Elle commence invariablement ainsi son propos : « Bonjour, je m'appelle May de Caux. Mais entre 1944 et 1945, je n'ai été que 55104. Ce n'était pas un code d'agent secret comme James Bond, mais - elle montre alors un triangle de tissu rouge portant ces chiffres - mon matricule de déportée politique à Ravensbrück. ».
Comment l'octogénaire, témoignant dans des écoles au début du XXI siècle, en est-elle arrivée là ?
C'est à Constantia, en Australie, lors de la « World rose convention » qu'un journaliste croise May qui préside la fédération mondiale de la rose. Son autorité, sa douceur, sa majesté subjuguent les participants et interpellent le reporter qui parcourt le monde pour la presse people, commet des publi-reportages touristiques chargés de provoquer un « effet waouh » en respectant la consigne éditoriale « pas de nuage sur les photos ». Son épouse l'a libéré en lui laissant un mot « moi aussi, j'aime voyager ». A Constantia notre homme rencontre Barbara une journaliste allemande.
Quelques mois après, à Paris, lors de la Panthéonisation de Valentine Royer, résistante qui fit passer la ligne de démarcation à des centaines de proscrits en étant fidèle au mot d'ordre « Les nazis, j'en veux pas », le journaliste reconnait May dans les rangs réservés aux déportés. Il se rend au siège de l'AEDF (Association d'Entraide des Déportées de France) où il apprend que la déportée à Ravensbrück le 10 juillet 1944 est née May du Bois de Saint-Rémens.
Le journaliste se rend à Saint-Rémens, dans l'Ain, près de Lyon, pour rencontrer May et Paul, son mari, ancien aviateur de l'escadrille Normandie Niémen, qui expliquent l'action du « réseau des châteaux » (romancée par Malaren dans « le sacre des impostures »), puis l'arrestation de May alors qu'elle convoyait un émetteur, sa déportation et son sauvetage en avril 1945 grâce au médecin d'Himmler qui négocie un accord avec la Suède.
Les rencontres se prolongent au fil des mois, Barbara s'y associe, et May transmet progressivement ses notes et confesse à Barbara les souffrances endurées par ces femmes irrégulières. « Ces textes sont importants, tu sais, ils racontent que la rose n'a pas été la seule cause du retour de May à la vie. Il y a eu autre chose : l'amour. Je les trouve magnifiques. Rédigés sur le vif, ils humanisent Paul et May, ils les dépouillent de - comment dis-tu ? - leur côté « grand genre », héros de la guerre, châtelains, etc. »
Nait alors l'idée d'écrire un livre, la recherche d'un éditeur, qui accepte en demandant au journaliste et à Barbara de s'effacer derrière May, puis le choix déterminant du titre de l'ouvrage … ainsi La Douceur parait et May capte l'attention des médias avant d'être sollicitée pour témoigner devant les écoliers.
Inspiré par la vie de Lily de Gerlache de Gomery, ce roman honore les sacrifices des résistantes et déportées et analyse leur difficile reconstruction physique et psychologique après les épreuves des camps. Il témoigne de la difficulté de témoigner car raconter c'est revivre l'horreur.
Etienne de Montety, en insérant Barbara, une allemande, dans la trame du roman, évoque « La rose blanche » et le sacrifice de Christopher Probst, Hans & Sophie Scholl qui furent victimes aussi du nazisme.
Paul de Caux en demandant au commandant Jean de Pikkendorff d'être son témoin de mariage ressuscite un instant Jean Raspail pour le plus grand bonheur des lecteurs et permet au romancier de montrer la genèse d'une oeuvre (archives, bibliothèques, enquêtes, témoignages).
Récompensé du Prix Jean d'Ormesson 2023, « La Douceur » poursuit une oeuvre dont j'ai déjà apprécié « Honoré d'Estienne d'Orves. Un héros français », « Des hommes irréguliers » et « La grande épreuve ».
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