On peut l'affirmer, à la suite de notre ami babeliote défricheur JimmyCz [dont nous relirons tous l'enthousiaste critique ci-dessous] : "Terre du Ciel" — ce dixième des 21 "romans-poèmes" ramuziens — est bien une véritable "Joie dans le Ciel" !
Hosannah au plus haut de Notre Terre...
"Joie dans le Ciel", certes... mais aussi sur cette belle et bonne vieille Terre. Soit le titre sous lequel - après une première publication artisanale à Lausanne (dans "Les Cahiers vaudois" dès novembre 1921, "édité par les soins de l'auteur") — Bernard Grasset décidera de le faire reparaître en 1925 à Paris pour un plus large public français...
Dix-sept courts chapitres d'une étonnante résurrection : le tout premier est un bref exposé d'un "Jour des Morts-Vivants", très solaire et vaudois... Les fronts donnent du menton pour resurgir intacts de la terre des cimetières. Résurrection des corps. Mais la ressemblance avec l'oeuvre cinématographique future de George A. ROMERO ("Night of the Living Dead", 1968 — & sequels...) s'arrêtera là.
Car les morts sont heureux de ressusciter. Ils ont tout simplement décidé d'être plus heureux, plus attentifs les uns aux autres, plus humains et sans tracas... La vie, d'ailleurs, leur semble infiniment plus douce qu' "avant"... Les saisons se ressemblent bien un peu toutes mais le climat est merveilleusement tempéré toute l'année... La vigne "donne" sans efforts — et sans mildiou ni grêlons... de l'aube au crépuscule, l'air est doux.
Adèle, la fille-mère infanticide voit l'enfant qu'elle a noyé revenir dans ses bras : elle va le mettre au lit et le bercer. Pierre Chemin, le charpentier-ébéniste, peint éternellement des gens heureux sur les portes d'armoires... Ou ce fossoyeur fabriquant les costumes de sapin, recyclant sans regret son ancienne activité... Pitôme et son alambic distillant inlassablement les racines de gentiane... Catherine retrouvant Jeanne sa petite-fille... Bé l'aveugle "dans la vie d'avant" retrouvant la vue dans l'Après-Vie... L'amoureux Augustin allant retrouver sa défunte Augustine aux belles tâches de rousseur... Tout un village mort se réanime...
La veille Thérèse, meneuse de chèvres, a sans doute partie liée avec le Cornu et montrera "le mauvais chemin" à la naïve Phémie...
Car l'envers du décor apparaîtra aux chapitres finaux : dans une certaine gorge, "là-haut", l'Enfer, ce double et faux-frère jumeau de ce Paradis, existe encore dans les entrailles de la Terre, où les mêmes habitants sont damnés et souffrent éternellement...
Damnés et jaloux du bonheur sans fin de ces "autres" eux-mêmes jouissant du grand soleil : ils seront réveillés de leur Enfer caché par le funeste sieur Bonvin, colporteur imprudent, vantard et décidément trop curieux...
Et si les deux Mondes se rencontraient ? Une certaine nuit rougeoyante viendra, hallucinante...
Un récit parfait. Des personnages nombreux, magnifiquement présents, et pour tout dire inoubliables. Un conte terrifiant, humain et merveilleux dans une langue poétique inimitable...
Bref, pour cette extraordinaire découverte [*], lâchons un peu — au moins un moment ! — "nos" mornes houellebecqueries & autres lectures tristasses 100 % conditionnées [**] ... Joie dans le Ciel !
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[*) "Terre du Ciel"/"Joie dans le Ciel" possède en 2019 — outre son titre prémonitoire, préfigurant le formidable "Terre de Fer, Ciel de Cuivre" ["Yer Demir, Gök Bakır", Istanbul, 1963] du grand Yachar KEMAL — des vertus bizarrement prophétiques : la confrontation finale évoque cette haine de classe "ressuscitant" dans notre petit pays toutes ces dernières semaines au travers de la crise sociale dite des "Gilets Jaunes"...
[**] ... presque "idéalement" dépressogènes, style nouille-plate, d'inspiration feignasse, sans âme ni la moindre surprise... :))
Lien :
http://fleuvlitterature.cana..