Que demande-t-on à un roman historique ? Des personnages bien campés, une intrigue rondement menée et une trame historique qui, sans être trop présente, apporte un éclairage intelligent et documenté à la fiction romanesque. J'ai trouvé la conjugaison parfaite de ces éléments dans
Fleur de lin. le titre me semble un peu trompeur, car le cadre du roman n'est pas l'industrie florissante du lin en Bretagne au XVIIIe siècle, mais Napoléonville, la ville moderne voulue par l'Empereur pour devenir un grand centre militaire et commercial. Pontivy, l'ancienne cité des Rohan, bastion révolutionnaire au moment où la monarchie s'est effondrée, doit une nouvelle fois muer pour accueillir l'ambitieux projet de Napoléon. En 1810, la jeune Victoire-Rose Lancelot trouve cependant sa vie monotone au sein de la société bourgeoise qui gouverne les destinées de la ville. Orpheline confiée aux soins du notaire Kervigant, à la veille de ses vingt-et-un ans, elle s'interroge sur son avenir qui lui paraît bien terne. Mais tout est bouleversé quand sa meilleure amie lui confie son enfant avant de mourir.
L'intérêt du livre, en dehors de ses péripéties romanesques, est de dépeindre avec beaucoup de finesse la condition féminine sous l'Empire. Il donne à voir le quotidien des femmes de la bourgeoisie provinciale, mais aussi la vie souvent précaire des nourrices, des domestiques, des tisserandes, à l'autre extrémité du spectre social. Qu'elles soient bourgeoises ou femmes du peuple, elles trouvent souvent le moyen ou la manière de s'affirmer dans les limites qui sont les leurs. Un autre parallèle intéressant se dessine encore entre le rôle des femmes sous la Révolution, leur aspiration à l'avènement d'une société nouvelle, et le retour de la tutelle patriarcale avec l'adoption du Code civil napoléonien.
Par ailleurs, l'écrivaine nous offre quelques beaux portraits d'hommes, tout en nuances, comme celui du notaire Kervigant, ou encore de l'officier Degilles, sans oublier l'exotique Eliazar Duarte.
Le temps de ma lecture, je me suis évadée du présent pour partager l'intimité de personnages devenus presque familiers, comme ces portraits de famille accrochés depuis toujours aux murs.