En 1961, Raymond Depardon réalise plusieurs reportages photographiques en Algérie, puis à Évian, pendant les premières négociations pour mettre fin à la guerre. Les clichés algériens montrent surtout Alger. L'attention prêtée aux mouvements des personnes et aux lignes propres à l'environnement urbain dévoilent avec beaucoup de subtilité une ville sous tension, fracturée par la colonisation, et les images, loin des images du corpus orientaliste véhiculées par les colons, ne sont pas sans rappeler les images du célèbre film "La Bataille d'Alger".
À Évian, Depardon capte les visages, les sourires, les volutes de fumée de cigarette et les jolis costumes de la délégation algérienne, composée de jeunes militants. Certains d'entre eux, notamment Krim Belkacem, à la tête de la délégation, disparaîtront quelques années plus tard, dans les violences politiques post-indépendance.
Ces photographies, en plus de leur caractère esthétique et artistique, interrogent beaucoup, sur l'apport des images à l'histoire bien sûr, mais aussi sur la mémoire algérienne de la guerre d'indépendance, toujours disputée ardemment.
Près de soixante ans plus tard, Depardon fait part à l'auteur Kamel Daoud de son désir de voir ses photographies republiées. le romancier décide de s'en emparer et de leur adjoindre du texte. Les deux s'entendent pour ajouter aux images d'époque une nouvelle série de photographies prises en 2019 à Alger. le livre, "Son oeil dans ma main", est publié simultanément en France et en Algérie, aux éditions Barzakh, dont le rôle important dans les sciences humaines et la littérature est maintenant acquis.
L'auteur Kamel Daoud était l'invité des Matins du 14 février 2022.
#guerrealgerie #photographie #franceculture
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La quête du lieu acceptable, c'est la colonne vertébrale de l'errance.
''Errance''
En Afrique, je trouve que les populations, du Sud au Nord, ont un point en commun, c'est leur pudeur face à leurs difficultés.
C'est un exemple qu'elles nous donnent tous les jours. Pour certains Africains qui connaissent la langue française, je sais que le mot «douleur» est utilisé comme une salutation pour s'assurer de notre bien-être pendant notre séjour en Afrique: «Comment ça va avec la douleur?», comme un simple bonjour... Pudeur à parler des grandes douleurs.
Il y a toutes sortes de douleurs. Y a-t-il des grandes et des petites douleurs? Il y a surtout celle de la misère des vivants.
Le plus grand des privilèges pour un enfant angolais c'est de devenir adulte...!
Il y a quatorze millions d'enfants dans le monde qui meurent de chaque année ...
La solitude
J'étais toujours étonné du mot solitude. La solitude, on est toujours seul dans la vie de toute façon, même si on est entouré...Et...je n'avais pas la perception exacte de ce mot: solitude. Et comme je te l'ai écrit, je crois, c'est quand, après dîner le soir, à vingt-deux heures, t'es tout seul dans le fauteuil, tu regardes la télé, ou tu zappes ou tu...tu...tu t'embêtes, et là, c'est là que la solitude t'atteint.
J'écoutais une chanson de Léo ferré et puis aussi je crois de Juliette Gréco sur la solitude: on rentre dans son immeuble, et puis elle est assise là sur le palier, elle t'attend. C'étaient des mots, j'ai retenu,c'est de Léo Ferré, je crois, et ...je crois maintenant que je sais ce que c'est la solitude. Et on s'y adapte, on fait avec, mais d'autant plus difficilement qu'on a été tellement entouré par maman que...il faut réapprendre la vie un moment donné...moi je vais avoir quatre-vingt-ans, je suis bien physiquement, apparemment, mais heu...je réapprends à vivre. Je réapprends à cuisiner, je réapprends à sortir seul, je réapprends...enfin bref.
J'ai longtemps regretté de ne pas avoir filmé mon père. Est-ce qu'on peut filmer son père? Quand j'ai pensé à le filmer, il avait disparu, je ne sais pas si j'y serais arrivé... Aujourd'hui sans doute, mais il y a quarante ans, pas sûr. Le cadrer, lui poser des questions, j'en étais incapable.
Je n'ai pas fait de film sur mes parents, sur mon père, parce que je suis parti comme un idiot suivre l'affaire Claustre. Je suis parti dans le désert, j'ai foncé et je n'ai pas fait le film le plus important. Et je n'ai pas fait les photos non plus; c'était le plus beau sujet de ma vie, c'était le seul. On ne peut plus photographier maintenant ce monde rural qui a disparu. Je suis cinéaste, je fais des films, et je n'ai même pas tourné un film sur mes parents.
L’errance n’est ni le voyage ni la promenade mais cette expérience du monde qui renvoie à une question essentielle : qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi ici plutôt qu’ailleurs ? Comment vivre le plus longtemps possible dans le présent, c’est-à-dire être heureux ? Comment se regarder, s’accepter ? Qu’est-ce que je suis, qu’est-ce que je vaux, quel est mon regard ?
Durant ces six années [2004-2010], j’ai réalisé que la France des sous-préfectures était peu photographiée. J’avais fui cette France-là qui m’a vu naître, je me devais bien de lui consacrer du temps pour essayer de mieux la comprendre. J’ai déambulé comme sur la route de Beauregard à l’époque où j’allais à l’école en vélo, j’ai quitté tout doucement le monde rural pour entrer dans les zones intermédiaires de la périphérie qui mènent au centre-ville.
Mon premier souvenir des Américains: je devais avoir trois ou quatre ans, je me souviens que mon frère aîné m'entraînait à échanger des pommes du jardin contre des chewing-gums sur un petit chemin à côté de la ferme, à des GI qui remontaient après la Libération.
Ils cassaient les barrières en plaçant un pipe-line avec leurs gros GMC.. ils étaient grands, tout le monde était content, on ne parlait que d'eux.
" Au début, ça me disait trop rien de me marier.
Maintenant, c'est trop tard. Elles sont toutes parties en ville. Je regrette. Surtout la vaisselle et la lessive, ça fait peine. C'est le plus pénible. Et l'hiver, il y a des moments où ça manque quelqu'un avec qui on pourrait discuter."
Paul Argaud