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Gaston Renondeau (Traducteur)
EAN : 9782070321773
256 pages
Gallimard (20/05/2004)
4.12/5   56 notes
Résumé :
Chants guerriers, chants à boire, élégies ou poèmes d'amour, cette anthologie retrace l'évolution de la poésie japonaise de la période archaïque (les premiers siècles de notre ère) jusqu'à celle des Tokugawa, qui se termine au milieu du XIXe siècle.
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Une belle anthologie, qui couvre une très vaste période, allant du Vème siècle jusqu'au terme de l'ère des Tokugawa, au l'aube de l'ère Meiji, signal de l'ouverture du Japon à l'occident et de sa modernisation fulgurante. le recueil est ainsi ordonnancé par période chronologique, archaïque - Nara, Heian, Kamakura, Muromachi, Tokugawa.

Parmi ses qualités, cette classification claire, donc, mais aussi un nombre assez incroyable de poètes, et poétesses, très représentées durant les périodes les plus anciennes avant un net reflux. L'accent est davantage porté me semble-t-il justement sur les périodes les plus anciennes, alors que les grands noms du haïku naissant, les Bashô, Issa, Ryôkan se font très discrets. C'est plutôt intéressant, au vu du foisonnement de publications sur cet art très prisé par les lecteurs français, mais qui n'est que la partie émergée de ce champ d'étude largement méconnu qu'est la poésie japonaise dans son ensemble.

Un grand intérêt est donc d'apprécier l'évolution à travers ces périodes de la forme dominante, les poèmes les plus anciens étant assez longs, d'un bloc, puis se raccourcissent tout en se structurant en versets. La période Muromachi (XIVème siècle) voit apparaître le théâtre Nô, qui comporte des parties versifiées et dont il nous est livré quelques extraits, ce qui est assez rare, avant la période Tokugawa, et donc, ces quelques haïkus.

L'auteur a pris soin, lorsque cela paraissait nécessaire, de préciser en deux, trois lignes le contexte (une séparation, une tromperie amoureuse, etc…) afin que nous comprenions bien ce que le poème évoque. Ils sont de grandes qualité et beauté formelles, quoique pour certains un peu froid.
C'est un excellent kaléidoscope de ce qui s'est fait de mieux en matière de poésie japonaise, mais qui ne traite pas, volontairement, ce n'est pas son propos, de l'époque moderne. Celle-ci a aussi donné de bien beaux fruits, qu'on pourra conseiller : haïkus modernes (Madoka Mayuzumi), retour du tanka (Tawara Machi), poétesses féministes du début XXème (Akiko Yosano), couple mythique (Kôtarô Takamura et sa femme Chieko), ou encore Makoto Ôoka qui remis le poème dans la vie quotidienne des japonais il y a quelques décennies, sont autant de compléments indispensables pour faire le tour de la question.

Un petit regret néanmoins, et j'y suis attaché au point de ne pas attribuer les cinq étoiles, il n'y a pas un mot de japonais, pas même la traduction du titre du poème présenté…C'est fort dommage, la langue japonaise est belle avec ses voyelles bien audibles, et facile à prononcer, il eût été agréable d'en avoir la possibilité, tant par plaisir de l'oreille dans une lecture à voix haute, que, pourquoi pas, dans un but pédagogique, d'apprentissage de quelques mots.
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POUÈTES POUÈTES


Cela a longtemps fait partie des running gags débiles de ce blog : ma détestation de la polésie et des pouètes. Comme de juste, je forçais le trait, par provocation idiote… J'imagine que ça ne trompait personne, d'autant qu'il me fallait bien confesser, de temps à autre, que j'avais lu et apprécié Rimbaud et Baudelaire ado (comme un ado, quoi), et qu'un Totor Hugo par-ci, un Totor Hugo par-là, eh bien, ma foi…


Depuis ? Ah, ça se complique – mais j'imagine que c'est ma méconnaissance, alors, qui prime : le fait est que je ne connais rien à la poésie contemporaine, en français ou dans d'autres langues – enfin, avec tout de même une exception pour Ian Monk, hop et hop. Oui, il y avait de la pose, dans tout ça – mais, si je ne méprise pas le registre autant que j'ai pu le prétendre, le fait demeure que je n'y suis globalement guère sensible, outre que je suis ignare.


Ces derniers temps, avec mon engouement nippon et la reprise des études, la question a pris un tour plus sérieux : il me fallait en apprendre au moins un minimum concernant la poésie japonaise. Une perspective qui ne m'enchantait pas forcément, à la base – surtout parce que mon expérience de lecteur de haïkus s'était vite avérée désastreuse : je n'y comprenais absolument rien… Mais j'ai bien fini par tenter le coup – et je me suis découvert un attrait inattendu pour la poésie japonaise classique ; mais disons « vraiment classique », celle des époques Nara et Heian surtout. J'en avais eu quelques aperçus dans des oeuvres essentiellement poétiques, notamment les Contes d'Ise et le Dit de Heichû, mais aussi dans d'autres oeuvres citant occasionnellement de la poésie – par exemple, certains « journaux » (nikki) lus dans la brillante anthologie Mille Ans de littérature japonaise, éditée par Nakamura Ryôji et René de Ceccatty (et qui comprend certes des moments purement poétiques), et il me faudra creuser tout cela, c'est prévu. Autre exemple, dans les chroniques du « cycle épique des Taira et des Minamoto », et au premier chef dans le Dit des Heiké ; voire, en remontant bien plus haut, dans le Kojiki même… Parallèlement, d'autres oeuvres ont pu raviver mon intérêt plus que limité pour la poésie japonaise des ères prémodernes ultérieures – par exemple, Insectes, de Lafcadio Hearn…


Je me disais donc qu'il pourrait s'avérer utile de revenir sur la question, et de lire bien davantage de poésie japonaise classique. Autant dire que cette anthologie me tendait les bras : composée par Gaston Renondeau (dont j'avais apprécié le rendu sobrement élégant de sa traduction des Contes d'Ise, justement – un bien curieux personnage que ce général Renondeau…), elle envisage quelque chose comme, disons, douze siècles de poésie japonaise, du Man.yôshû à la Rénovation de Meiji, selon une périodisation classique (peut-être critiquable çà et là, mais c'est du pinaillage). Chaque période, ici, a ses spécificités – et c'est là que j'émettrais peut-être une très timide critique, car la sélection opérée par l'anthologiste appuie sans doute un peu trop sur des changements de forme drastiques – j'aurai l'occasion d'y revenir, et à plusieurs reprises. Par contre, le rendu très « simple » (faussement ?) de cette traduction me paraît donc un atout – c'est peut-être moins élégant que, disons, les circonvolutions archaïsantes dont est coutumier un René Sieffert, par exemple, mais cela parle bien plus intuitivement, et je suppose que c'est tant mieux, dans le contexte de la poésie japonaise classique.


Mais, pose de détestation de la polésie ou pas, le fait demeure : je ne me sens clairement pas armé pour livrer une critique pertinente en matière de poésie – encore moins que pour tout autre registre. du coup, cette chronique va prendre une forme peut-être un peu inhabituelle, parce que je vais faire beaucoup de citations ; j'aurai bien quelques commentaires à émettre de temps en temps, ne serait-ce qu'au regard du contexte historique, mais l'essentiel résidera bien dans les extraits des oeuvres traduites par Gaston Renondeau. Vous l'échappez belle, hein ? le drame, c'est qu'il me faudra lire toute cette poésie pour la version YouTube de la chronique, ce qui promet d'être sportif…


Autre conséquence notable : cet article est pour l'essentiel une sélection dans ce qui était déjà une sélection – et je ne prétends certainement pas en avoir extrait « le meilleur », c'est même assez improbable : simplement ce qui m'a le plus parlé à titre personnel – moi, je, me, myself, I.


Allez, c'est parti.


LA PÉRIODE ARCHAÏQUE ET LA PÉRIODE DE NARA : LE MAN.YÔSHÛ, DONT QUELQUES POÈMES LONGS


Présentation


La première période envisagée par Gaston Renondeau est fort longue, puisqu'elle va « des premiers siècles de notre ère à la fin du VIIIe siècle ». Il rassemble donc plusieurs ères classiques en une seule. Cette mention des « premiers siècles de notre ère », toutefois, me paraît un peu douteuse, et il me paraît certain en tout cas qu'on ne peut pas remonter, au mieux (vraiment au mieux), au-delà de l'ère Kofun (250-538) ; plus probablement faut-il y voir l'ère Asuka, autrement pertinente ici, qui s'étend de 538 à 710, moment où débute l'ère Nara, avec l'installation dans la nouvelle capitale impériale – l'ère Nara s'achevant quant à elle en 794.


La question est compliquée, notamment parce que l'on rattache clairement Kofun à la protohistoire japonaise, et éventuellement Asuka aussi, mais pour partie seulement – car le rapport à l'écriture est alors problématique au Japon, et, à cette époque justement, les choses évoluent radicalement. le japonais a longtemps été une langue purement orale – d'où cette longue protohistoire. C'est le modèle offert par le puissant voisin qui va s'avérer déterminant : la littérature japonaise originelle est en fait largement une littérature chinoise. Si une littérature proprement japonaise devait avoir une origine, ce serait, dit-on, avec le Kojiki, remis à l'impératrice Genmei en 712 – nous sommes déjà presque à la toute fin de notre période, à ce compte-là… Mais c'est de toute façon une oeuvre hybride entre le japonais et le chinois, d'une lecture au mieux compliquée. En fait, la question se prolongerait encore quelques siècles, puisque la mise en forme d'une langue japonaise écrite distincte de la langue chinoise écrite (rappelons que les deux langues sont on ne peut plus différentes aux plans aussi bien de la grammaire ou de la syntaxe que des intonations, etc.) prendrait encore du temps, avec l'introduction des kana, etc.


Cependant, même avec cette ambiguïté fondamentale, une littérature japonaise se développe progressivement, dès l'époque « archaïque », mais surtout au VIIIe siècle (donc à l'époque de Nara pour l'essentiel) – et c'est une littérature qui est au premier chef poésie, selon des formes empruntées à la Chine mais bientôt adaptées, où le caractère syllabique prononcé de la langue japonaise s'accommode bien de procédés de composition poétique s'attachant au nombre de syllabes (ou de mores, plus exactement), et non à quelque autre aspect tel que la rime. On trouve assez tôt l'alternance classique entre vers de cinq et de sept syllabes, sur des formats plus ou moins longs, plus ou moins rigides. Ces poèmes proprement japonais sont appelés collectivement waka, mais se subdivisent en plusieurs sous-genres, dont les plus importants sont les poèmes courts, ou tanka (ceux qui connaîtront la plus longue prospérité, au point que le mot waka en viendra à terme à désigner les seuls tanka), et les poèmes longs, ou chôka.


En témoigne ce qui constitue probablement le premier vrai monument littéraire japonais, à l'époque de Nara, aux environs de 760 plus précisément (le cas du Kojiki, antérieur, étant donc très particulier – il ne serait véritablement lu que bien plus tard, dans le courant des « études nationales »). Je veux parler du Man.yôshû, ou « Recueil des dix-mille feuilles », qui constitue d'une certaine manière (et en dépit de certaines difficultés, notamment l'emploi selon les cas des caractères chinois pour leur valeur signifiante ou pour leur valeur phonétique), l'acte fondateur de la poésie japonaise classique, en compilant un très grand nombre de poèmes de l'époque archaïque et de celle de Nara – des poèmes par ailleurs très divers, qui pouvaient tenir aussi bien de l'épopée que de l'intime, célébrer l'édification d'un château ou une partie de chasse satisfaisante, aussi bien que déplorer la fin d'une idylle ou la mort d'un enfant, etc. le Man.yôshû demeurera une référence de base, dûment complétée au fil des siècles par d'autres anthologies présentant un même caractère « officiel » (on parle d' « anthologies impériales » ; il y avait bien sûr aussi des compilations « privées », et parfois du plus grand intérêt), et notamment, lors de la période suivante, le Kokinshû, qui constitue l'autre modèle éternel du poème classique nippon – peut-être insurpassable ; mais ça, ce sera plus tard, donc…


Pour l'heure, tenons-nous-en au Man.yôshû – car tous les poèmes cités par Gaston Renondeau pour cette première période en proviennent. Et, d'emblée, mon compte rendu comportera un certain biais… En effet, les poèmes longs, ou chôka (constitués d'un nombre variable, car indéterminé, de vers alternant en principe cinq et sept syllabes, pour finir sur deux vers de sept syllabes), sont assez rares dans l'ensemble de cette anthologie – et probablement, en fait, dans l'ensemble de la poésie japonaise ? On en compte quand même quelques-uns, et tout particulièrement aux sources de la pratique poétique nippone. le Man.yôshû en figure donc un certain nombre, même si les poèmes courts, ou tanka, sont bien plus nombreux (4207 contre 265, je crois que c'est clair… Mentionnons pour mémoire qu'il y avait d'autres types de poèmes dans cette compilation, dont certains en chinois, mais bien plus minoritaires encore de manière générale ; celui qui s'en tire le mieux est le format du sedôka, avec ses six vers, 5-7-7-5-7-7, ce qui le rapproche donc du tanka en termes de longueur, mais il n'y en a que 62 exemples dans tout le Man.yôshû). Les poèmes longs ont dès lors quelque chose d'exceptionnel dans cette anthologie, qui privilégiera ensuite systématiquement les poèmes courts, tanka d'abord, plus loin haïkus (avec l'exception hors-concours des pièces de nô de l'époque Muromachi) – en fait, les chôka « meurent » pendant l'ère Heian… Cependant, dans le contexte particulier de la compilation originelle, ce sont souvent les poèmes qui m'ont le plus parlé, même si à des titres divers. Noter aussi qu'ils datent tous du VIIIe siècle – et tant pis pour la « période archaïque », dont la pertinence ici est décidément un brin douteuse.

Morceaux choisis


Commençons par le « dialogue de deux pauvres » de Yamanoue no Okura (660-733), un diplomate qui s'était rendu en Chine et en avait été fortement imprégnée de pensée confucéenne ; mais il était aussi connu, semble-t-il, pour ses poèmes sur les miséreux et les enfants – en témoigne sans doute le présent poème, qui, au-delà du poignant tableau de la pauvreté, a aussi, j'imagine, quelque chose d'une réflexion éthique (pp. 49-51) :


[Le premier pauvre]

Dans la nuit où la pluie tombe

Mêlée au vent,

Dans la nuit où la neige tombe

Mêlée à la pluie,

Il fait un froid

Contre lequel on ne peut rien.

Je mâche à petits coups

Un morceau de sel dur

Je bois à petites gorgées

De la lie de saké dans l'eau tiède.

Tout en soufflant

Et reniflant

Je caresse une barbe

Rare.

Je puis bien me vanter

Qu'en dehors de moi

Il n'est homme qui vaille…

Mais il fait si froid

Que je tire sur ma tête

Ma couverture de chanvre.

J'y ajoute

Autant que j'en possède

Mes vêtements de toile sans manches.

Mais la nuit est vraiment froide…

De ceux plus pauvres encore

Que je ne suis

Le père et la mère

Sans doute ont faim et se gèlent.

La femme et les enfants

Sans doute gémissent d'une faible voix.

En pareille circonstance

Comment t'y prends-tu

Pour mener ta vie ?


[Le second pauvre]

Le ciel et la terre

Sont vastes, dit-on

Mais pour moi

Comme ils sont étroits !

Le soleil et la lune

Brillent, à ce qu'on assure,

Mais pour moi

Ils ne luisent guère.

En est-il pour tous de même

Ou pour moi seulement ?

Par fortune

Je me trouve homme.

Comme tous les autres hommes

Je suis fait.

Ma veste de toile

Non doublée

Pend en lambeaux

Comme du varech.

Ce ne sont que haillons

Jetés sur mes épaules

Dans ma cabane

Qui penche, croulante,

Le sol nu

Est jonché de la paille tirée d'une botte.

Mon père et ma mère

Dorment près de mon chevet.

Ma femme et mes enfants

À mes pieds

M'entourent

En geignant.

Du foyer

Aucune fumée ne s'élève

Dans la marmite

Les araignées ont tissé leurs toiles.

On a oublié

Comment on fait cuire un repas.

Nous sommes là gémissants

Comme l'oiseau nue

Quand le chef du village

Porteur de sa canne

Jusque dans notre chambre

Vient nous appeler

Pour raccourcir,

Comme on dit,

Un bâton déjà

Trop court.

Est-elle donc à tel point

Sans remède

La vie de ce monde ?


Deux petites précisions, concernant les propos du second pauvre : quand il se dit « homme », il faut entendre par-là le genre humain, pas le sexe masculin, mais avec également une connotation bouddhique liée au cycle des réincarnations – cette condition, supérieure à celle des animaux, se mérite, elle est un privilège. Quant au chef du village qui vient « raccourcir un bâton déjà trop court », il faut entendre par-là qu'il prélève des taxes sur un ménage au revenu déjà insuffisant.


Certains des poèmes longs repris dans cette anthologie ont un contenu mythologique, et éventuellement épique, qui me les a rendus plus appréciables encore dans leur dimension de récits – cela sera parfois toujours le cas dans la poésie ultérieure, mais dans un registre davantage allusif, format court oblige, où par ailleurs l'affectation aura régulièrement sa part (combien de variations sur le Bouvier et la Fileuse ! Mais, là encore, le cas des pièces de nô de l'époque Muromachi est à part). Dans ce registre, j'avoue avoir été séduit notamment par cette évocation anonyme (on sait seulement que l'auteur a vécu au VIIIe siècle) de « la légende d'Urashima » (pp. 69-71) :

Un jour de printemps

Couvert de brume,

À Suminoe

Me promenant sur le rivage

Je regardais les barques de pêche

Qui se balancent sur les flots.

Alors j'ai pensé

À une histoire de jadis.

Le jeune Urashima

De Mizunoe

Était fier de sa pêche

Au thon et à la dorade,

De sept jours

Il ne rentra pas à la maison.

La limite de la mer

Il avait franchie dans sa barque.

Soudain,

Ramant vers lui, vint

La fille

Du dieu de la mer.

Ils s'entretinrent

Et s'éprirent l'un de l'autre.

Ils échangèrent des serments

Et se rendirent au pays de la vie éternelle,

La main dans la main

Ils entrèrent tous les deux

Dans une demeure

Splendide de l'enceinte

Du palais du dieu

De la mer

Sans vieillir

Ni mourir

Un long temps

Il passa,

Mais l'insensé

Étant fils de ce monde

Parla ainsi

À son épouse :

Quelques moments je voudrais

Retourner à la maison,

Prendre des nouvelles

De mon père et de ma mère.

Je reviendrai,

Disons… demain.

Quand il eut parlé

Sa femme dit :

Si dans ce monde de vie éternelle

Tu veux revenir

Et comme maintenant

Vivre avec moi

N'ouvre jamais

Le coffret de toilette que voici.

Il en fit le serment

Et le répéta.

À Suminoe

Revenu

Il chercha sa maison :

Il ne vit plus de maison,

Il chercha son village :

Il ne vit plus de village.

Perplexe,

Il restait là, pensif.

Depuis trois ans seulement

Qu'il avait quitté la maison

Se pouvait-il que jusqu'à la clôture

Elle eût disparu ?

Si, pour voir, j'ouvrais

Ce coffret,

Comme autrefois

La maison ne serait-elle pas là ?

Il entrouvrit

Le précieux coffret de toilette et alors

Un nuage blanc

S'échappa de la boîte

Et se répandit

Jusqu'au pays de la vie éternelle.

Bondissant sur ses pieds

Il cria, agitant ses manches,

Trépigna,

Se roula à terre.

Soudain

Son esprit s'affaiblit,

Sa peau qui était si jeune

Se couvrit de rides,

Ses cheveux qui étaient noirs

Devinrent blancs.

Bientôt

Le souffle lui manqua

Et finalement

La vie le quitta.

Du jeune Urashima

De Mizunoe,

Je vois le lieu de la demeure.


Dans un genre relativement proche, encore que le principe mythologique s'y montre autrement discret, ou en tout cas différemment connoté, j'ai trouvé très poignant cet autre poème anonyme du VIIIe siècle, intitulé ici « En regardant le tombeau de la jeune fille d'Unai » (pp. 72-74) :

Depuis son âge non encore fait

D'enfant de huit ans

Jusqu'au moment où ses cheveux

Furent noués en un flot lâche

La jeune fille d'Unai

À Ashinoya

Resta invisible

Aux gens du voisinage,

Car elle était enfermée

Comme une chrysalide en son cocon.

« Nous voulons la voir ! »

Disaient, irrités,

Ceux qui venus la courtiser

Assiégeaient la maison.

Un garçon de Chinu,

Un autre d'Unai,

Dans une compétition ardente

Comme une hutte en feu

Se lançaient tour à tour

Des défis d'une voix forte.

Mettant la main sur la poignée

De leurs sabres bien affilés,

Portant à l'épaule un arc d'un bois neigeux

Et un carquois

Ils juraient de sauter dans l'eau

Et même dans le feu.

Ils dressaient l'un contre l'autre

Leur rivalité.

Alors la jeune fille

Parla ainsi à sa mère :

Lorsque pour ma personne

Insignifiante comme un méchant bracelet de pierres

Je vois des hommes vaillants

Se disputer,

Même si je vis

Peut-on parler pour moi d'union ?

Je les attendrai

Au pays de la mort, dit-elle

Et soupirant

Dans l'ombre

Ainsi qu'un étang perdu dan
Lien : http://nebalestuncon.over-bl..
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Le début de l'ouvrage, composé de poèmes épiques m'a laissé de glace. Mais les suivants, très court poèmes de trois lignes m'on fait fondre. Certains sont d'une naïveté touchante, ils nous parlent d'amour, de nature...Tout leur art réside dans cette capacité à décrire un tableau où un sentiment en si peu de mots.
Ce recueil de poème nous lève un voile sur l'âme japonaise.
A découvrir !
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La poésie est un mystère pour moi, une forme d'alchimie dont la formule est magique. Ses règles, sa construction, toute la technique qui se cache derrière syllabes, vers et strophes, m'échappent la plupart du temps. Finalement, cela m'est égal. Ce qui m'importe, c'est la matière première de la poésie : les mots, leur musicalité et les images qu'ils évoquent.

J'avoue que la première partie de ce recueil m'a laissé de marbre. En revanche, la seconde partie, regroupant une multitude de courts poèmes, m'a émerveillée. Tout n'est que musique, sensations, émotions. La nature est omniprésente, tantôt douce, tantôt cruelle, mais toujours puissante et éblouissante. Les sentiments comme l'amour, souvent contrarié, et la mort, inévitable, occupent également une place importante dans ce recueil. Dans ces poèmes transparaît une certaine vision de la nature, une manière d'observer et d'écouter le monde.

Je n'aime pas lire la poésie de manière trop linéaire, une page après l'autre, comme pour un roman. J'aime passer d'un chapitre à l'autre, sauter des pages, revenir en arrière, puis en avant, relire un même poème jusqu'à ce qu'il se grave dans ma mémoire l'espace de quelques heures (je n'ai pas une mémoire d'éléphant...) Grâce à ce recueil, j'ai passé un moment hors du temps.
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J'ignorais presque tout de la poésie japonaise. C'est pourquoi j'ai choisi de parcourir ce recueil. L'introduction (qu'il faut absolument lire) donne un aperçu synthétique sur la poésie classique. On en trouve les premières traces au VIIIeme siècle, grâce à des anthologies que l'on a conservées. Le genre court et « précieux » s'est imposé pendant plusieurs siècles, avant l'apparition du théâtre no et l'invention du haïku.

J'avoue que peu de textes m'ont fait vibrer dans ce livre. Même les haïkus, souvent admirés en Occident, ne soulèvent pas mon enthousiasme. Le grand maître Baschô lui-même a écrit des poèmes comme celui-là:

Elles vont bientôt mourir
Les cigales; on ne s’en douterait pas
Lorsqu’on les écoute

Je le trouve assez plat (dans sa traduction française, en tout cas). Finalement, je suis passé à côté de cette poésie. Dommage.
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Citations et extraits (63) Voir plus Ajouter une citation
Le Bouvier et la Fileuse
     
Le Bouvier
Et la Fileuse
Se font face sur la rivière
Lisse comme une fine natte
Depuis le temps où se sont séparés
Le ciel et la terre.
Leur amour
Ne connaît pas de repos
Leurs lamentations
Ne leur laissent pas de répit,
Par les flots bleus
Leurs désirs sont réduits à néant,
Dans les nuages blancs
Leurs larmes se sont taries.
En cette situation
Ils ne peuvent que soupirer.
En dépit de tout
Ils s’aiment l’un l’autre.
Que n’a-t-il une petite barque
Peinte en rouge,
Que n’a-t-il des avirons
Garnis de gemmes
Pour traverser qui vient le matin,
Pour ramer vers elle
Avec la marée du soir?
Au bord de la Voie lactée
Éternelle
Elle étendrait son écharpe
Qui vole à travers le ciel.
Les beaux bras
Aux beaux bras se mêleraient,
Que nombreuses nuits
Ils voudraient dormir ensemble
Même quand ce n’est pas l’automne*.
     
     
Yamanoue no Okura
[mort en 733, âgé d’une soixantaine d’années, avait séjourné en Chine en tant qu’envoyé officiel et reçu du confucianisme une empreinte qui se trahit dans nombre de ses poèmes. Il remplit diverses charges à la Cour et fut gouverneur de provinces.]
     
     
Poème présent dans le Manyôshû VIII; 1520.
     
[Selon une légende originaire de Chine et qui a poursuivi sa carrière au Japon, la fille du maître du Ciel filait d’un côté de la Voie lactée. C’est l’étoile la Fileuse (Véga de la lyre). Son père lui choisit pour fiancé le Bouvier (autre étoile - Altaïr de l’Aigle - de l’autre côté de la Voie lactée). Les amants passaient tant de temps l’un avec l’autre qu’ils négligèrent leur travail. Le père les condamna à vivre séparés et à ne se voir que la 7è nuit du 7è mois, où ils se réunissent enfin - si, du moins, le temps est clair et le permet. Ce jour-là on fête au Japon depuis l’an 691 la réunion du couple. Il est d’usage que les jeunes filles qui prennent part à la fête fassent des vœux pour trouver un mari aussi fidèle que le Bouvier.]
     
* C’est-à-dire le fatidique 7è jour du 7è mois.
     
pp. 54-55
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Sur la plage de Mitsu
Pareil à un miroir
Posé sur le coffret de toilette
D'une femme de distinction
Je ne dénouerai pas ma ceinture
Teinte en vermillon
Car je pense avec amour
A ma femme
Comme la grue qui crie
Prise dans le brouillard matinal
Du crépuscule
Je ne sais que gémir
Espérant après quelque pensée
Qui pût consoler
Même la millième partie
De mon amour
Je sors pour regarder de loin
Vers ma maison :
Elle est cachée par les blancs nuages
Qui s'étagent au flanc
Du mont Katsuragi
Drapé de vert.
Passant l'île d'Awaji
Qui est droit en face
Des provinces campagnardes
Lointaines comme les cieux
Je me retourne
Vers l'île d'Awa ; j'entends
Les voix des bateliers qui s'appellent
Dans le calme du matin
Et le bruit de leurs rames
Dans le calme du soir.
Nous voguons, frayant notre route
Sur la crête des vagues,
Contournant
Les rochers,
Nous dépassons le cercle des rives
D'Inabitsuma.
Comme des oiseaux
Nous plongeons et reparaissons.
Sur les rochers
De l'île d'Ie
Poussent, luxuriantes
Et flexibles
Les algues (qu'on appelle) "Ne parle-point".
Pourquoi suis-je parti
Sans dire à ma femme
Tout ce que je voulais ?

Tajihi no Kasamaro (VII-VIIIè siècle)
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Fleurs de cerisier
Qui ne connaissez le printemps
Que depuis cette année,
Puissiez-vous ne jamais apprendre
Qu'un jour vous devrez tomber.

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Parce qu'en pensant à lui
Je m'étais endormie
Sans doute il m'apparut.
Si j'avais su que c'était un rêve
Je ne me serais certes pas réveillée.

Ono no Komachi - milieu du IXème siècle
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Ces vagues des glycines
Que j’ai plantées dans mon jardin,
Pour en faire un souvenir de vous
Quand j’aurai par trop de nostalgie,
Voici qu’elles sont maintenant en fleur

Yamada no Akahito
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Mishima à propos du livre Après le banquet
Paul Louis MIGNON interview Gaston RENONDEAU, traducteur du livre "Après le banquet",, puis l'auteur, MISHIMA.
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