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EAN : 9782070775941
384 pages
Gallimard (29/09/2005)
4.45/5   39 notes
Résumé :

Il n'y a peut-être pas de livre de Ramuz qui soit plus représentatif de son genre que la Vie de Samuel Belet. Dans le déroulement de cette existence qui, par le chemin des passions et de la violence, aboutit au renoncement joyeux et à la paix de l'âme, Ramuz semble avoir fait tenir toute sa riche expérience humaine. Ce petit paysan suisse que l'amour et l'ambition arrachent à son milieu et à sa patrie - pour qui le ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
« Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie, et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir, ou perdre en un seul coup le gain de cent parties, sans un geste et sans un soupir ….
TU SERAS UN HOMME MON FILS »

Lorsque j'ai refermé ce livre, ce sont les vers De Rudyard Kipling qui me sont venus à l'esprit. Ce poème va comme un gant au narrateur Samuel Belet.

Publié en 1913, ce récit, au caractère initiatique, raconte l'histoire d'un jeune vaudois, Samuel, né en 1840 à Praz-Dessus, orphelin de père à l'âge de dix ans, il connait, cinq ans après, la douleur de perdre sa mère. Il est alors placé, par son oncle, chez un riche paysan comme garçon de ferme. Devant ses qualités intellectuelles, entre deux besognes, Monsieur Loup, ancien régent (instituteur), l'aide à étudier et Samuel, encouragé par ce dernier, espère lui aussi devenir Régent. Il découvre ses premiers émois amoureux auprès de Mélanie. Dans l'espoir de pouvoir obtenir la main de la demoiselle, il quitte la ferme pour un emploi de commis à la Ville chez un notaire.

Malgré tous ses malheurs, Samuel est un garçon plein d'enthousiasme devant la vie. Il se dit « simple de coeur » ce qui n'a rien à voir avec simplet mais l'expression est jolie pour dire toute sa fraîcheur. Pour les beaux yeux de sa belle, Il lit et continue d'étudier tard le soir. Mais voilà, Mélanie lui est infidèle et toute sa vision de l'avenir va s'en trouver bouleversée. Il est tellement malheureux, tellement désemparé, dans sa tête, il se fait comme une injonction : « Tu es un paysan Samuel et tu resteras un paysan, il te faudra gagner ta vie ».

Samuel décide de partir, il part à l'aventure, droit devant lui et pour se nourrir, il va vivre de petit métier en petit métier, jusqu'à devenir maçon charpentier.

A chaque endroit où il réussit à s'établir, il ressent le besoin de tout laisser et de repartir comme si quelque chose l'incitait à fuir. On peut y voir le perpétuel refus ou la peur de l'attachement.

Samuel est un homme libre, il conserve son esprit critique, il aime le travail bien fait, il a la reconnaissance de ses patrons, l'amitié a du sens pour lui.

De paysages en paysages, de métier en métier, Samuel arrive à Paris. Mais là encore, poussé par la guerre franco-prussienne, Samuel reprend son chemin.

Son pays, son lac lui manque, il éprouve le besoin de revenir en Suisse. Arrivé à Vevey, il décide de se poser. Il va enfin connaître plusieurs années de bonheur en compagnie d'une jeune veuve, mère d'un petit garçon, Louise à laquelle il va dire « c'est comme les visites le bonheur, il faut bien le recevoir sinon il ne revient pas ».
Et pour illustrer cette citation de Prévert, « On reconnait le bonheur au bruit qu'il fait quand il s'en va », le destin va lui infliger une nouvelle et monstrueuse épreuve.

il finira sa vie dans la paix du coeur et de l'âme au bord du lac Léman comme pêcheur.

C'est beau, c'est très beau ! J'ai aimé le style, c'est une belle écriture poétique, toute simple, mélodieuse, imagée et sous cette apparence de simplicité, il y a une fine analyse psychologique de ces toutes petites gens de la campagne avec leur bon sens des gens de la terre mais aussi avec leurs imperfections.

L'écriture de Ramuz m'a rappelée les expressions que j'entendais chez mes arrières grands-parents et mes grands parents paternels. Il y a cette humilité face à la nature, face au lac, à la montagne.

Pour exprimer les sentiments, tout au long du livre, Ramuz procède par analogie avec la nature. Par exemple lorsque Samuel découvre l'infidélité de Mélanie.

« Il ne resta en moi qu'une grande place brûlée, comme celle qu'on voit dans les champs après qu'on a arraché les broussailles et on les met en tas et on y met le feu ; ».

Voilà, je ne sais si je vous ai donné envie de lire Ramuz mais son écriture m'a parlée, elle recèle tellement d'authenticité, loin du tumulte des livres médiatisés, c'est un vrai retour aux sources.

Charles-Ferdinand Ramuz m'était totalement inconnu à ce jour, je remercie Dourvach et Michfred pour leurs chroniques qui furent de belles incitations à le découvrir.
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Une écriture paisible, large, forte, qui laisse passer l'air.

Une vie humble, pleine d'épreuves, jalonnée de pertes - mais dans les mailles hasardeuses de son filet , que de poissons, brillants comme des pépites!

De quoi donner un sens à la souffrance d'une vie.
De quoi parler de joie, malgré la mort, la solitude ou le malheur.

Impossible de résumer à quelques lignes factuelles ce grand roman paysan et montagnard, si ancré dans le pays de Suisse romande, et pourtant si universel, si élevé,  si aérien.

 Si existe-en-ciel.

Essayons quand même. Samuel Belet est orphelin très jeune: sa pauvreté, sa solitude le désignent à une vie d'exploitation et de labeur obscur. Pourtant il y a quelque chose en lui qui le porte au travail bien fait, à  la joie d'apprendre, d'aller de l'avant et de s'élever.

Ses maitres l'apprécient, louent son sérieux, son ardeur à  l'ouvrage. Déjà le régent -l'instit' du village- entrevoit pour ce petit paysan courageux un autre avenir que celui de journalier ou d'ouvrier à tout faire...mais le destin met sur sa route une jolie fille, coquette, rieuse et tellement plus légère que le grave Samuel...il l'aime , elle le quitte.

Toute cette ligne de vie bien tracée et opiniâtre se brise. Samuel quitte son protecteur, son maître, son village, ses amis et se livre au hasard avec ses mains habiles et son coeur pur. Mais sans cette confiance , sans cet optimisme qui lui donnaient des ailes.Samuel ira se frotter à la grande ville, et verra, sans la comprendre, la Commune de Paris. Il aura d'autres amours, d'autres amis. Mais pour mieux revenir au pays.

Un roman de formation régionaliste alors? Pas du tout.

Revenir , mais histoire de boucler la boucle, de ne pas laisser le hasard signer au bas du parchemin. Lentement, ses amitiés, ses amours, son expérience -difficile- de la "paternité " avec le fils d'un autre lui apprennent  des choses sur lui-même et sur les autres.

Au couchant de sa vie, il devient pêcheur, et ce n'est pas un hasard.

Samuel Belet relève un à un les filets de son passé pour y lire les secrets de son âme et les battements de son coeur, pour mieux accueillir un savoir philosophe sur les êtres  et les choses, pour apprivoiser la vieillesse et la mort, pour ne pas être venu là pour rien.

La Vie  de Samuel Belet est un  "bildungsroman" moins "performatif'" que spéculatif et spéculaire, qui, comme l'eau du lac, reflète et ranime les années défuntes, les âmes mortes,  donne à lire les sentiments incompris, les désirs mystérieux, et éclaire avec une tendresse poignante la complexité d'un coeur simple.

Magnifique lecture, très GRAND livre,  mythifié et admiré en Suisse. Quasi ignoré en France ou réduit à cette étiquette  régionaliste  qui est plus qu'une ignorance, une méprise!

Pourtant Ramuz est, de l'aveu de l'auteur de Regain, le maître de Giono. Sa langue, déjà belle , charnelle, lyrique dans ce roman de jeunesse, évoluera vers des formes incroyablement modernes, puissamment originales qui lui vaudront l'admiration inconditionnelle d'un autre grand styliste, d'un autre Ferdinand, non pas Charles- Ferdinand, mais Louis-Ferdinand , eh oui, Céline en personne!

 Ces hautes  filiations vaudraient bien que les lecteurs français aillent faire un petit tour dans la barque de ce roi-pêcheur valaisan...

Quant à moi, je dois reconnaitre avoir éprouvé,  en le lisant, une vraie révélation littéraire, en même temps  qu'une émotion forte  - comme devant une parole absolument sincère et essentielle.
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"Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l'être mais aussi la sagesse de distinguer l'un de l'autre." Ces mots du philosophe stoïcien Marc-Aurèle me semblent parfaits pour parler de la vie du personnage principal de ce roman.

Samuel Belet n'a pas eu une vie facile. Il a rencontré de multiples obstacles, connu des chagrins, subi des déceptions et des échecs.
Une vie que le malheur n'a pas épargnée.

Cela commence bien tristement : orphelin à l'âge de quinze ans, le jeune Samuel est contraint de partir gagner sa vie comme simple garçon de ferme.
À partir de là, il va beaucoup bouger. de découverte en découverte, de rencontre en rencontre, il endure bien des choses mais reste toujours animé d'une incroyable force de vie qui le fait apprécier de tous partout où il va.
Il est franc, honnête, courageux, dur à la tâche ; le lecteur ne peut que s'attacher à lui et compatir à ses revers de fortune.

Que ce roman est beau !
Ramuz donne la parole à Samuel Belet qui raconte son histoire. À travers les différentes péripéties qu'il a vécues, notre héros narrateur a croisé de nombreuses personnes à qui l'écrivain helvète donne merveilleusement vie : des êtres authentiques ancrés dans cette ruralité et cette nature qu'il décrit si bien.
L'écriture est simple en apparence mais terriblement belle et très imagée. Ramuz utilise beaucoup d'analogies avec la nature et fait du récit de Samuel un texte extrêmement plaisant à lire, d'autant qu'il est très bien construit et cohérent de bout en bout.

Samuel Belet raconte tout avec franchise et sans fioritures. Il partage ses souvenirs et nous ouvre son coeur. Il est parfois un peu naïf, mais n'est jamais niais : il est tout simplement sincère et c'est cela qui le rend touchant.
Il finira par trouver la sérénité, mais quel chemin parcouru et que de douleurs pour en arriver là !
Cette sérénité n'est pas la résignation de quelqu'un qui aurait baissé les bras, mais l'acceptation de celui qui a trouvé la voie de la sagesse. de celui qui aurait prié avec les mots de Marc-Aurèle et qui aurait été exaucé.

Ramuz mérite vraiment d'être plus connu (et lu !) en France.
Ce roman mérite de figurer très haut sur la liste des chefs-d'oeuvre de la littérature francophone.
Si vous aimez les livres qui vous plongent dans une autre époque et dans d'autres lieux, si vous voulez faire la connaissance d'un personnage marquant, si vous avez envie de vous immerger dans la vie rurale, si vous cherchez un ouvrage extrêmement bien écrit dans lequel les phrases sont limpides et magnifiques de simplicité, foncez !
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Décidément, Ramuz, dont je suis au neuvième roman, n'a pas fini de me surprendre et m'émerveiller.

Quel magnifique roman, d'un registre différent d'autres du même auteur, et si émouvant et si profond. Une vraie leçon de vie.

Samuel Belet, un homme simple, d'un homme du peuple, avec ses défauts et ses qualités, nous raconte sa vie.

Une vie qui débute dans la seconde moitié du 19 ème siècle, en Suisse près du lac Leman, d'un enfant qui n'a pas connu son père, mort quand il était tout petit, et dont la mère meurt alors qu'il entre dans l'adolescence.
Un garçon à la fois rude et timide, impétueux et gauche, colérique et tendre.
Un garçon doué pour les études, mais qui les abandonnera suite à une déception amoureuse, cette belle Mélanie qui l'oublie pour un autre.

Et dès lors, il va parcourir la Suisse puis la France, faire différents métiers, avoir une liaison avec Adèle, une servante, devenir charpentier, partir pour Paris avec Duborgel, un compagnon anarchiste, qui le repoussera quand Samuel refusera d'adhérer à ses aspirations de « révolution sociale ».

La guerre de 1870 ramènera Samuel en Suisse, à Vevey, où il s'éprend de Louise, une jeune veuve avec un enfant, le petit Henri. Ils se marient, sont heureux bien que les relations entre Samuel et Henri soient difficiles. Mais après quelques années de vie commune, Louise est malade de la tuberculose et meurt. Puis c'est au tour d'Henri de mourir de cette maladie.

Samuel retourne dans son village natal, apprend le métier avec le vieux pêcheur du village, Pinget, puis lui succède quand ce dernier meurt.
Et Samuel vieillissant fait enfin la paix avec son passé, trouve le bonheur dans la bienveillance et l'attention aux autres, dans l'amitié aussi. Les quelques pages qui terminent ce roman en forme d'autobiographie sont émouvantes et sublimes.

Et tout cela est raconté sans sentimentalisme ni misérabilisme.
C'est l'itinéraire d'une vie d'homme qui se raconte sans concession, qui cherche à tâtons sa voie et qui, comme beaucoup de nous, réalise à la fin de sa vie ce qu'il n'a pas fait et aurait dû faire, pour finalement assumer ce passé et trouver la paix de l'âme.
Cela m'a fait penser à ces phrases de Kundera:
« L'homme ne peut jamais savoir ce qu'il faut vouloir car il n'a qu'une vie et il ne peut ni la comparer à des vies antérieures ni la rectifier dans des vies ultérieures. Il n'existe aucun moyen de vérifier quelle décision est la bonne, car il n'existe aucune comparaison. »

Et je voudrais mentionner encore une fois cette écriture formidable de Ramuz, incroyable dans sa capacité à décrire les événements et dans son rythme quasi musical.
Oui, je le redis, Ramuz, que j'ai redécouvert avec bonheur, ce n'est pas le régionaliste qui fait exprès d'écrire mal, c'est un « grand », un poète et un humaniste.
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Samuel grandit, perd sa mère ; doit travailler ; malgré ses efforts à "apprendre", ne deviendra jamais "régent" (instituteur) ; vit, trime et aime ; vit la Commune à Paris ; puis rentre ; aime à nouveau, longtemps, puis perd son aimée ; Samuel au soir de sa vie, veut retrouver tous les siens, un à un disparus : n'ont-ils pas versé au fond du Lac, sous sa barque ?

"Vie de Samuel Belet" : ce chef d'oeuvre d'existentialisme "avant la lettre", de recul et de douloureuse sérénité : on repense à ce sujet aux exquises nouvelles humanistes de Rabindranath Tagore, "Le Vagabond et autres contes"...

Bref, un joyau de PURE Littérature qui nous vient de 1913 !

Pas un "bout de gras", pas une once de platitude en chaque ligne... Tout est lyrique et chante : tranquillement... Tout est vrai. Juste. Sobre. Et tout émerveille ! Samuel et Ramuz, comme vous nous manquez !!!

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"Vie de Samuel Belet" de C.-F. RAMUZ = zéro critique à ce jour dans Babelio... Y a comme une énigme ! Et oui, notre France se prend toujours pour la "République des Lettres" (comme d'autres pour Napoléon). Aujourd'hui que des tombereaux de NON-littérature vite fabriquée et mal foutue (pléonasme) sont abondamment achetés, frénétiquement lus et 15.000 fois commentées (moutonnisme/suivisme)... Mais pas une ligne sur ce livre...Dans la France houellebecquisée de 2015, on ne connait même plus l'existence d'un pareil joyau de la Littérature mondiale, cent ans après sa parution : l'art littéraire n'a plus qu'à aller se rhabiller et les "oeuvres" de Foenkinos ("Je vais mieux") et autres Angoteries narcissiques (bientôt : "L'inceste, tome V" ?) continuer à régner.... Ne serions-nous pas UN PEU complices (involontaires et "sous influences") de ce triste état de fait ? Amicalement à tous.
Lien : http://www.regardsfeeriques...
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Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
Entre temps, la paix avait été signée, mais pas avant que Paris n'eût été mis à feu et à sang par la Commune, et il y avait eu encore cela qu'après s'être battus contre l'ennemi, les français s'étaient battus entre eux. Des cadavres étaient entassés tout le long des quais de la Seine ; les feuilles des arbres, nouvellement sorties, avaient été coupées par la mitraille comme avec des ciseaux.
Les jeunes gens d'aujourd'hui ne pensent plus à ces choses et, quand on les leur raconte, elles ne les intéressent pas. Mais, nous autres qui avons vécu là-dedans, quel frisson, quand on y repense!... Ils brûlaient les livres, ils brûlaient les tableaux. Ils arrosaient les maisons avec du pétrole ; ils mettaient le feu aux maisons.
Tout cela pourtant fut vite oublié ; les morts pouvaient dormir tranquilles. Quant aux vivants, ils étaient tout heureux de reprendre leurs habitudes, en attendant le moment où elles leur déplairaient de nouveau, parce que tout est balancement, tout est recommencement dans le monde.


Page 150
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Il n’y a plus de différence en rien ; tout se confond, tout se mêle ; est-ce au dedans de moi ou au-dessous que je regarde ? Mais ils sont là, et je les vois. Je ne suis plus jaloux ; eux, ils n’ont plus peur. Au lieu de reculer, ils se soulèvent sur le coude ; moi, je me penche encore un peu. Ils sont tous là, comme je dis. C’est ma chère maman qui est morte quand j’étais petit, et je l’appelle encore maman comme quand j’étais petit ; c’est M. Loup qui a été bon pour moi et pour qui je n’ai eu que de l’ingratitude ; c’est Adèle, la pauvre Adèle ; c’est le petit Henri que je n’ai pas su aimer quand j’aurais dû et je n’ai pas su le retenir près de moi quand j’aurais dû, alors il est sorti de la vie ; mais c’est surtout toi, Louise, parce que tu es quand même, parmi tous et toutes, la plus chère et douce à mon cœur. Toi non plus, je n’ai pas su t’aimer, du moins comme il aurait fallu ou comme tu aurais voulu ; je t’ai aimée à ma manière, non à la tienne ; je n’ai jamais pu m’oublier ; et ainsi tu te tourmentais, cherchant à me cacher ta peine, mais je le voyais bien quand même ; et c’était vers la fin, tu sais, pourtant tu ne te plaignais pas. Mais tu es là, et il n’en faut pas plus. Vois-tu, tout est changé, je ne suis plus le même. Je n’ai plus cet air sombre, je n’ai plus ces silences, ce pli entre les yeux ; je suis devenu le vrai Samuel ; je t’aime maintenant, Louise. Et c’est pourquoi plus rien ne nous sépare, quand je regarde ainsi et me penche vers toi, et vers tout mon passé vivant, et cette eau claire où tu te tiens ; et je dis : « Souris-moi » parce que tu sais, toi aussi. Et, toi aussi, tu te soulèves ; il me semble que je te vois monter hors de la profondeur vers moi ; je me penche davantage, tu t’élèves toujours plus ; et nos lèvres alors se touchent et ma main va dans tes cheveux.
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Je m'assieds sur le banc du milieu, j'empoigne les rames ; je tire dessus de tout mon poids, me renversant ; et eux alors, là-bas, n'est-ce pas ? Ils m'attendent et je me dis bien qu'ils me voient venir.
La terre m'a quitté, avec tout ce qui est petit ; je laisse derrière moi ce qui change pour ce qui ne change pas. Que je me tourne seulement un peu et la rive disparaît tout entière ; il ne reste plus que le ciel et l'eau. Encore est-ce la même chose à cause de l'image des nuages renversée qui se balance autour de moi, et ce bleu, aussi renversé, par quoi elle a une couleur.
Il n'y a plus de différence en rien ; tout se confond, tout se mêle ; est-ce au-dedans de moi ou au-dessous que je regarde ? Mais ils sont là et je les vois. Je ne suis plus jaloux ; eux, ils n'ont plus peur. Au lieu de reculer, ils se soulèvent sur le coude ; moi, je me penche encore un peu.

[C.F. RAMUZ, "Vie de Samuel Belet", 1913, IIIème partie, chapitre III - page 834 de la réédition La Pléiade "C.F. RAMUZ : ROMANS", Tome I, 2005]
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Un dimanche, j'étais monté jusqu'à Blonay voir une maison qui avait brûlé. On entrait dans le printemps. Il y avait comme une mousseline verte autour des arbres, qui était les petites feuilles pas encore dépliées. La pente douce menait l'oeil jusqu'au lac un peu agité, et qui semblait couvert d'écailles. Il faisait tellement doux que j'avais ôté ma veste. Mais cette douceur n'était pas seulement dans l'air, je la sentais aussi qui m'entrait dans le coeur.

[C. F. RAMUZ, "Vie de Samuel Belet", 1913, IIème partie, chapitre V - page 731 de la réédition La Pléiade, "C.F. RAMUZ : ROMANS", Tome I, 2005]
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Il y en a tant qui sont déjà morts quand la mort de la chair vient les prendre. Ils sont morts dans leur coeur depuis longtemps déjà, quand arrive la mort du corps; et c'est sur ce coeur que je veille, afin qu'il dure jusqu'au bout.
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Vidéo de Charles-Ferdinand Ramuz
Soirée rencontre à l'espace Guerin à Chamonix autour du livre : Farinet ou la fausse monnaie de Charles Ferdinand Ramuz enregistré le 20 juillet 2023 en présence de Gérard Comby (membre de l'Office tourisme de Saillon & de la Commission du Patrimoine)
Résumé : Un généreux Robin des bois, roi de l'évasion, porté par la plume de C. F. Ramuz.
Farinet, c'est un fameux faux-monnayeur, roi de l'évasion et Robin des bois qui vécut entre Val d'Aoste, Savoie et Valais au XIXe siècle. Arrêté pour avoir fabriqué de fausses pièces qu'il distribuait généreusement dans les villages de montagne, il s'évade à de nombreuses reprises. Ce héros populaire à la vie romanesque et rocambolesque meurt à 35 ans, en 1880. Cinquante ans plus tard, Ramuz s'empare du personnage et en fait le héros d'un récit classique, haletant comme un roman d'aventure, mais porté par son style unique : irruption du présent au milieu d'une phrase, mélange des temps qui rend le présent dense et incandescent, langue vaudoise aux accents paysans transfigurée par une écriture singulière, moderniste, au confluent des révolutions artistiques du XXe siècle (il est passionné par Cézanne et Stravinsky). Farinet se serait caché un temps au fond de la vallée de Chamonix, dans une grotte au-dessus de Vallorcine. Un petit mémorial y est installé. Ce roman est paru pour la première fois en 1932.
Bio de l'auteur :
Ed Douglas, journaliste et écrivain passionné par l'Himalaya, a publié une douzaine de livres, dont plusieurs ont reçu des prix. Deux ont été traduits en français : de l'autre côté du miroir (Éditions du Mont-Blanc, 2018), Himalaya, une histoire humaine (Nevicata, 2022). Il publie des articles de référence dans The Observer et The Guardian. Il est rédacteur en chef de l'Alpine Journal et vit à Sheffield, en Angleterre.

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