour les berner, une façade de raffinement et de préciosité aux badauds, mais a conservé les instincts carnassiers de la soldatesque qui la fonda et l'arrogance acquise au fil des siècles.

Des allusions à l'anti-sémitisme de la société polonaise du début du 20 ème siècle affleurent ici et là.
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Ferdydurke

D’une forme sans convention, au-delà des normes, où l’on se sent pris dans un étau comme dans ce monde incompris. Ce roman est empli de paradoxes aussi puissants que la légèreté et la pesanteur, la maturité et l’immaturité, le moderne et le dépassé. Tout cela, entremêlé d’histoires déraisonnables où le sens n’est justement pas ce qui importe, seulement l’insignifiance.

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Cosmos

j'ai lu les différentes critiques laissées sur le site par mes amis lecteurs, car je l'avoue humblement, je n'ai vraiment rien compris a ce livre. hermétisme total. Irritation du fait, frustration même. Samuel Beckett, par comparaison, me parle, me touche, me fait sourire, me donne mal au ventre, m'angoisse. Même si je pense ne pas tout saisir (d'où les plaisirs de la relecture)!!

Ce livre, cet auteur? (je ne pense pas refaire une nouvelle tentative) marque sans doute ma limite dans l'absurde.

Alors que je cachais encore mes excès de sébum, un vieil homme(sage), m'avait dit :"le plus difficile dans la lecture, c'est de tourner les pages".

Cette fois, c'était facile...
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Cosmos

Savoureux ! Une écriture, un récit... prenant ! mais surtout par la façon de l'auteur de mettre en FORME son intrigue, les dialogues etc. :



Ce livre est une révélation littéraire (même à mon âge - je veux dire après avoir tant lu et lu ! : découvrir un auteur né en 1904..., dont je n'avais JAMAIS entendu parler...). Or, en 1967, "Cosmos" reçut le Prix International de Littérature.

Mieux vaut tard que jamais pour découvrir ce "Cosmos" de Gombrowitcz ! Un style littéraire, une accroche l'air de rien...

Il faut ouvrir le livre, tenir bon les premières pages en se demandant si cela vaut la peine, puis on est "aspiré" par les mots, les tournures, les réflexions du narrateur auxquelles on finit par adhérer (pourtant cela confine parfois à l'absurde !! mais on y adhère et on rit et on est fasciné !)



Avant de lire "Cosmos", roman de 1965, j'ai lu pour me mettre en bouche, il y a quelques jours, ses "Souvenirs de Pologne" qui m'ont donné un aperçu du personnage... Car C'EST UN PERSONNAGE, ce Witold G. ! Au demeurant, il se met personnellement en scène dans ce livre (le narrateur est "Witold") et certainement dans d'autres que je n'ai pas encore lus...



L'intrigue de Cosmos se dessine en arrière-plan de remarques banales sur les OBJETS, la façon dont les choses "sont" (un verre sur le guéridon, le bouchon d'une bouteille, une lézarde au plafond, un clou planté au bas d'un mur, des fils de laine...).

La construction littéraire, la "forme" adoptée par l'auteur, alimentent le suspense, et le lecteur suit avec passion les avancées du récit.



Sur un ton posé et "matérialiste" (les moindres détails sont enregistrés et catalogués), Gombrowicz relate ses réflexions... et plus d'une fois, le comique est au rendez-vous et l'on éclate de rire. Ainsi, à propos de ce moineau trouvé pendu (cf. la 4e de couv' du livre), WG remarque que le moineau est "toujours occupé à la même chose, faisant toujours la même chose, il pendait, il pendait, il pendait toujours." Et alors il écrit qu'il devrait "peut-être le saluer de la main ?" !!



Et "les bouches"... oui, les "bouches" ! Elle jouent un rôle particulier dans le récit, dès le début - et ces remarques sur les bouches des uns des autres nous interpellent souvent tellement elles sont insolites... mais capitales dans la trame du récit :

"Et sa bouche, après la bouche du prêtre... comme la pendaison du bout de bois donnant un sens à la pendaison du moineau... comme la pendaison du chat à celle du bout de bois... comme les objets enfoncés menant aux coups frappés... comme j'avais renforcé le berg par mon berg."

Tous ces questionnements sur des points apparemment anodins qui jalonnent le recit, font de Cosmos un livre unique. A savourer sans modération.
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Ferdydurke

Renégat de la modernité



Quelle vigoureuse ironie est celle qui s'échappe de “Ferdydurke” de Witold Gombrowicz !

Il saisit le “moderne” au col et ne le lâche plus jusqu'à ce que celui-ci se soit regardé dans un miroir pour contempler avec effroi tout son ridicule.

Le “moderne”, ce pourfendeur servile et bien-pensant d'un monde qu'il juge archaïque, n'est en fait qu'une ombre d'être, et encore ! plutôt l'ombre d'une ombre, c'est tout dire !

Le “moderne” ne déteste rien tant que la réalité dans ce qu'elle a de plus étrange et il entend bien tout aplanir, accéder à la transparence absolue, tout polir, tout niveler par le bas.



Dans ce livre inclassable, Gombrowicz fustige – et avec quelle prescience ! –, l'infantilisation dans laquelle nous sommes dès lors englués jusqu'au cou.

Il assène une gifle retentissante sur la joue flasque de l'homme moderne : cet être “sympa” au sourire béat, qui assume son inanité avec une grande indulgence envers lui-même ; ce génial “enfonceur de portes ouvertes” ; cet être insipide et dépourvu de tout sentiment de grandeur, inaccessible au doute, à l'angoisse métaphysique.

En somme, le moderne est celui qui sait que la partie est gagnée d'avance ou bien, plus simplement, qu'elle n'a pas à être jouée.



Witold Gombrowicz, pour notre malheur et notre grand plaisir de lecteur, nous dresse le portrait de jeunes gens voués au culte du corps et qui singent bêtement les adultes.

Avec en face d'eux, des simulacres d'adultes désespérément gâteux qui parodient les jeunes gens et leur vouent une idolâtrie pathétique.

Gombrowicz nous annonce une société où l'adulte en aura assez d'assumer sa responsabilité de tuteur, sa lourde tâche d'être pensant. Il déchire le rideau d'une société tout entière dédiée à l'adolescence, à la médiocrité, à l'oubli, à la petitesse, à la reptation servile.

Les marchands d'oeillères vont faire des choux gras. Amnésiques, faites vos voeux, rien ne va plus !

Le narrateur va se charger d'être un grain de sable dans cette machinerie trop bien huilée.

Il va, peu à peu, instiller un poison dans la conscience débile des fantômes d'êtres qu'il côtoie : le poison de la lucidité.



“Ferdydurke” n'est pas sans m'évoquer “Le Livre du rire et de l'oubli” de Milan Kundera – et surtout la Sixième partie du récit, intitulée Les anges, et dans laquelle l'héroïne, Tamina, se retrouve sur une île remplie d'enfants, qui semblent à première vue plutôt innocents mais qui vont faire vivre un véritable cauchemar à la jeune femme.

Il n'y a pas d'innocents : ce livre de Gombrowicz le clame avec force. Quelques êtres habitués, revenus de tout, inconsistants et dérisoires peuplent ce roman furieusement ironique.

Après tout, l'ironie n'est-elle pas en quelque sorte l'énergie du désespoir ?

Cet ouvrage désespérément drôle façonné par l'auteur de “La Pornographie”, m'évoque également la douleur d'être vu tel que l'on n'est pas.

Je repense aux derniers mots du livre : « Courez après moi si vous voulez. Je m'enfuis la gueule entre les mains. »



Tout entière tournée vers le refus, cette oeuvre tente de sauver ce qui peut encore l'être : le rire ; l'implacable rire de celui qui n'a plus rien à perdre.



“Ferdydurke”, ce mot qui ne veut rien dire, je pourrais lui donner le sens de “nullement”.

“Vous avez cru me voir tel que je suis réellement ?”

“Nullement !”

Vous m'avez vu tour à tour comme un être grandiose ou misérable et vous n'y étiez pas.

Je ne suis ni l'un ni l'autre. J'échappe à vos nomenclatures étriquées.

Et pour que vous ne me “dévisagiez” plus, “je m'enfuis la gueule entre les mains.”



Thibault Marconnet

18/12/2013
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Ferdydurke

Un roman loufoque sur l'infantilisation au sens large : les maîtres assistés dans tous leurs gestes par les valets ou la masse abrutie par la bien-pensance... Quelques longueurs, beaucoup d'absurdité et de l'humour... Le mieux reste de le lire sans rien chercher à anticiper et de se laisser aller aux péripéties sans jugement particulier. Une lecture déconcertante.
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Journal, tome I : 1953-1956

Comment expliquer qu'on aime un livre au point de le relire régulièrement sans s'en lasser mais au contraire en éprouvant à chaque relecture le même émerveillement et bonheur que lors de la première fois, et en découvrant des aspects nouveaux et inatendus à un texte que l'on connaît pourtant parfaitement? Un livre qu'une vie entière de lecture ne saurait épuiser? C'est cela pour moi le Journal de Gombrowicz, un plaisir et une découverte à chaque fois renouvelés.



Ces textes commencent en 1953 et se terminent en 1969, l'année de la mort de l'auteur. Ils ont été dans un premier temps publié dans la revue Kultura, revue polonaise anti-communiste publiée en France d'un très haut niveau culturelle, avant d'être publiés en volumes, puis traduits.



Gombrowicz y aborde de multiples sujets, littérature, musique, philosophie, politique, religion, la Pologne, l'Argentine, les milieux littéraires et intellectuels.... Tout cela de façon féroce et irrespectueuse, rien n'est sacré et tout est objet de critiques. Une intelligence aiguisée et une méchanceté jubilatoire sont ses armes favorites. En même temps il est au centre de son oeuvre, pas seulement par son regard sur les choses mais aussi par une interrogation permanente sur lui même, il se construit et se déconstruit dans une recherche permanente d'une forme impossible à fixer, il recherche son sens propre en tant qu'individu. Il est aussi conscient du regard du lecteur potentiel, et ne lui facilite pas la tâche, il essai de le perturber, le déstabiliser, le surprendre, le choquer. D'ailleurs de nombreux lecteurs de Kultura écrivaient régulièrement des lettres de protestations, ce qu'il savait, on sent par moment une jouissance anticipée de la protestation qu'il savait provoquer et qu'il recherchait avec délectation.



Le Journal se place au centre exacte de toutes les conceptions littéraires de l'auteur, de sa façon de concevoir l'écriture et son rapport au monde, toutes ses préoccupations et ambitions apparaissent dans Le Journal, et elles y sont en partie explicitées.



Gombrowicz s'est toujours tenu à l'écart de la foule, dont il méprisait le suivisme et la grégarité, se moquant parfois méchamment des modes intellectuelles. Il est constamment en recherche d'une écriture de soi, qui traduirait un sentiment de décalage entre l'identité lisse et définie que le jeu social impose à l'individu et sa réalité intime, faite d'inachèvement et d'incertitude.



C'est donc dans le conflit permanent entre la forme et l'antiforme, entre la maturité et l'immaturité que réside la solution, l'échappatoire à la pétrification de l'individu. A l'origine de l'écriture de Gombrowicz il y a le constat d'une inadéquation essentielle entre l'authenticité du sentiment d'exister et ce que nous sommes capables d'en communiquer aux autres. Installer le moi au centre de la perception du monde apparaît ainsi comme la principale stratégie littéraire de Gombrowicz. A la réalité extérieure ressentie comme étrangère il superpose une néo-réalité subjective qui est celle de son oeuvre. L'identité entre l'auteur, le personnage et la narrateur se resserre.



Tout cela s'ancre dans un univers littéraire fondé sur la réécriture, la parodie et la manipulation du lecteur. Sous les allures d'un grand seigneur réactionnaire du XIX siècle, se cache un dangereux révolutionnaire, prêt à dynamiter toutes les conventions, aussi bien celles du langage, que celles de la pensée.



Le Journal est un étrange objet : un mélange de propos intellectuels du niveau le plus élevé avec un humour de potache, tout ce qu'il y a de plus infantile, un refus de tout engagement, de toute adhésion à un mouvement, une remise en cause permanente de tout, y compris de lui-même. Une lecture salutaire, suscitant une réfléxion inépuisable. Au centre un homme certainement complètement détestable dans la vie (il ne peut s'empêcher d'écrire des terribles méchancetés sur tout le monde, même les gens qui l'ont aidé de façon désintéressée, terribles en partie parce qu'elles touchent toujours juste) mais un immense écrivain capable de transformer n'importe quel sujet en littérature la plus authentique. Une rencontre qui change la vie de tout lecteur qui arrive à pénétrer dans cet univers.
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La Pornographie

Un ouvrage très dérangeant. Je ne m'y suis jamais senti à l'aise et paradoxalement j'ai pris plaisir à le lire.

Récit très riche, qu'on pourrait rapprocher d'une sorte de roman philosophique existentialiste car le nerf du récit est le tourment du personnage principal. Un tourment dans sa compréhension du monde, souvent décalée, mais également dans la méconnaissance de la place qu'il doit ou devrait occuper.

Il existe un deuxième pan dans le récit (en fait il en existe plusieurs mais je dégage les deux qui m'ont principalement intéressés), qui est une sorte d'expérience esthétique de l'amour, ou de l'eros pour être précis, qui prend place dans le jeu malsain des deux protagonistes principaux à manipuler deux personnes afin qu'elles tombent amoureuses. Il y a donc une expérimentation esthétique dans le jeu de séduction, de manipulation du sentiment, et aussi un dilemme morale qui s'expose dans le rôle que tiennent chacun et dans le sens même de la manipulation.

Je conçois que cela paraisse confus mais c'est un livre dont la critique est peu aisée.

Le style est très agréable mais indéfinissable, j'avais l'impression qu'un ami me racontait une histoire qu'il aurait lui-même vécue. Peut être que l'implication que met Gombrowicz, la projection de sa personne dans sa narration y est pour quelque chose. Je n'ai pas su dire pourquoi j'avais moins aimé la deuxième partie de l'oeuvre même après relecture, peut être un sentiment de confusion.



Objectivement, c'est une très belle oeuvre qui possède toutes les qualités qu'on peut attendre d'un bon roman. Il faut juste aimer soutenir un malaise persistant. Moi j'ai aimé.
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Les envoûtés

Très beau roman qui s'attache de façon réussie à la psychologie des personnages, toujours très fouillée, et multiplie les réflexions sur les sentiments humains: la jalousie, l'amour filial, l'attirance sexuelle...

Un véritable réseau de liens est tissé entre les protagonistes et chacun semble avoir un double dans cette histoire aux accents gothiques très bienvenus. Walczak et Maya se ressemblent de manière troublante qui crée une gêne et comme un dégoût. Ennemis et complices tout à la fois, leur haine réciproque semble finalement se porter sur eux-mêmes. Maya se fait par exemple cette réflexion: "Voilà donc ce qu'il est, ce que je suis, ce que c'est... c'est donc cela ?"

Le prince est dépeint comme un être émouvant sous l'emprise de la douleur. Et chaque personnage est parfaitement campé.

Gombrowicz se livre également à une critique acerbe de la classe aristocratique.

La portée surnaturelle restera de toute façon comme une chappe plus puissante qu'une quelconque explication rationnelle.
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