Hibiscus est une fillette d'aujourd'hui. Créole, elle vit dans une «île tropicale» (le lecteur n'en saura pas plus) et, au cours d'une promenade dans la forêt, elle va d'abord croiser un drôle et bizarre de petit personnage, aigri, balourd et un peu idiot, nommé Zamba – une sorte de hyène qui marche debout et parle comme les humains, tiré des contes pour enfant des Antilles – puis une vache aussi énorme que débonnaire. Celle-ci, qu'Hibiscus réveille accidentellement, est un animal décidément très étrange : qui entre par sa bouche et suit un chemin jusqu'à son derrière se retrouve invariablement sur le sol africain ! Ainsi a-t-elle permis, au temps jadis de l'abominable traite négrière, à des cohortes d'esclaves noirs de retrouver leur terre d'origine. Cette très vieille vache s'ennuie ferme depuis que l'esclavagisme a été, fort heureusement, interdit et c'est tout naturellement qu'elle propose à Hibiscus et à son étrange compagnon de route de partir à la découverte de la terre de ses ancêtres. de son côté, Zamba a un compte à régler avec son pire ennemi, Compère Lapin, qui n'a de cesse de faire tourner le bête animal en bourrique ! Et comme il semble que l'origine de cette inaltérable dispute trouve ses origines du côté du Sénégal et du Congo, la proposition du bovidé semble tomber à pic.
Les deux compagnons vont donc se retrouver quelque cent cinquante ans en arrière dans le temps (et non deux cents comme annoncé en quatrième de couverture puisqu'on les retrouve aux alentours des années 1870 du côté du fleuve Zambèze, non loin des Chutes Victoria, telles qu'un certain
David Livingstone les renommera, en hommage à la célèbre reine d'Angleterre de l'époque, après les avoir supposément «découvertes» (comme si les autochtones de l'époque ne les connaissait ni ne les avaient déjà nommées...).
D'ailleurs, c'est très vite du fameux Docteur dont il va être question puisqu'Hibiscus et Zamba vont se retrouver dans le village où, après avoir pas mal bourlingué, perdu l'essentiel de ses porteurs et de son matériel, l'explorateur britannique, perclus de fatigue et de fièvres mauvaises, a trouvé refuge et repos.
Le jeune lecteur va aussi croiser quelques villageois, un sorcier, de gentils porteurs restés fidèle à Livingstone, d'abominables méchants (mais aussi plutôt stupides) esclavagistes portugais, et enfin le très controversé
Henry Morton Stanley, citoyen de la couronne britannique lui-aussi (et non «américain» comme annoncé par l'auteur page 90. Celui-ci, bien qu'ayant effectivement vécu ses années de jeune adulte aux USA et ses explorations en partie commanditées par le New-York Herald, était originaire du pays de Galles), dont la raison officielle du départ était de retrouver David Linvigston, donné alors pour mort par certains.
C'est à lui que l'on doit le très britannique et flegmatique
- Dr Livingstone, I presume ?
Au moment de leur première rencontre dans la brousse d'Afrique.
Ce « bon mot » célèbre, l'auteur va d'abord le mettre très humoristiquement dans la bouche de notre petite héroïne à l'occasion de sa rencontre avec Stanley. S'ensuit la « vraie » rencontre entre les deux personnages célèbres, le récit des mésaventures de Zamba confronté au très malin Compère Lapin, les rencontres entre l'espiègle petit rongeur et Hibiscus puis, enfin, le retour dans son île, à notre époque.
Ce livre nous fût gracieusement envoyé par les éditions ÆX ÆQUO à l'occasion de la dernière Masse Critique Jeunesse organisée par notre bibliothèque en ligne préféré, Babelio.com. Prétendre qu'il nous a ravi serait un pur mensonge. Pour être même tout à fait franc, c'est même à peu près l'inverse. Ni Aliénor – notre lectrice critique maison, âgée de 8 ans et véritable petite dévoreuse de romans, nombre d'entre eux étant d'ailleurs supposément pour des enfants bien plus avancés qu'elle en âge – ni votre humble chroniqueur du moment n'ont goûté cette histoire plutôt mal ficelée, peu attachante, écrite dans un style souvent maladroit, parfois franchement lourd. Mais quelle ne fut notre déconvenue en découvrant que ni la vie des africains du XIXè siècle, leurs us et coutumes (à quelques exceptions près, souvent strictement « décoratives ») ni la traite négrière ni l'esclavagisme ne sont, en réalité, les thèmes centraux de ce roman pour enfants de 8 à 11 ans, bien qu'un peu abordés. Certes, une mise en garde de l'auteur – qui m'a semblé destinée bien plus aux parents qu'aux petits lecteurs – semble avoir pour mission de dégoupiller le genre de remarque que je tiens maintenant, et que l'objet principal du texte réside surtout dans la rencontre entre l'héroïne imaginaire et l'explorateur britannique – de manière un peu subsidiaire mais peut être la plus intéressante de ce récit, même si traitée sans grande conviction, la découverte des personnages de contes traditionnels Zamba et Compère Lapin permet au jeune, ou moins jeune, lecteurs de découvrir des mythes qu'il ne connaît pas forcément.
Bruno Boudet, l'auteur de cet «
Hibiscus et la Gardienne du Temps » a parfaitement le droit d'éprouver de l'admiration pour l'écossais
David Livingstone – même si, de notre point de vue, il lui tresse une couronne de lauriers qu'il n'est pas totalement justifié de recevoir car oui, la colonisation est un moment parfaitement critiquable de notre histoire encore relativement récente. Et si Livingstone n'était pas du même tonneau que Stanley – un véritable monstre, bien plus moche que ce que ce récit suggère : il a, directement et indirectement, des milliers de morts sur la conscience -, on ne peut oublier qu'un des buts de Livingston fut d'évangéliser cette « Afrique noire » alors encore largement méconnue, et pas seulement de découvrir les énigmatiques sources du Nil (ce qu'il ne parviendra pas à réaliser, d'ailleurs). le contemporain laïc et agnostique que je suis ne peut s'empêcher de songer : de quel droit ? Tout pareillement, de quel droit nommer ces gens des découvreurs, tandis que des peuples vivaient là ? Qu'ils avaient déjà eux-mêmes nommé les magnificences de la nature (la fameuse chutes « victoria » en tête) ? Imagine-t-on, à l'inverse, des « explorateurs » venus d'Afrique, d'Amérique ou d'Asie, nous déposséder du nom des choses et imposer, universellement, les leurs ? Bien sûr – et même si c'est regrettable avec le recul – les choses ne se posaient pas de cette manière en cette époque, et il ne s'agit pas de « juger » des faits passés, ça n'aurait pas de sens. Mais qu'on puisse les présenter, aujourd'hui, comme si cela allait de soi est autrement problématique. Non, Livingstone n'était pas seulement le gentil découvreur que l'auteur s'attache à présenter, cette assertion donnant même lieu à un échange assez stupéfiant entre Hibiscus et Livinsgtone (qui semble avoir, vite fait, des scrupules quant à ce que ses découvertes pourront produire pour plus tard), la gamine le pardonnant pour l'éternité d'un « vous êtes digne de figurer dans les livres d'histoire », etc. L'auteur omet cependant qu'il lui avait aussi été confié mission de répertorier les richesses potentielles des contrées qu'il allait traverser, pour le compte de la couronne britannique. A moins d'être parfaitement idiot – ce que le Dr Livingstone n'était assurément pas – il est clair que cette expédition n'était pas seulement à but « scientifique ». Mais l'auteur ne s'y arrête évidemment pas.
Passons aussi sur les le Bon Dieu par-ci, le Bon Dieu par là (qui, lorsque ses miracles ne sont pas au rendez-vous, peuvent être occasionnellement remplacé par le recours à la magie animiste du sorcier local et de ses « affreux masques »), passons aussi sur des passages un peu ténébreux semblant excuser d'un trait de plume la colonisation française en Afrique (laquelle ne fut pas la seule puisque l'Afrique fut partagée entre britanniques, français mais aussi belges, allemands, portugais et espagnols). Plus on avance dans le texte, moins on comprend l'intérêt pour une petite créole – qui connaît évidemment par coeur la vie du célèbre anglais. Ce qui semble relativement peu crédible - d'être envoyé en Afrique à une époque ultérieure à l'essentiel de la traite négrière par les occidentaux (qui se termine pour l'essentiel dans la première moitié du XIXè siècle), époque où elle aurait pu, par exemple, rencontrer un de ses véritables ancêtres. Il y a aussi quelques pages sur la botanique et la faune locale, mais cela demeure très passager. Quant à la « vraie » vie des locaux de l'époque, elle n'est qu'effleurée et l'on n'en saura donc guère plus avant d'avoir fini le livre qu'avant de l'entamer. Notons qu'une petite fille de 8 ou 10 ans parvient à être aussi « douée » en magie et en quelques semaines qu'un adulte dont c'est la tâche dans le village. Voilà pour le « niveau » de ces malheureux...
Dommage, l'idée d'un voyage spatio-temporel dans l'Afrique sub-saharienne du XIXè s'annonçait prometteuse. Objectif presque totalement manqué, d'autant qu'on s'ennuie très vite dans ces chapitre pourtant guère longs, mais qui rebondissent mal, finissent par piétiner et se répéter un peu. Quant à Aliénor, elle n'est pas allée plus loin que le troisième chapitre, préférant se plonger dans l'excellente série historico-fantastique de Mme
Brisou-Pellen intitulée « les messagers du temps »... A noter que cette autrice a rédigé il y a quelques années un roman aussi palpitant que débordant d'humanisme sur la thématique de l'esclavagisme :
Deux graines de cacao...