AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Mermod (01/03/1952)
5/5   1 notes
Résumé :
"Raison d'être" (1914) suivi de : "Le Grand Printemps"(1917), rééd. aux éditions Mermod (Lausanne), 1952.
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten
Que lire après Raison d'être - Le grand printempsVoir plus
Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
Véritablement Tolstoï a été avec moi, du temps que j'avais dix-huit ans, et lui, je sais qu'il ne se fût pas senti étranger , marchant à mes côtés dans la campagne. Elle était calme et simple comme celle qu'il a aimée. Et il a aimé les hommes d'une façon que je voudrais être la mienne, et il les a sentis comme je voudrais les sentir. Mais il n'a pas été le seul de son pays à me parler mon langage, encore que les mots fussent autres : ce pays où il m'avait introduit, je m'y suis à sa suite avancé plus profond, et les mêmes ressemblances partout se sont levées.

[C.F. RAMUZ, "Le Grand Printemps", Les Cahiers vaudois (Lausanne), 1917 — rééd. aux éditions Mermod (Lausanne), 1952]
Commenter  J’apprécie          160
Heureusement que le peuple était là que le peuple ne s’embarrasse pas d’abstractions. Il est irresponsable, c’est ce qui fait sa force. Il a toujours raison, n’ayant pas de raisons. L’impulsion vient, à quoi il cède, sans même se douter qu’il pourrait ne pas y céder. Sa compréhension du bien et du mal est simple, et accompagnée de colère à l’adresse de ceux qui ne la partagent pas. Le peuple, on l’a dit, a sauvé l’honneur, et on a dit vrai. Alors que tout le monde lui parlait de neutralité, il a su ne pas être neutre. Il n’avait qu’une façon de ne pas l’être et il l’a trouvée tout de suite. Il n’avait qu’une façon de s’exprimer, il a su pourtant s’exprimer tout entier et au-delà du sens immédiat de son geste. Il avait contre lui le formidable appareil des lois, encore renforcé par le régime des pleins pouvoirs, - contre lui toute l’organisation politique et militaire d’une confédération d’États dont il ne représentait qu’une très petite partie, contre lui ceux d’une autre race : on lui défendait de parler, il a su agir quand même ; on lui défendait de parler, il a su trouver les mots muets qu’il fallait. On a vanté sa charité : sa charité, d’ailleurs sincère, n’était pas seule en cause. Le peuple manifestait en étant bon. Il a trouvé cette manière de faire la guerre, ne pouvant la faire autrement. Il a trouvé cette manière – qu’on ne pouvait lui interdire – de se venger du silence et de l’inaction qu’on lui imposait ; on ne lui avait laissé que son cœur, il a voulu que son cœur du moins se manifestât sans restriction et sans réserves. Il n’y a pas eu que ceux qui « avaient », il y a eu aussi et surtout ceux qui n’avaient rien. Ils sont venus avec des paniers, des hottes, des bidons, des corbeilles ; ceux qui étaient trop pauvres pour acheter des fleurs cueillaient celles de leur jardin, ceux qui n’avaient pas de jardin allaient en cueillir dans les près, il fallait que ça se vît de loin, et que ça fût bon à manger, mais qu’encore ça se vît de loin, et que ça fût joli de couleur, avec des petits drapeaux tricolores piqués partout où on pouvait, et des ficelles, et des arrangements variés de papier rouge, blanc, bleu ; et cela pour se faire d’abord plaisir à eux-même, quand ils empilaient les paquets sur la table avant de partir, et ils regardaient si « ça allait bien », ils regardaient « s’il y avait assez », et bien sûr qu’il y avait assez, même il y avait beaucoup trop, mais est-ce qu’il y a jamais trop quand on aime ? Ils sont venus, ils sont venus en famille, le père, la mère, les enfants. Ils sont venus de la campagne et ils sont venus de la ville. Pleine à sauter, cette gare, tous les quais débordants, les barrages de gendarmes emportés, et, du même coup, les règlements par quoi on pensait empêcher, par quoi on pensait contenir. Les tout pauvres qui étaient là, et les un peu moins pauvres, et puis aussi les pas pauvres du tout, les biens mis et les pas bien mis, les instruits et les pas instruits, les biens élevés et les pas bien élevés, les distingués et les pas distingués et quand le train est arrivé ç’a été un grand cri, quand le train est reparti un grand cri encore, - et entre deux on ne sait plus, parce qu’on avait perdu la tête, et puis on avait trop à faire, tous ces petits paquets à distribuer, des mains tendues en l’air vers des mains tendues par les portières, mille questions sans réponse de part et d’autre, des commencements de conversations jamais achevée, - et ce train qui glisse déjà : alors des casquettes jetées, les boutons des uniformes arrachés, un envolement de petits bouquets et, tout à coup, comme si des pigeons prenaient leur vol en battant des ailes, levés toujours plus haut, de façon qu’on pût les voir plus longtemps.
Des gens sérieux ont protesté ; ils ont parlé d’enfantillages ; est-ce qu’ils ont compris que c’était un besoin, bien plus qu’une nécessité ? Est-ce qu’ils ont compris que sans cela on n’y eût pas tenu, et qu’il est heureux pour l’État que la passion accumulée ait trouvé cette échappatoire ? Mais est-ce qu’il ont compris rien à rien ? Et que ces enfantillages, comme ils disent, sont peut-être ce que nous avons eu, ce que nous avons encore de meilleur ? La seule chose, en somme, sérieuse, la seule, en somme, qui compte.
Commenter  J’apprécie          11
« La ville se développe », ce qui était vraie sans doute, en même temps qu'on nous disais : « Regardez déjà que de monde » ; seulement cette foule dont on se vantait n'était que cohue ; l'or qu'elle nous valait était était de l'or sans doute, mais est-ce qu'il n'allait pas nous mettre un jour ou l'autre dans l'obligation de choisir entre lui et nous ? Le parvenu qu'on héberge impose ses goûts ; à trop le fréquenter, on devient parvenu soi-même. Cette vitalité apparente nous aurait enchantés, si elle avait été vraiment de la vitalité. Il aurait été bon, en effet, que nous eussions plus que de sang dans les veines, mais à la condition toutefois que ce sang fût à nous. Il fallait malheureusement constater que la transfusion, pratiquée à cette dose-là, allait aboutir simplement à supprimer la personnalité du patient. Je me suis retrouvé dans mon pays et on n'y parlait plus ma langue ; il m'arrivait de traverser toute la ville sans entendre un mot de français ; partout des Allemands, des Russes, des Roumains, des Brésiliens, des Bulgares, sans compter quelques nègres (phénomène nouveau), et ces petites gens jaunes de teint, aux yeux bridés : universel aspect et horizon de têtes, avec la tour de la cathédrale au-dessus, et, au-dessous, des pantalons à pied d'éléphant : bizarre façon de se « développer » tout de même. Se développer, c'est partir d'un noyau à soi, par nutrition concentrique et couches successives dont le germe est à l'intérieur : nous agglomérions tout au plus. On ne ramenait pas à soi, on était tiré dans tous les sens. Et que nous ne nous fussions pas encore engagés dans telle direction plutôt que dans telle autre ne signifiait point autonomie, mais simple phénomène de balancement momentané et d'hésitation. Comme nous n'assimilions plus, il allait bien falloir tôt ou tard que nous fussions assimilés. Pour l'instant, nous tournions en rond, comme la boussole affolée.
Commenter  J’apprécie          11
Hélas ! L'abattement subsistait : ce pays n'était plus le même, ce pays n'était plus lui-même ; nulle part, dans le présent, nous n'arrivions plus à le retrouver. Nous avons tenté alors de nous tourner vers son passé. Ne trouvant plus notre pays autours de nous, nous l'avons cherché en arrière de nous : il a bien fallu constater que nous ne l'y retrouvions pas davantage. Il a bien fallu voir que ce pays n'avait pas d'histoire, qu'il manquait de matière épique à un point dépassant l'imagination. Pas le plus petit champ de bataille dans toute l’étendue de son histoire. L'action nous faisait défaut, mais c'est qu'elle nous avait toujours fait défaut. Nous avions toujours été inertes, dépendants, ballottés, renvoyés d'un voisin à l'autre ; et, quant à une « culture », ces influences contradictoires l'avaient empêchée de se faire jour. Il n'y a de culture que dans la souveraineté. Il s'est trouvé que nous étions doubles et triples en tout, non pas seulement dans notre histoire. Nous étions d'ailleurs tournée en théologie (sauf chez quelques esprits inquiets, il y a heureusement de l'inquiétude chez nous, mais de quelle espèce improductive, on le verra plus loin),m une religion tout ce qu'on voudra, sauf mystique ; mesquine souvent et pédante, tracassière plus que fanatique ; même pas originale, puisque venue de France ou d'Allemagne, ou d’Écosse, une religion de cette sorte-là ; - et quant à l'autre discipline, l'intellectuelle, elle dissimulait mal toute espèce de conflits de méthodes, avec des professeurs venus tantôt d'Allemagne, tantôt de France ; et si c'est trop nous demander, sans doute, que d'avoir une science « originale », du moins serait-il bon, à un âge où on ne peut encore choisir, que l'enseignement qu'on donne à nos étudiants présentât plus d'unité.
Commenter  J’apprécie          11
Ces gens étaient là avant moi, c'est leur force. Ces gens sont chez eux, c'est leur force. Rien ici ne m'appartient en propre et, en quelque manières , de droit, parce que je ne suis pas d'ici. Même ce ciel trop mobile et changeant n'est pas le mien, n'est pas à moi ; j'ai beau l'aimer, il me renie. Le ton de la conversation m'est étranger et j'y suis étranger. Le gesticulé de la phrase, où le sentiment se mime d'avance et s'invente à lui-même à mesure qu'il s'exprime (et on dirait que ces gens exagèrent, mais ils n’exagèrent pas) ; cette espèce de théâtre vécu, à cause de quoi « leur » théâtre m'avait souvent semblé faux, mais il n'était que la fidèle copie de la vie qui elle-même le copiait : autant de choses aux-quelles je reste extérieur. Je m'efforce en vain d'y participer, j'y suis maladroit, je m'en rends compte et ma maladresse s'en accroît. L'embarras où on est devient ridicule [...] ; on ne sait plus parler, on ne sait même plus marcher. De toutes petites différences d'intonation, ou dans l'accent, ou encore dans l'attitude, sont pires que les plus marquées et vous gênent bien davantage. L’Anglais reste Anglais, l'Anglais n'étonne pas, il est « classé » : moi, je suis presque pareil à ceux qui m'entourent, et, voulant l'être tout à fait, je n'échoue que d'un rien, mais terriblement voyant.
Commenter  J’apprécie          11

Videos de Charles-Ferdinand Ramuz (13) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Charles-Ferdinand Ramuz
Soirée rencontre à l'espace Guerin à Chamonix autour du livre : Farinet ou la fausse monnaie de Charles Ferdinand Ramuz enregistré le 20 juillet 2023 en présence de Gérard Comby (membre de l'Office tourisme de Saillon & de la Commission du Patrimoine)
Résumé : Un généreux Robin des bois, roi de l'évasion, porté par la plume de C. F. Ramuz.
Farinet, c'est un fameux faux-monnayeur, roi de l'évasion et Robin des bois qui vécut entre Val d'Aoste, Savoie et Valais au XIXe siècle. Arrêté pour avoir fabriqué de fausses pièces qu'il distribuait généreusement dans les villages de montagne, il s'évade à de nombreuses reprises. Ce héros populaire à la vie romanesque et rocambolesque meurt à 35 ans, en 1880. Cinquante ans plus tard, Ramuz s'empare du personnage et en fait le héros d'un récit classique, haletant comme un roman d'aventure, mais porté par son style unique : irruption du présent au milieu d'une phrase, mélange des temps qui rend le présent dense et incandescent, langue vaudoise aux accents paysans transfigurée par une écriture singulière, moderniste, au confluent des révolutions artistiques du XXe siècle (il est passionné par Cézanne et Stravinsky). Farinet se serait caché un temps au fond de la vallée de Chamonix, dans une grotte au-dessus de Vallorcine. Un petit mémorial y est installé. Ce roman est paru pour la première fois en 1932.
Bio de l'auteur :
Ed Douglas, journaliste et écrivain passionné par l'Himalaya, a publié une douzaine de livres, dont plusieurs ont reçu des prix. Deux ont été traduits en français : de l'autre côté du miroir (Éditions du Mont-Blanc, 2018), Himalaya, une histoire humaine (Nevicata, 2022). Il publie des articles de référence dans The Observer et The Guardian. Il est rédacteur en chef de l'Alpine Journal et vit à Sheffield, en Angleterre.

#paulsen #guerin #livres #farinet #ramuz #saillon
+ Lire la suite
Livres les plus populaires de la semaine Voir plus
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten


Lecteurs (2) Voir plus



Quiz Voir plus

Aimé Pache, peintre vaudois de Charles-Ferdinand Ramuz

Ce roman, paru en 1911 à Paris chez Fayard et à Lausanne chez Payot, est dédié à un peintre : ...

Alexandre Cingria
René Auberjonois
Cuno Amiet
Ferdinand Hodler

15 questions
3 lecteurs ont répondu
Thème : Aimé Pache, peintre Vaudois de Charles Ferdinand RamuzCréer un quiz sur ce livre

{* *}