J'aime les beaux objets, et autant les volumes de
Junji Ito que publie l'éditeur ne m'intéressaient pas, autant la promesse d'une réinterprétation d'
Alice au pays des merveilles par des jeunes auteurs japonais un peu déjantés, ça ça me parle plus !
On a beaucoup parlé de l'objet et parfois à raison, parfois à tort. Je vois souvent les fans tomber sur certains éditeurs à cause de la qualité de leurs ouvrages ou au contraire en portant d'autres aux nues. Je vais me montrer plus nuancée ici. Si je salue la superbe couverture de l'édition française avec son léger effet de relief (mais attention certains exemplaires ont des défauts de fabrication là-dessus avec un décalage image - relief embêtant), ainsi que la reliure rouge dont il est affublé, je suis un peu déçue par la qualité du papier (un peu fin) et le rendu des noirs (pas assez profonds), alors que j'avais tant vu vanter ses belles finitions. Il manque aussi un signet et une coiffe pour parfaire l'ouvrage de qualité que cela se veut être notamment au prix conséquent de 22.95€. Peut-être certains "influenceurs" pourraient-ils être plus modérés et justes dans leurs critiques sur la qualité des objets finis.
Maintenant parlons de l'oeuvre. Nous devons celle-ci à deux jeunes auteurs et cela se sent aussi bien dans leur enthousiasme, leurs influences que leurs maladresses parfois. Prépublié au Japon en 2019 dans le magazine Manga Hack de Crative Entertainment, je découvre un peu. Il faut dire que l'horreur et moi souvent, ça fait deux, mais ici il y a une dimension philosophico-pop qui m'a intriguée.
Joli pavé de plus de 300 pages,
Bibliomania porte à merveille son nom. Il est en effet une oeuvre parfaite pour les fans de livres dans tous les sens du terme. Comme dans Babel d'Akata, on retrouve une dimension ésotérique entêtante autour d'un objet livre mystérieux et cela va nous emmener dans une aventure des plus folles et surtout des plus vertigineuses où de multiples histoires dans l'histoire vont se retrouver imbriquées. C'est très singulier et un peu déstabilisant. le lecteur peut se sentir perdu à plusieurs reprise mais il a toujours envie de poursuivre pour essayer de comprendre et démêler le fil de ce mystère.
Nous suivons pour cela une héroïne archétype de la célèbre Alice mais avec un je ne sais quoi de dérangeant chez elle que n'a pas l'originale. Les auteurs nous font ainsi tomber avec elle dans un fantastique aux allures de body horror psychologique qui gratte et dérange, le tout mis en scène dans un dessin qui interpelle très souvent car on y voit les influences de bien d'autres
oeuvres romanesques, mangaesques mais aussi picturales. Il y a du
Lewis Carroll bien sûr, mais aussi du Evangelion, du Akira ou encore du Brueghel.
Les auteurs profitent de ce voyage hors du temps dans un livre, où l'héroïne se retrouve prisonnière et où elle doit traverser 431 chambres pour espérer tandis que son corps se transforme et se désagrège, pour nous glisser aussi de nombreuses réflexions sur notre société contemporaine. Mais au vu de l'expérience, il faut aller vite et l'héroïne saute donc littéralement d'un sujet à l'autre sans quasi aucun approfondissement ce qui est dommage et donne un sentiment de survol. Les auteurs évoquent ainsi pêle-mêle le harcèlement scolaire, les otakus, la souffrance au travail, les violences intrafamiliales, la guerre, les vices divers et variés, et les plaisirs aussi. Ça va trop vite et ça donne l'impression de n'être là que pour combler, les auteurs voulant raconter peut-être autre chose, ce que je regrette. Quitte à utiliser ce genre de sujets autant le faire correctement.
Bibliomania est donc bien un livre concept où les auteurs se sont fait plaisir non pas tant à revisiter
Alice au pays des merveilles pour moi mais plutôt Evangelion que je retrouve un peu partout aussi bien dans les nombreuses représentations physiques d'Ange comme on en a connu dans la série, que dans cette héroïne qui vit enfermée à sa façon. C'est gentil mais est-ce suffisant comme délire ? Pas vraiment pour moi, surtout sans appareil critique de la part de l'éditeur pour accompagner et expliquer la démarche. J'ai eu l'impression d'être face à un long délire métaphysique au fil des pages tandis qu'elle essayait de s'échappait, que son corps lui échappait et que naissait quelque chose d'autre qui sera la surprise du chef final. Mais dans quel but ? Cela me laisse un peu dubitative. Il y a énormément de pistes mais suis-je sur les bonnes ? Ce genre d'objet n'était peut-être pas tout à fait pour moi... J'ai apprécié l'aventure. J'ai aimé me faire balader mais j'aurais aimé un peu plus d'étayage au final.
De la même façon, je m'attendais à une claque visuelle et j'ai trouvé l'ensemble marquant mais aussi plein de maladresses. On sent que le dessinateur n'a pas tant de bouteille que ça même s'il y a plein de compo qui donnent un effet wow cachant les petits détails qui font couac. du coup, on retient surtout les moments dérangeants, percutants, les trouvailles de body horror de Macchiro, les pages un peu psychédéliques et les autres plus contemplatives. Mais de belles pages côtoient d'autres plus approximatives et maladroites, et les noirs pas noirs de l'édition n'aident pas trop. On m'avait aussi peut-être un peu trop survendu le titre de ce côté-là et je dois dire que j'ai vu des compositions bien plus marquantes chez des auteurs historiques comme
Junji Ito,
Moto Hagio,
Kentaro Miura et j'en passe. Tout ceci n'est qu'une question de goût mais ça joue dans une appréciation d'une oeuvre. Parfois, il n'y a pas de mal à dire que nous sommes avec de jeunes auteurs plutôt que de sans cesse vouloir les vendre comme de nouveaux génies. Je crois qu'en fait, j'ai du mal avec la com' trop enthousiaste de Mangetsu que des fans du directeur de collection reprennent telle quelle...
Je m'excuse pour cette chronique un peu confuse à l'image de ma lecture. J'ai aimé cette confusion lors de ma lecture car cela m'a bousculée mais je ressors aussi un peu déçue tant j'attendais plus qu'au final ce pur délire de deux jeunes mangakas sûrement fans de pop-culture qui se sont fait plaisir ici en mélangeant plein de références et de critiques sociétales pour faire une oeuvre WTF totale. Cela a un côté jouissif mais sans accompagnement critique, ce qui manque cruellement ici, on ne sait pas quelles furent les intentions des auteurs, ce qu'ils ont voulu raconter, si les références qu'on imagine sont voulues et non. Tout est donc un peu vain. Mais on a un joli objet et une
oeuvre singulière. A vous de voir si ça vous suffit ou pas.
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