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France Bhattachary (Traducteur)
EAN : 978B086KTD4LD
299 pages
Zulma (30/03/2020)
4.01/5   70 notes
Résumé :
Calcutta, années 1920 : jeune diplômé sans le sou, Satyacharan est contraint d’accepter le poste d’administrateur d’un vaste domaine forestier aux confins du Bihar – au nord-est de l’Inde. D’abord dérouté par l’extrême pauvreté de l’endroit, ce Bengali raffiné et mondain est bientôt fasciné par la diversité des modes de vie, l’exubérance de la faune et de la flore – tout un peuple, dans la forêt. Son rapport au monde en est bouleversé.

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Critiques, Analyses et Avis (30) Voir plus Ajouter une critique
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Voilà un livre lu depuis quelques jours et dont il est difficile de parler sans édulcorer son propos...

Un jeune homme qui n'est autre que l'écrivain lui-même, tout juste diplômé de l'Université de Calcutta, ne trouve aucune embauche. Ses ressources s'amenuisent et voilà qu'endetté, désormais, on lui refuse l'accès au foyer où il pouvait prendre ses repas... Fortuitement, il croise un de ses anciens condisciples, plus fortuné, à qui la vie a davantage souri. Celui-ci, sans doute ému par la misère dans laquelle son ami se débat, lui propose un travail : partir, vers le Bihar, une des provinces les plus pauvres de l'Inde, aux confins des forêts sous le regard des sommets de l'Himalaya et devenir l'employé de son père, riche propriétaire. Sa tache sera d'accorder des parcelles à ceux qui demanderont à travailler la terre.
Le jeune homme quitte Calcutta pour rejoindre son poste, en pleine nature, en pleine jungle...
Le premier mois, la transition est tellement brutale, le dépaysement tellement déstabilisant, qu'il ne songe qu'à démissionner et retourner à Calcutta où la misère lui apparaît plus tolérable que la solitude et l'isolement qui sont désormais siens.

C'est compter sans le charme de cette forêt, de cette luxuriance de la végétation, sa beauté inconcevable toujours en variations de couleurs et de senteurs, de cette faune sauvage crainte et divinisée, c'est compter sans la rencontre de ceux qui connaissent les paysages depuis toujours, les peuplant de divinités souvent bienfaitrices, de tigres mangeurs d'hommes, d'oiseaux paradisiaques.
L'homme exilé se laisse envoûter, malgré lui, par tous et par ces paysages sur lesquels son regard s'ouvre. Cette forêt et ces terres sauvages deviennent pour lui un trésor à protéger et il essaye de dispenser les parcelles tout en respectant la jungle, ses vies enfouies, et les autochtones, dont il découvre que la pauvreté n'est même pas concevable pour un homme venant du Bengale qu'il est..
Il se blottit avec sérénité dans cette solitude offerte peuplée de bruissements et n'aspire désormais qu'à ne plus la quitter.


Ce livre, écrit dans les années 1930, et qui parle d'une existence que l'écrivain a réellement vécue, est un manifeste écologiste et une leçon d'humanité.
En plusieurs dizaines de rencontres, de nuits passées à contempler la canopée, les montagnes changeantes, les arcs-en -ciel, à craindre de faire face aux buffles sauvages ou aux serpents dont la morsure est mortelle, le narrateur se transforme, comme happé par ces paysages dont il ignorait l'existence, conquis par "gangotas" dont il comprend la philosophie de vie, avec une compassion sans misérabilisme pour leurs existences si démunies, dénuées de tout, comme cet homme âgé, qui réensemence la jungle de toutes sortes de végétaux prélevés lors de ses déplacements au sein de celle-ci ou recueillis à l'état de graines dans les jardins où il a travaillé, pour faire surgir la couleurs comme un peintre le ferait sur une toile , pour faire chatoyer les lieux, les rendre encore plus féeriques... Ou ce danseur qui ne vit que pour son art, et peu importe si la faim est sa seule compagne, pourvu qu'il puisse apprendre une nouvelle danse qu'il partagera - trésor de Culture qu'elle est – avec les villageois qui viendront le voir, conscients des symboles de ses gestes, comme un livre ouvert qu'on choisirait de lire à plusieurs...Ou cette jeune veuve rejetée de tous, puisque sans statut dans cette société, qui vole pour nourrir ses enfants, attend la fin du repas de cet homme qu'est devenu l'écrivain, respecté et craint, pour disposer des restes de son repas qui seront festin pour les siens, mais dont la compassion et l'humilité lui donnent l'écoute et la font s'occuper du malade que tous abandonnent..

C'est une parcelle de l'Inde chargée de légendes, d'identité fantastique qui jaillit de ces pages, une Inde de pauvreté, d'abstinence, de sourires et d'abnégation, de résignation souvent. Une lecture qui vous cheville et vous retient, vous faisant ressasser et toujours imaginer cette jungle vouée à disparaître, c'est une lecture qui colore l'existence, qui la peuple de vies sauvages, d'une flore flamboyante, qui redéfinit le mot « Humanité » au sein d'une société tant enclavée dans ses castes. Une lecture entre écologie – dans la richesse de ce mot, et mystère du respect des divinités qui accompagnent le quotidien.
C'est le récit du démantèlement d'une vision de paradis qui se fait petit à petit, au détriment des autochtones repoussés aux confins et oubliés, eux qui sont l'âme de ces lieux.


Quand le "Babu" se rendra compte de la disparition imminente des derniers vestiges d'une beauté effacée, il sera trop tard et il comprendra combien il est attaché à cette présence d'une vie où se mêlent religion, intolérance des castes, et surtout richesse d'un environnement toujours magnifique et changeant.
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Un texte d'une grande beauté…

« Vous voyez cette forêt , cette jungle, c'est un endroit merveilleux. Depuis si longtemps, les fleurs s'y épanouissent, les oiseaux y chantent et les divinités, mêlées au vent, viennent y poser le pied sur le sol de notre terre. Elles ne demeurent pas là où l'on échange de l'argent, où l'on emprunte et où l'on prête, car l'air y est empoisonné. «

Encore un MERCI à l'amie isanne… qui par ses lignes enthousiastes … a attiré mon attention sur cet auteur bengali et cet ouvrage précurseur, toujours d'une actualité à peine croyable !

Trésor écrit entre 1937 et 1939, un des tout premiers romans écologiques, avec une large part autobiographique, que les éditions Zulma ont eu la très belle idée de nous faire connaître !!

Heureusement que je fais des recherches dans plusieurs bibliothèques… ce qui me permet de palier très vite aux curiosités et élans les plus urgents ; ce qui fut le cas pour cet écrivain bengali, dont je vais chercher de suite sa « Complainte du sentier » , adapté au cinéma par le grand Satyajit Ray ; rien que cela, Mazette… ! Cette « Complainte » rééditée chez Gallimard, dans la collection de l' »Imaginaire »…

J'ai, de surcroît, une sympathie et estime particulière pour Zulma, maison d'édition d'une très grande qualité, par ses choix et son exigence autant pour les textes que l' esthétique de ses maquettes !

Notre narrateur,Satyacharan [ un reflet troublant de l'auteur ], dans les années 1930, à Calcutta , jeune diplômé,perd brutalement son père, se retrouve sans travail, accepte un poste de régisseur aux confins du Bihar, dans le nord-est de l'Inde. Quittant Calcutta, ses commerces, ses théâtres, ses musées, son animation, se retrouve dans la jungle dans une solitude absolue, assez déboussolé !

« Au début, quand j'arrivai de Calcutta, la terrible solitude et cette vie presque sauvage m'étaient intolérables ; par la suite, elles me semblèrent préférables à toute autre. La nature rude et barbare m'a initié au mantra de la liberté et de l'indépendance ; serais-je à nouveau capable de me laisser enfermer comme un oiseau sur son perchoir, dans la cage de la ville ? Je chevauchais librement, rapide comme le vent, sous le ciel éclairé par la lune à travers les forêts de sal et de flamboyants et les rochers de cet espace désert. Je n'aurais voulu échanger cette joie contre aucune richesse de ce monde. »

Ce citadin , par cette mission professionnelle peu aisée, va transformer cette expérience en un miracle d'authenticité et d'apprentissage du REGARD, une parenthèse de remise en question de la civilisation et de la société… !

« Mes supérieurs m'écrivaient lettre sur lettre pour me presser de distribuer les terres à des fermiers. Je savais que c'était un des principaux devoirs de ma tâche, mais je ne me décidais pas à détruire la paix de ces bosquets secrets. Les métayers qui prendraient des terres en fermage ne le feraient pas pour conserver intacte la forêt, qu'ils défricheraient aussitôt pour y cultiver leurs récoltes, y construire des maisons où habiter. Cette belle étendue déserte, les forêts, l'étang, cette chaîne de collines, tout se transformerait en colonies humaines. « (p. 135)

Cela fait plus d'un mois que j'ai achevé cet ouvrage très étonnant, et j'ai beaucoup de mal à rédiger une chronique, tant ce texte est dense, et déploie de multiples problématiques, toujours d'une criante actualité !
Texte paru en 1938, et qui après tout ce temps ,continue à nous interpeller, à nous alerter, à nous questionner, sur notre planète que nous continuons à mettre à mal... !

Tout ce que je pourrais en dire ne ferait qu'affaiblir l'enthousiasme ressenti ; je laisse la parole à France Bhattacharya, qui a rédigé une postface très précieuse : « L'histoire que raconte le narrateur est celle de la transformation d'un chômeur pauvre, mais éduqué, de Calcutta en une sorte de seigneur qui rend la justice et distribue des terres à des individus démunis. Dans les premiers chapitres, le narrateur souffre de son isolement et regrette amèrement les amis, les distractions et les facilités de sa vie à Calcutta. Mais, peu à peu, il est comme envoûté par la beauté de cette immense forêt, vierge de presque toute présence humaine. Son roman prend des accents lyriques, et il insiste sur la nécessité de préserver cet élément naturel de toute mainmise humaine alors qu'il est payé pour la détruire .
Une autre question d'actualité que soulève Banerji est la place des peuples autochtones dans les sociétés dominantes. (…) L'auteur nous présente de très curieux et très attachants personnages qui viennent rendre visite à l'habitant solitaire de la forêt. le lyrisme de l'écrivain donne à son propos des accents romantiques. Ce roman est un hymne à la beauté d'une nature encore vierge, préservée des laideurs qu'y apportent bien souvent les humains.» (p. 299)

« Un jour viendrait, peut-être, où les hommes de notre pays ne pourraient plus voir de forêt. Il n'y aurait plus que des champs cultivés et des usines de jute. La fumée des usines textiles serait partout visible. Ils viendraient alors dans cette région reculée comme en pélérinage.Puissent ces forêts être préservées, inchangées, pour ces hommes du futur ! « (p. 288)

Un texte exceptionnel et un écrivain à découvrir , offrant une grande lumière et un sens profond de l'Humain…comme de cette belle Nature, dont nous sommes responsables, pour nous et les générations suivantes !
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Que voilà une belle surprise. On m'a présenté et prêté un livre très original dont je n'avais jamais entendu parler. Pas plus que de l'auteur au nom de toute façon impossible à retenir. Un seul repère, le grand cinéaste indien Satyajit Ray a jadis adapté en un trilogie La complainte du sentier, dans les années cinquante. Bibhouti Bhoushan Banerji (1894-1950) est un auteur bengali, au nord-est de l'Inde, qui écrit en bengali. Issu d'un milieu très pauvre, ll passa son enfance dans un village du delta du Gange mais put faire néanmoins des études supérieures à Calcutta. Tantôt enseignant en milieu rural, tantôt exploitant forestier, il partagea sa vie entre Calcutta et sa région et l'État voisin du Bihar.

Jeune diplômé sans le sou, Satyacharan, mainfestement un double de l'auteur, trouve un emploi de régisseur au fin fond du Bihar. Il a pour tache entre autres d'administrer ces territoires ruraux éloignés de tout, et de distribuer des terres raisonnablement au nom du gouvernement de New Delhi, là-bas loin vers l'Ouest, ce qui n'est pas une mince affaire. Calcutta lui manque puis assez vite Satya (faisons court avec les noms indiens) tombe sous le charme, sous les charmes de ce pays et de ces habitants dénués d'à peu près tout. Ce n'est pas pour cela un monde angélique, les castes étant ce qu'elles ont toujours été, les haines et les rancoeurs n'épargnent pas ces paysans, ces éleveurs, ces chasseurs, ces laissés pour compte du gigantesque sous-continent. Ecrit dans les années trente mais l'Inde, devenue le pays le plus peuplé du monde, est encore loin d'avoir exorcisé tous ses démons, de l'ignorance, de la grande pauvreté.

On parle au sujet de de la forêt de Thoreau bien évidemment, et comme d'un premier roman écologique. Je ne prise guère cette appellation. Mais ce roman nous dépayse considérablement, offrant des perspectives d'une richesse incomparable. Il faudrait citer des paragraphes entiers.

Une minute plus tard le faon s'approcha comme pour mieux me regarder. Son regardétait curieux et vif comme celui d'un enfant. Il serait peut-être venu encore plus près mais mon cheval tapa du pied et s'ébroua brusquement. Surpris, le faon disparut dans les fourrés pour porter la nouvelle à sa mère.

Je restai un long moment assis sous les ombrages. Entre les branches j'apercevais l'eau de l'étang qui s'étendait en demi-lune jusqu'au pied des montagnes. le ciel était d'un bleu sans nuage. le peuple des oiseaux aquatiques était engagé en de longues disputes bruyantes. Une aigrette, sérieuse et avisée, postée sur une hauteur au bord de l'eau, manifestait son agacement par quelques cris soudains. Au sommet des arbres sur le rivage, des hérons ressemblaient de loin à des bousquets de fleurs blanches.

Peu à peu, le ciel de montagne se teinta de rouge.

En face, la chaîne de montagnes prenait des teintes cuivrées. Les hérons s'envolèrent, toutes ailes déployées. La lumière se réfléchissait sur les plus hautes branches.

Les piaillements et pépiements augmentèrent, le parfum des fleurs sauvages se ft plus entêtant. Une senteur plus épaisse, plus sucrée. D'un peu plus loin, une mangouste, tête dressée, m'observait.

Quelle paix secrète! Quelle extraordinaire solitude! Cela faisait plus de trois heures que j'étais là, je n'avais rien entendu d'autre que le ramage des oiseaux, le léger crépitement des brindilles sous leurs pattes, le froissement d'une feuille sèche ou le craquement d'un rameau qui tombe.

Ce livre est une merveille pour qui veut ainsi quelques heures d'une escapade contemplative et rêveuse. L'auteur sait si bien saisir un frémissement animal, une fragrance exotique, une couleur indéfinissable. Mais Banerji fait preuve aussi d'une belle empathie pour le genre humain. Tous ces humbles parmi les humbles, un roi miséreux héritier d'une longue lignée devenu berger, un jardinier imaginatif qui amplifie ces décors fabuleux, un danseur facétieux qui vit de son art et qui demande si peu. La violence est bien là, sous-jacente, le tigre mangeur d'hommes n'est pas une légende, les buffles sauvages sont souvent très dangereux, le riz, bien cher, est hors de leur portée. Les chemins chevauchés sont parfois semés de rencontres douteuses.Quant à l'éducation et à la santé, les écoles sont bien rares et les hôpitaux bien loin.

Seule lacune à ce bien beau récit-roman, l'absence d'un lexique zoologique et botanique. Hartit, hariyal, kullo, gurguri sont des oiseaux. Bakain, piyal, arjuna, saptaparna des arbres ou des fleurs grimpantes. J'aurais aimé voir des images. Après avoir lu de la forêt j'ai blogtrotté un peu été surpris par le nombre apparemment assez important de lecteurs. Un peu d'espoir.
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De la forêt
Bibhouti Bhoushan Banerji
2020 (pour la traduction française)
Écrit entre 1937 et 1939

Fortement autobiographique, Banerji ayant vécu entre 1925 et 1930 en tant que régisseur dans un domaine situé à une centaine de kilomètres de Purnea.

J'ai des collègues de travail sympas (enfin ... pas tous). Lors de mon changement récent de poste, ils ont eu le merveilleuse idée de m'offrir un abonnement à Kube, ce qui fait que périodiquement, je reçois une petite boîte avec plein de livres choisis par des libraires indépendants, sur un thème bien précis : le dernier en date concernait l'Inde. J'ai par conséquent allumé une des petites baguettes d'encens (fournie dans la boîte) et mis en fond sonore le Best-of des meilleures chansons de Bollywood avant de me lancer dans la lecture de ce roman.

C'est donc dans une atmosphère embrumée de temple bouddhiste (voire de bar à chicha) que j'ai fait la rencontre de Satyacharan (Satya pour les intimes), un p'tit jeune de la ville (Calcutta en l'occurrence) qui, malgré une licence en poche, galère à trouver du taf. Cela ne l'empêche pas de sortir avec ses potes, restos, d'aller voir des concerts, des cinés et de manger plus ou moins à sa faim mais il faut bien avouer que les thunes, ça pousse pas sur les arbres et que le fait de ne recevoir que des réponses négatives à ses candidatures commence à devenir problématique.

Un beau jour, à une soirée, il rencontre Abinash, un ancien étudiant de sa promo, issu d'une famille pleine aux as, et avec qui il avait sympathisé dans le temps. Ils décident de se revoir le lendemain pour papoter un peu plus longuement. Un thé et quelques souvenirs potaches plus tard, il fallait bien que la question fatale arrive : "et toi tu fais quoi dans la vie ?"

Difficile pour Satya de cacher la vérité et Abinash lui dit que sa famille possède des forêts dans le district de Purnea, au Bihar. le trou du cul du monde. Autour de 400 hectares à gérer, à répartir entre des métayers qui déboiseront et exploiteront ces forêts, mais qui exploiteront aussi des hommes, des femmes et des enfants, de castes inférieures. Il cherche un manager de confiance et propose à Satya d'en parler à son père. Ni d'une, ni de de deux, l'affaire est conclue et la lettre d'embauche est signée aussi vite que descendrait un naan au fromage de ma bouche à mon estomac.

Satya aurait évidemment préféré un boulot à Calcutta, c'est clair. La perspective de vivre dans la forêt entouré de bouseux rachitiques, de buffles et de tigres affamés lui faisait quand même moins briller les yeux que la vie palpitante de Calcutta. Cela dit, parfois, nécessité fait loi et hop, le voilà engagé comme manager de cette forêt dont il ne connaît ni les codes, ni les usages, ni même la langue.

Une fois arrivé sur place, il s'installe dans un campement nommé la Katcheri. " Les gens de la katcheri étaient pour moi comme autant de sauvages, ils ne comprenaient pas ce que je disais, et moi, je ne les comprenais pas non plus. [...] Je me disais que ce travail n'en valait pas la peine ; plutôt que dépérir ici il aurait mieux valu jeûner à Calcutta. Quelle erreur j'avais faite en venant dans cette jungle déserte à la demande d'Abinash ! Ce n'était pas une vie pour moi."

Mais c'était sans compter sur le pouvoir magique de la forêt. Un autre collègue de la katcheri lui dit un jour : "Vous aussi vous comprendrez. [...] La forêt vous possédera. Petit à petit, vous ne supporterez plus l'agitation ni la foule. J'ai fait la même expérience. le mois dernier, je suis allé à Monghyr pour un procès. Je n'arrêtais pas de me demander quand je pourrai m'en aller et revenir ici."

Cela dit, il rajouta : "Gardez toujours un fusil à portée de main quand vous dormez. Ce lieu n'est pas sûr. [...] Et puis, au milieu de cette forêt, si on tue quelqu'un pour le voler, qui le saura ?"

Délicieux !

Satya va donc entreprendre de découvrir cette forêt, cette jungle qu'il va avoir à gérer pendant quelques années. Il rencontrera des gens pauvres au-delà de tout ce qu'il pouvait imaginer, des gens courageux. Il y rencontrera des vraies crevures mais aussi des gentlemen qu'on ne rencontre plus vraiment de nos jours.

"J'éprouvais soudain pour eux une grande sympathie qui me surprit moi-même. C'était leur pauvreté, leur simplicité, leur capacité de résistance dans un combat si dur."

Au fil des jours et des nuits, Satya va petit à petit tomber sous le charme et sous la fascination de cette forêt grâce aux rencontres qu'il fera et surtout à la beauté sauvage et mystique des lieux.

Que dire de cette femme aux cheveux longs qui se balade la nuit en bordure de forêt et de ce chien qui aboit toutes les nuits mais dont on ne retrouve jamais la trace la journée.

Que dire de Dharuriya, un gamin qui vit tant bien que mal de sa passion pour la danse mais qui ne connaîtra jamais Calcutta.

Ou encore de Dharampur qui n'avait comme seule occupation de disperser et semer des graines dans les bois. Malgré son extrême pauvreté, "ses efforts et sa passion étaient uniquement consacrés à enrichir la beauté de la forêt".

Et c'est sans oublier Maruknath (faut bien l'avouer, on galère un peu avec les prénoms Indiens...), qui s'est mis dans la tête d'ouvrir une école à la katchiri. "La voilà ton école ! Maintenant, à toi de trouver des élèves !"

La gestion de cette forêt devient de plus en plus compliquée au fur et à mesure qu'il tombe amoureux de ce lieu. Il doit distribuer les terres pour qu'elles soient exploitées mais chaque parcelle détruite devient un véritable crève-coeur.

"Des lettres me parvenaient de temps en temps du bureau central me demandant pourquoi je tardais tant à donner en fermage les environs de l'étang de Sarasvati. J'avais trouvé toutes sortes d'excuses, mais cela ne pouvait plus durer. L'avidité humaine était trop grande, et je savais bien qu'on n'hésiterait pas à détruire cette somptueuse forêt pour quelques kilos de maïs et de millet."

Ce livre de la fin des années 30 résonne avec une puissance qui ne peut laisser insensible dans le contexte actuel où l'écologie émerge à peine du bruit de fond médiatique ambiant.

J'avoue faire partie de ceux qui pensent (ou qui espèrent) que le progrès scientifique et technologique permettra toujours d'apporter plus de bénéfices que de contraintes à l'humanité. Mais quoi que l'on en pense, une des dernières phrases du livre résume parfaitement le dilemme auquel on est tous confrontés : "Que veulent vraiment les hommes? le progrès ou le bonheur? A quoi bon le progrès si le bonheur est absent? J'en connais beaucoup qui ont progressé dans la vie, mais qui ont perdu le bonheur. A force de jouissance, l'acuité de leur désir et de leur facultés intellectuelles s'est émoussée, et il n'y a plus rien qui leur apporte la joie. La vie leur paraît monotone, une grisaille dépourvue de sens. Leur coeur devient dur comme de la pierre, l'émotion n'y pénètre pas."

Au-delà du fait que ce livre, qui date d'une petite centaine d'années, est considéré comme un de premiers livres écologistes, il me vient en tête une citations issue du poète Dany Boon dans son oeuvre Bienvenue chez les Chtis : "Quand tu vas dans cette forêt, tu pleures deux fois. Une fois en arrivant et une fois en partant"

scob
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J'ai été bien surprise en découvrant que ce sont les éditions Zulma qui publient ce récrit écrit en bengali entre 1937 et 1939. Dit comme cela c'est assez obscur, mais les éditions Zulma ont le flair pour nous dénicher des petites pépites sur la scène littéraire internationale d'aujourd'hui ou d'hier, alors, face à quelques critiques élogieuses, face à cette couverture énigmatique, ma résistance a été de courte durée.
Les éditions Zulma font la promotion de ce livre comme le « premier roman écologiste ». Mais je pense que c'est un peu de la publicité mensongère…

D'abord, ce livre n'est pas vraiment un roman, c'est plus une longue description, une longue contemplation. Une belle évocation d'un homme habitué à la grande ville de Calcutta, et qui, forcé par les circonstances, se retrouve dans un coin perdu de la campagne du Bihar, un des Etats les plus pauvres d'Inde, sur les contreforts de l'Himalaya, et qui apprend à regarder autour de lui. Il regarde les gens, il les regarde vivre, sans toujours les comprendre, les trouvant souvent un peu frustres, mais aussi attachants. Mais surtout, il regarde les paysages, les arbres, les fleurs, la forêt, les montagnes. C'est un livre de contemplation, un livre au rythme lent, un livre plein de couleurs et de senteurs, un livre qui parle à tous les sens du lecteur.
Ensuite, je ne qualifierais pas ce livre d'écologiste. C'est un livre contemplatif, ça c'est certain. Mais il n'y a pas de thèse dedans. le narrateur, qui n'est pas loin d'être l'auteur lui-même, admire et commence à apprécier ce monde, cette nature, puis il la regarde être détruite. Il est triste de cela, mais ne fait rien pour s'y opposer. Et pour moi, l'écologie, c'est voir la nature comme un système, ou plutôt comme la partie d'un système. Ici, il n'y a rien de cela. C'est un livre de paysage et de beauté, de beauté qui s'évanouit, effectivement, mais pas un livre militant pour trois sous. Je dirais même plus, la façon dont le sujet de la pauvreté est abordé, et le lien qu'il y a entre la pauvreté et le défrichement de nouvelles terres est parfois un peu perturbant. A remettre dans son contexte, celui de l'Inde et des années 30, certes, mais tout de même…

Alors, si j'étais responsable de la communication chez Zulma (si c'est eux qui sont à l'origine de cette étiquette) , je ne dirais pas que c'est le premier roman écologiste, mais plutôt que c'est un merveilleux livre contemplatif, d'un homme qui se transforme peu à peu par l'observation d'un arbre, la découverte d'une couleur, la surprise d'une senteur. Certes, c'est moins vendeur, mais c'est ce qu'est ce livre. Un petit bijou de verdure et de beauté, un joyau caché au pied de l'Himalaya.
Certes, c'est un peu plus long et moins vendeur. Mais c'est un livre que je suis prête à recommander, pour le bon lecteur, celui ou celle qui aime se plonger dans de belles descriptions, le scintillement d'un lac sous la pleine lune, l'éclat d'un feuillage sous le soleil, le parfum d'une fleur gorgée de nectar. Un livre qui se laisse déguster, qui se laisse apprivoiser, qui se lit par petites touches, qui met des images plein la tête, des noms exotiques dans les oreilles et plein de sérénité dans la tête.
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Citations et extraits (58) Voir plus Ajouter une citation
France Bhattacharya, dans la Postface:
« L'histoire que raconte le narrateur est celle de la transformation d'un chômeur pauvre, mais éduqué, de Calcutta en une sorte de seigneur qui rend la justice et distribue des terres à des individus démunis. Dans les premiers chapitres, le narrateur souffre de son isolement et regrette amèrement les amis, les distractions et les facilités de sa vie à Calcutta. Mais, peu à peu, il est comme envoûté par la beauté de cette immense forêt, vierge de presque toute présence humaine. Son roman prend des accents lyriques, et il insiste sur la nécessité de préserver cet élément naturel de toute mainmise humaine alors qu'il est payé pour la détruire .
Une autre question d'actualité que soulève Banerji est la place des peuples autochtones dans les sociétés dominantes. (…) L'auteur nous présente de très curieux et très attachants personnages qui viennent rendre visite à l'habitant solitaire de la forêt. le lyrisme de l'écrivain donne à son propos des accents romantiques. Ce roman est un hymne à la beauté d'une nature encore vierge, préservée des laideurs qu'y apportent bien souvent les humains.» (p. 299)
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Vous voyez cette forêt , cette jungle, c'est un endroit merveilleux. Depuis si longtemps, les fleurs s'y épanouissent, les oiseaux y chantent et les divinités, mêlées au vent, viennent y poser le pied sur le sol de notre terre. Elles ne demeurent pas là où l'on échange de l'argent, où l'on emprunte et où l'on prête, car l'air y est empoisonné.
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(...) quand j'atteignis les rives sablonneuses de la Karo, l'énorme disque cramoisi plongea derrière une colline, à l'ouest. Au même instant, alors que je m'apprêtais à descendre la pente qui menait à son lit, la pleine lune se leva au dessus de la ligne noire de la forêt de Mohanpura, à l'est. J'arrêtai mon cheval et me tint là, absolument immobile à contempler ces deux visions simultanées. Sur cette rive inconnue et déserte, le paysage prit un aspect irréel.
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Tout en chevauchant au clair de lune, je me disais que c'était là une autre vie qui devait tenter ceux qui n'aiment pas rester enfermés entre quatre murs, que la vie de famille n'attire pas et qui ont des fourmis dans les jambes: en un mot, les gens hors du commun. Au début, quand j'arrivai de Calcutta, la terrible solitude et cette vie presque sauvage m'étaient intolérables; par la suite, elles me semblèrent préférables à tout autre. La nature rude et barbare m'a initié au mantra de la liberté et de l'indépendance; serais-je à nouveau capable de me laisser enfermer, comme un oiseau sur son perchoir, dans la cage de la ville ? (p. 74)
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-Je ne veux pas me baigner dans cette eau. Tous les gens du quartier y lavent leur linge, s'y baignent et y font aussi la vaisselle. Cette eau est sûrement très mauvaise. Vous la buvez ? Dans ce cas, je m'en vais, je ne veux pas en boire."

Manchi prit un air soucieux. Je compris que ces gens n'avaient pas d'autre solution que de boire cette eau. Où en trouveraient-ils d'autre ? L'expression triste de la jeune femme me fit mal. Ils buvaient tous avec plaisir cette eau sans imaginer que ce pouvait être malsain. Si, à cause de cela, je refusais leur hospitalité et m'en allais, cette fille si simple en serait blessée. "Bon, lui dis-je, fais bien bouillir l'eau, et je la boirai (...) (p. 208)
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