Ce tome fait suite à Secret Empire (2017) écrit par
Rick Remender, qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu avant. Il comprend les épisodes 695 à 700 (la série ayant repris sa numérotation originale), initialement parus en 2017/2018, écrits par
Mark Waid, dessinés et encrés par
Chris Samnee, mis en couleurs par
Matthew Wilson. Il se termine avec une histoire de 10 pages coécrite par
Jack Kirby &
Stan Lee, dessinée par Kirby, encrée par
Frank Giacoia, revue et réécrite par
Mark Waid, remise en couleurs par
Matthew Wilson. Samnee &
Waid avaient précédemment collaboré sur la série Daredevil, puis sur la série Black Widow. Ce recueil comprend également les couvertures alternatives réalisées par
Alex Ross (*2), Billy Martin,
Jim Steranko,
Mike McKone, John Tyler Christopher,
Adi Granov,
Ron Lim,
John Cassaday (*2), Rahzzah, et 2 couvertures remastérisées, une par Jim Lee et une par
Jim Steranko.
Steve Rogers était un jeune homme frêle qui a absolument voulu s'engager dans l'armée pour combattre les nazis et qui a fini la guerre, prisonnier d'un bloc de glace. Il y a 10 ans, Captain America intervenait pour neutraliser des preneurs d'otage appartenant à l'organisation Rampart et qui s'en sont pris à une classe d'enfants, dans la ville de Burlington au Nebraska. Au temps présent, il revient à Burlington qui s'est rebaptisée Captain America en son honneur, le temps d'une convention en plein air également organisée en son honneur. Il s'agit d'une fête familiale, avec des enfants en train de jouer, certains déguisés en Captain America, des stands de jouets, des stands d'animation. Les hommages commencent alors avec un jeune homme qui montent à la tribune et qui évoque son souvenir de Captain America quand il l'a protégé en intervenant lors de la prise d'otages 10 ans plutôt. Un autre enfant explique que lui aussi a été influencé par une vidéo de Captain America, à tenir tête à des grands qui abusaient de leur force. Ensuite plusieurs adultes se succèdent pour expliciter l'influence positive qu'il a eue sur leur vie.
Les festivités sont interrompues par un commando de Rampart qui monte sur l'estrade, et s'apprête à tirer dans la foule pour massacrer tout le monde. Bien sûr Captain America intervient et met les choses au clair. Steve Rogers s'arrête ensuite à Sauga River, où il doit affronter un supercriminel qui a décidé de rançonner la ville en menaçant de de détruire le barrage qui protège toute la vallée. Ensuite Captain America se retrouve à être la proie de Kraven le chasseur. Enfin il subit l'indignité de se retrouver à nouveau dans un bloc de glace. Il en ressort en 2025, pour découvrir des États-Unis dévastés, où il ne subsiste qu'une petite communauté de très riches dirigés par le roi Maximillian Babbington, un despote tyrannique. Captain America prend bien sûr la tête de la résistance. Mais est-il encore temps pour pouvoir reconstruire un pays aussi dévasté ?
En ouvrant ce nouveau tome des aventures de Captain America, le lecteur ne sait pas trop à quoi s'attendre. C'est une évidence s'il l'a choisi au hasard juste pour les auteurs. C'est également le cas s'il a lu les épisodes écrits par
Nick Spencer. Ce dernier avait embarqué Steve Rogers dans une intrigue ambitieuse ayant débouché sur le crossover de l'année 2017, laissant l'image de Captain America sérieusement écornée puisqu'il avait pris la tête d'Hydra pour instaurer un état d'urgence et se voir confier les pleins pouvoirs. Spencer avait utilisé les conventions des comics de superhéros pour mener une réflexion intéressante sur la responsabilité des citoyens qui délèguent leur pouvoir à leurs représentants politiques. Avec les 3 premiers épisodes,
Mark Waid donne l'impression de démarrer doucement : le premier pour montrer que Steve Rogers s'est bien remis de sa phase Captain Hydra, qu'il a toujours à coeur les intérêts des américains, des citoyens qui constituent le peuple et que ce dernier n'a pas oublié tout le bien qu'il a accompli au service de son pays. le second épisode enfonce le clou avec le sauvetage d'une petite ville, Steve Rogers restant près des individus ordinaires. le troisième épisode repose sur une chasse à l'homme distrayante et bien menée, Captain America étant pourchassé par Kraven.
Dans cette première moitié, le lecteur observe que
Mark Waid a choisi de revenir à un récit avec une forme ouvertement superhéros, sans plan à long terme, juste des histoires rondement menées montrant Captain America reprenant pied dans le quotidien, sans menace cosmique ou à l'échelle de la planète, pour montrer que le personnage est encore viable et pas trop marqué par sa période Captain Hydra. le lecteur peut aussi se dire que
Waid écrit sur la base des idées de
Chris Samnee pour lui permettre de dessiner ce qu'il souhaite. de fait cet artiste dessine d'une manière qui allie une apparence d'intemporalité, voire même de nostalgie, avec une narration visuelle efficace sans trace de la naïveté enfantine des comics des années 1960. Il donne bien sûr une musculature imposante à Steve Rogers, en cohérence avec sons statut de superhéros et le fait qu'il incarne l'optimum physique de la race humaine. Il donne des silhouettes normales aux personnages civils avec tenues vestimentaires variées et adaptées. Il s'investit dans les accessoires et les environnements pour leur donner de la consistance. le lecteur prend plaisir à regarder la moto de Steve Rogers, les détails des stands de la fête commémorative, les rues de Sauga River, le diner de cette même ville, le barrage, ou encore la zone sauvage dans laquelle se déroule la chasse.
La collaboration entre Samnee et
Waid pour Black Widow avait établi l'élégance de la narration visuelle de l'artiste, y compris lors de séquences muettes d'une grande fluidité. À ce titre le premier épisode n'impressionne pas tant que ça : c'est sympathique d'observer Steve Rogers en homme souriant et qui en impose, mais ce n'est pas spectaculaire. Cet état de fait évolue avec le deuxième épisode, à la fois pour le rendu authentique de la petite ville, et pour l'affrontement physique entre Captain America et le supercriminel. le troisième épisode apporte cette narration d'un naturel incroyable, plaçant le lecteur aux côtés de Captain America essayant d'anticiper les pièges, tout en distançant son poursuivant, pour un récit déjà mille fois lu et pourtant très prenant grâce à la narration. Samnee réussit également à intégrer des postures et des mouvements évoquant l'influence de
Jack Kirby, sans le singer, pour une discrète saveur nostalgique très réussie. Puis le récit passe à sa deuxième partie : Captain America prend la tête de rebelles pour rétablir la démocratie aux États-Unis.
Dans cette deuxième partie, l'enjeu pour
Mark Waid est de montrer que Captain America reste un symbole et pas seulement un individu qui défend la veuve et l'orphelin, ainsi que les petites gens. Pour éviter les discours trop politisés, il envoie Captain America dans un futur dystopique où il doit mettre à bas un tyran. S'il a suivi les aventures de Steve Rogers, le lecteur peut avoir l'impression d'un retour à son séjour dans la dimension Z, époque
Rick Remender. Mais en fait, le scénariste a plus d'ambition et montre que la bonne volonté ne suffit pas toujours. Samnee continue à se tenir en équilibre entre nostalgie évoquant les inventions bizarres de
Jack Kirby, et l'évocation d'un monde dévasté. L'enjeu pour l'artiste n'est pas de dépeindre un monde de manière réaliste mais de rendre compte de l'ambiance pesante, d'environnements détruits, ce qu'il fait avec habileté, se montrant très convaincant, sous des apparences de dessins simples et tout public. Il gère le degré d'information dans les arrière-plans en fonction de ce qu'ils amènent à la séquence, bien épaulé par la mise en couleurs de
Matthew Wilson qui n'abuse pas des effets spéciaux, et qui sait complémenter les dessins pour qu'ils présentent toujours assez de substance.
Les dessins installent une ambiance sérieuse un peu désespérée, avec une énergie communicative lors des affrontements physiques, permettant au lecteur de s'immerger dans cette reconquête de la liberté et du pouvoir. de son côté, la narration de
Mark Waid est à l'unisson de celle de
Chris Samnee, facile à suivre, dégageant des émotions simples et intenses, avec un fond également ambitieux : l'espoir ne suffit pas à surmonter tous les obstacles. Captain America ne gagnera pas par la seule force de sa volonté. le lecteur peut apprécier de manière différente la résolution de l'intrigue, avec un paradoxe temporel assez bien manié, mais les auteurs auront atteint leur objectif de proposer une nouvelle direction claire et classique au personnage, avec une narration à la fois en mode hommage et à la fois personnelle. 5 étoiles.
Le tome se termine avec un exercice de style un peu particulier : reprendre des pages de
Jack Kirby et réécrire les phylactères pour en faire une autre histoire. L'objectif apparaît clairement : prouver par l'exemple que la narration de
Jack Kirby reste très actuelle, une fois habillée à neuf de dialogues débarrassés de leur tournure ampoulée, et bénéficiant d'une intrigue plus étoffée. L'objectif est effectivement atteint, mais plus grâce à la qualité des pages de Kirby, que par la réécriture qui reste à un niveau très fonctionnel, trop respectueux peut-être de peur de voler la vedette, ou au moins de faire de l'ombre à la narration visuelle. Un exercice un peu vain pour un lecteur qui apprécie déjà les dessins de
Jack Kirby, pas tout à fait convaincant pour celui qui le découvre ainsi.