54.
Lettre à Henry-Louis Mermod
Charles-Ferdinand Ramuz
1941 [correspondance] : "Lettre à Henry-Louis Mermod", publication posthume, auto-édition, 43 pages, 2019. /// ARGUMENT : "Ramuz envoie une lettre à son éditeur suisse Henry-Louis Mermod. « Publier suppose public », lui écrit-il. L’écrivain, comme l’homme, se sent poussé à justifier ses choix face aux critiques. Comme il ne veut pas écrire pour un public instruit, ces gens du peuple dont il reprend le langage le lisent-ils ? Heureusement non, dit-il… Car ils échappent au savoir « scolaire » qui ne forme pas, mais déforme. Une certaine école ne reconnaît pas la différence, les dons plus subtils de ceux qui ne sont pas scolaires. Pourtant, ils ont d’autres valeurs : de l’expérience, un métier. Ils utilisent parfois des de sens très développés non reconnus : « l’école se méfie extrêmement des sens comme susceptibles justement de fournir à l’individu des renseignements qu’elle ne peut pas contrôler. …
Elle déteste le sens du mystère parce qu’elle distingue qu’il est la négation vivante de son enseignement ou de sa science. Au nom de sa grammaire, l’école déteste l’informulé ; au nom de sa syntaxe, le balbutiement. Or, qu’est-ce que fait l’homme, dans le fond de sa nature d’homme et en présence du mystère, si ce n’est de balbutier. »
Une certaine école, veut fabriquer des petits bourgeois avec les paysans, les ouvriers « et par mépris de leur nature et de la nature des choses, avec une conception tout abstraite du vrai, du bien, du beau, de ce qui doit se faire et de ce qui ne doit pas se faire au nom des signes, contre l’image » : l’école confond s’exprimer et s’expliquer. Alors ses personnages comme les gens du peuple, il les aime d’autant plus qu’ils échappent à cette nouvelle socialité « par la force de leur nature. »
Alors pourquoi et pour qui écrit-il ? Par besoin de communiquer : « L’auteur pose des questions à la terre et au ciel, et répond d’une certaine manière par là même à ceux qui posent des questions de la même espèce à ce même inconnu de la terre et du ciel. Il répond en faisant de ces questions des images ; il répond en incarnant ces questions, car le phénomène de l’art est un phénomène d’incarnation (ce que l’école ne comprend pas). »
Comment mieux définir le rôle de l’écrivain ? /// Charles Ferdinand Ramuz (1878-1947) est né à Lausanne, dans une famille de commerçants. Après une licence ès lettres classiques à l'Université de Lausanne, il enseigne au collège d'Aubonne (Vaud), puis est précepteur à Weimar (Allemagne).
En 1903, il part pour Paris, sous prétexte de rédiger une thèse sur Maurice de Guérin. Il séjourne à Paris jusqu'en 1914. Ramuz publie ses premiers textes en 1903 : « Le Petit village », un recueil de poèmes. L'année suivante, il est l'un des fondateurs de La Voile latine avec les écrivains C.A. Cingria et Gonzague de Reynolds et le poète Henry Spiess, qui veulent défendre la latinité contre la germanisation larvée de la langue française. Dans ses premiers textes, écrits lors de sa période parisienne ("Aline" (1905), "Jean-Luc persécuté" (1909), "Vie de Samuel Belet" (1913), "Aimé Pache, peintre vaudois" (1911)), Ramuz développe ses grands thèmes : solitude de l'homme face à la nature, poésie de la terre.
Les romans de cette période sont centrés sur un personnage.
En 1914, Ramuz retourne en Suisse où il mènera une vie relativement retirée. Ce retour coïncide avec une évolution dans son écriture: abandon de la narration chronologique et linéaire; multiplication des points de vue ; substitution, au protagoniste traditionnel, d'une collectivité qui s'exprime à travers le "on" anonyme. L'écriture cherche alors à exprimer, dans sa nudité, le drame de collectivités villageoises combattant les forces du mal, les forces qui travaillent ces communautés, guerre, misère, peurs, menaces cosmiques, mais également le plaisir de l'activité créatrice.
"Le règne de l'esprit malin" (1917), "La guérison des maladies" (1917), "Les signes parmi nous" (1919), "Présence de la mort" (1922), "La séparation des races" (1922) appartiennent au premier groupe ; "Salutation paysanne" (1919), "Terre du ciel" (1921), "Passage du poète" (1923), au deuxième. La fin des années 20 et le début des années 30 voient Ramuz atteindre la pleine maturité avec "La beauté sur la terre" (1927), "Adam et Ève" (1932), "Derborence" (1934), "Le garçon savoyard" (1936). Les personnages y incarnent les grands projets mythiques de l'homme. Le courant lyrique et poétique y est au service d'une vision tragique de l'homme pour qui seule la mort est au bout de la quête. Charles-Ferdinand Ramuz est mort le 23 mai 1947, à Pully, près de Lausanne."