Dieu sait si j'ai lu des livres à ce sujet : ceux excellents du reste de JM Dortier, celui de Buytendick même s'il date un peu, l'énorme livre de Ruffié "de la biologie à la culture", les ouvrages oubliés mais démentiels de
Maurice Pradines, mais nous avons là un monument, une synthèse réflexive et pas seulement passive et didactique. Un ouvrage interdisciplinaire sur ce qu'est l'homme (genre), sachant qu'il y en a eu plusieurs (espèces). Paléontologie, biologie, linguistique, philosophie, écologie, reprises de grands débats (Chomsky, Pinker, Hauser, le génial Premack, et même
Vincent Descombes !). Comment peut-on ne pas savourer cet ouvrage, ne pas être heureux en le lisant ? Quiconque s'intéresse à ces problématiques ne peut que jubiler de lire cette somme. On ne peut ressortir de la lecture de cet ouvrage sans un énorme sentiment de puissance, n'ayons pas peur de le dire. Ce livre mélange en plus subtilement grands discours notionnels et conceptuels et énormes parcours et images historiques pour empêcher le tout de rester abstrait : on "voit" le monde où ont vécu les hommes de Néandertal, on la voit la vallée du Rift où évoluèrent nos ancêtres, on la voit l'évolution des silex aux bifaces et aux chopping tool, la différence entre homo sapiens et néandertal. Allez, ajoutons un petit regret : une trop forte tendance à accepter sans critique les concepts de la biologie : adaptation, fonction, utilité. On aurait aimé (mais c'était quand même trop demander) de nuancer certains hypothèses de travail que certains philosophes ont critiqué. Ainsi
Bachelard distinguait-il l'agréable de l'utile, et déjà en son temps
Rémy de Gourmont contre Spencer (l'utile peut être désagréable, et l'inutile et le nuisible être agréables : drogues, confections d'objets ou d'aliments sans intérêt vital). Ce qui a des conséquences décisives sur l'histoire de l'homme et son rapport aux aliments, aux autres, à lui-même, au temps (
Bachelard est le génie qui l'a montré dans sa psychanalyse du feu : l'homme n'est pas un penseur mais un pensif, cette nuance conduisant loin). On regrette aussi l'histoire trop lisse d'un homme déployant des potentialités inscrites dans son cerveau : la création humaine est toujours pensée comme un moyen de déployer, d'actualiser des virtualités qui sommeillent. On regrette encore l'oubli de cette remarque de Alain qui disait que c'étaient les passions qui menaient le monde (jalousie, envie, haine, avarice, amour propre...), lesquelles ne servent pas l'intérêt collectif et personnel. Autre image que celle d'un homme rationnel déployant ses latences en sommeil pour sa viabilité. Mais on ne peut rien reprocher à ces deux auteurs, ce livre est INCONTOURNABLE ! Bravo à eux ! Quelle tristesse de voir qu'une seule personne sur babelio a lu ce livre que seuls l'acharnement et la sagesse ont mené jusqu'au bout ! Je suis impressionné !