MES PAS DERRIÈRE MON COEUR
Même si vous n’êtes plus
que des mots dans mes poèmes
- des pronoms personnels
qui pour moi ont des corps
des gestes des paroles -
c’était pour toi pour vous pour nous
ces phrases où j’ai laissé
mes pas derrière mon coeur.
Et si l’eau est venue tout recouvrir
ou de la terre la terre
et des ciels d’autres ciels
je n’oublie pas
- vous qui n’êtes plus que des mots
dans mes poèmes -
que sous l’eau la terre le ciel
je suis relié à vous
qui me reliez à moi.
Alors je continue
de vous parler
de t’embrasser
de nous croire mortels
et d’écrire quelquefois des poèmes
où mon corps mes gestes mes paroles
sont ces cendres encore chaudes
sous mes phrases où vos pas
c’est mon coeur.
LES MOTS DU BORD DES LÈVRES
Pour tous les mots du bord des lèvres
que j’ai gardés – sans vous les dire –
dans le silence d’une seule fois
je rentre en moi je disparais
un peu confus tout de même
d’avoir tant hésité pour me taire.
Mes simples mots du bord des lèvres
je les ai suivis je les ai perdus
comme on roule parfois tard
dans les rues vides la nuit :
une ville inconnue
un port de nulle part.
Jeté comme un caillou
qui n’a fait aucun bruit
en touchant la surface
mon poème me noie
dans ce grand trou du temps
où nous nous sommes penchés.
Et où mes mots vous cherchent.
LIQUIDATION
parfois on recherche un poème
pour une phrase
qu’on a lue on ne sait plus quand
mais qui revient - pourquoi -
à la mémoire
à cause peut-être d’une impression
pareille à celles qui font croire
qu’on a déjà vécu ce moment-là
alors on feuillette des livres
on s’arrête sur des mots des images
et on s’aperçoit qu’au fond
on n’a jamais rien lu
ou plutôt que c’est jamais fini la poésie
quand bien même on passe des nuits
à courir le long des rails
pour rattraper ce qui s’en va
comme un jour on s’arrête
devant une boutique de souvenirs
avant la saison sur la côte
pour une pancarte en lettres bâtons
qui dit que TOUT DOIT DISPARAÎTRE
POUR UN PIANO
Une villa fenêtre ouverte.
Pins parasols chemin côtier
le ciel l’été le calme plat.
Le même morceau le même passage
sans cesse repris sans cesse
interrompu.
Sur le clavier je me disais :
« Qui peut bien jouer ? »
La mer aussi semblait attendre
et partager dans l’immobile
cette impression qui s’en allait
en plein midi vers ce poème
pour le piano d’un inconnu
- un homme une femme ? -
qui transformait un air de jazz
en vagues touches d’éternité.
ÉCART
sentir déjà l’automne
malgré le ciel
malgré le bleu
malgré la date du journal
et essayer de noter ça
sur un carnet pour un poème
comme une adresse un jour
échangée avec un inconnu
sur un paquet de cigarettes
on sait qu’on n’écrira pas
on fait seulement semblant
et l’on regarde partir
un enfant à la pêche
avec une ombre trop grande
qui pédale pour lui
et qui creuse l’écart
irrémédiablement
texte © François de Cornière, tous droits réservés
musique, instruments, voix, mise en images Franklin Hamon, tous droits réservés