Il faut dire qu'avant d'être cinéaste, Depardon est surtout un photographe de renom et de talent, fondateur de l'agence Gamma, et cela a une forcément une incidence sur la beauté de ses plans, ainsi que sur la qualité du regard de Depardon, toujours à la bonne distance, comme seule un photographe sait y être, inventant une sorte de marque de fabrique celle du photo-reportage.
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Ce concept du photo reportage est parfaitement illustré par la dernière oeuvre du maitre, que j'ai eu la chance de voir au cinéma, et que j'ai continué à plonger dans le livre qu'il a publié chez Seuil en complément de son projet cinématographique.
Pour "Les habitants", notre célèbre cinéaste-photographe - encore plus célèbre depuis qu'il avait été choisi pour faire la photo officielle du président François Hollande en 2012- a eu envie de partir sur les routes de France, dans des villes plutôt de taille moyenne, de Charleville-Mézières à Nice, de Sète à Cherbourg, partir à la rencontre des Français pour les écouter parler., recueillir leurs conversations, leurs accents et leurs façons de parler.
Un parti pris qui s’inscrit parfaitement dans l’œuvre du cinéaste, qui a toujours pris soin de donner la parole aux gens qu'on n'entend pas la plupart du temps. Depardon a ici pris le parti pris de filmer ces individus toujours par deux, et leur laissent totalement libres de discuter leur quotidien, sans jamais leur imposer de sujet. Pour cela, Depardon utilise des plans séquences fixes sur ces duo discutant dans sa caravane filmés de profil, et Depardon entrecoup simplement ces séquences avec un dispositif simple, des travellings sur les routes de France, un peu comme il le faisait déjà dans Jour de France, son dernier long métrage documentaire en date.
On ne saura presque rien de ces femmes et ces hommes attrapés en plein vol, mais grâce à des intonations et des vocabulaires particuliers, on arrive assez vite à les identifier et à les appréhender, pour voir devant nos yeux un portrait de la diversité française, nous donnant l'impression d'être des sortes de voisins de tablée de ces gens à la fois si loin et si proche de nous.
Résultat : on a affaire à des conversations parfois graves, parfois plus légeres qui tournent quasiment toujours autour du sujet du couple, des relations- amicales familiales- plutot pragmatiques, sans jamais que ces discussions n'interfèrent dans des sphères économiques, politiques ou culturelles, ce qu'on peut constater non sans une certaine amertume vu le contexte particulièrement difficile de cette année 2015 pendant laquelle Depardon a posé sa caméra.
Et dans la continuité du film, on peut aussi découvrir le livre photo des Habitants qui reproduit ces conversations séquence après séquence, telles qu’elles ont été enregistrées. Par discrétion, Raymond Depardon n’a indiqué ni l’âge, ni le sexe, ni la condition sociale des interlocuteurs, préférant comme dans son film nous réveler l'intimité de ces gens simplement par leurs mots, sans doute ce qui les définit le mieux.
Une fois plus Depardon nous interpelle et nous secoue pour un projet qui peut parfois laisser perplexe mais qui assurément est un enregistrement juste de notre société française et qui nous fait poser pas mal d'interrogations.
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