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Etienne Gomez (Traducteur)
EAN : 9782493205025
312 pages
Perspective Cavalière (17/05/2022)
5/5   3 notes
Résumé :
Aden, 1967. L’arrivée au pouvoir des socialistes révolutionnaires marque la fin du protectorat britannique. Pour la grande famille des Al-Solaylee, c’est le début d’un long exil à Beyrouth puis au Caire. Mohamed, ancien magnat de l’immobilier dépossédé de ses biens, tombe dans une dépression qui ne dit pas son nom, tandis que Safia, jadis bergère dans l’Hadramaout, entretient la famille jusqu’au moment du retour, inexorable, dans un Yémen transformé.

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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Voilà un coup de coeur aussi inattendu que total : si c'est avec beaucoup d'interrogations que j'ai abordé ce titre, le récit de la vie de Kamal Al-Solaylee publié par les Editions Perspective Cavalière, je me suis laissée prendre par la fraîcheur de son écriture, la sincérité de son propos dès la deuxième page, je crois. Lire Kamal Al-Solaylee m'a fait beaucoup de bien, parce qu'il y a des livres qui semblent être faits pour vous, s'adresser à vous. Il y a des histoires, des auteurs, qui ont le don de vous toucher plus vivement que d'autres, allez savoir pourquoi. Bien que j'aie pris mon temps pour lire la vie de l'auteur yéménite, j'ai à mon grand regret tourné l'ultime page après quelques jours de lecture. Lire Kamal Al-Solaylee, c'est faire un incroyable voyage dans le temps et dans un Moyen-Orient entre Eden, Sanaa, Beyrouth et le Caire. Il nous donne les clefs pour comprendre les tensions en jeux dans son pays d'origine, le Yémen, mais aussi le Liban et l'Egypte voisins. À travers l'histoire de la famille Al-Solaylee, les parents et leurs onze enfants, Kamal Al-Solaylee étant le petit dernier de cette grande fratrie. 



Tout commence à Aden, qui est d'ailleurs en illustration sur cette belle première de couverture dont les différentes tonalités de bleu ont été l'objet d'une longue interrogation de la part de l'éditeur. En retournant l'ouvrage, vous remarquerez que les informations habituellement inscrites en quatrième de couverture ne s'y trouve pas afin justement de laisser l'illustration de Christophe Merlin intacte (elles sont en revanche visibles sur les deux rabats). Aden/Eden porte bien son nom de paradis perdu finalement. Intolérable. Mémoires des extrêmes se compose d'une introduction, qui permet à l'auteur de présenter le contexte familial et historique, ainsi que d'une postface pour la version française puisque le récit de l'auteur s'arrête en 2012, que la situation personnelle de Kamal Al-Solaylee et du moyen-orient ont évolué, la situation de cette dernière pas vraiment dans le bon sens. Ce qu'il a d'abord de captivant dans cette biographie, c'est cette famille dont les parents sont les purs produits du Yémen : Mohamed, un père de classe moyenne, Safia, une maman bergère, mariée à quatorze ans, illettrée. Onze enfants, dont quatre filles aînées, ce qui dans un pays patriarcal est un désavantage clair. Et une éducation laïque, plutôt moderne que conservatrice, selon l'atmosphère ambiante de l'époque, dénuée de toute rigueur religieuse, qui donnait des aînées libres de porter des maillots deux-pièces à l'envie. Quand on apprend alors qu'en 2012, elles sont toutes contraintes d'être voilées, on se rend compte du cheminement, ou plutôt du rétropédalage, qui a été celui du moyen-orient.

C'est un récit biographique, en premier lieu, celui de Kamal Al-Solaylee, qui est aussi celle de la famille, tant qu'il vit au Moyen-Orient : un père, riche entrepreneur, une mère entièrement dévouée à ses enfants, quand on en a onze et que l'on a été mariée à peine ses règles venues, les moyens de faire autrement sont relativement limités, voire inexistants. Kamal Al-Solaylee conte cet âge d'or qu'était celui d'Aden, et du Caire alors l'un des plus importants centres culturels, pour eux. Il nous conte les changements politiques et sociaux qui transformèrent ces sociétés, en des corps sociaux rigides et inflexibles. Et ce sont les déménagements incessants de la famille d'Eden à Beyrouth, de Beyrouth au Caire et du Caire à Sanaa, qui scellera funestement le destin de la plupart d'entre eux. Sauf celui de Kamal. Ces déménagements sont le reflet de l'instabilité croissante de chaque pays où ils s'installent, le père de l'auteur le dit. C'est un témoignage unique, au plus près des choses, de cette montée en puissance du conservatisme allant de pair avec une pratique rigoriste de la religion, ce qui a d'ailleurs scindé sa famille, puisque lui-même ne pouvait et ne voulait pas rentrer dans ce carcan. 


Alors qu'il a insisté, impuissant, à la transformation de certains de ses frères, il assiste parallèlement les libertés qui échappent une à une à ses soeurs, muselées progressivement par la société. L'auteur, dans l'intelligence et la placidité caractéristiques de toutes ses réflexions, sait reconnaître sa propre chance d'être un homme face à cette mère, qui n'en a jamais eu aucune, et ses soeurs qui perdent progressivement l'opportunité de vivre en femme libre. C'est une pensée qui revient souvent dans son texte, qui le poursuit jusqu'au Canada, qui semble même le poursuivre de façon lancinante. Et globalement, c'est un constat consternant sur ce qu'est devenu le Yémen, qui en se refermant davantage sur lui-même, en étant devenu un pestiféré international puisqu'il est la terre préférée de groupuscules terroristes, dont les Ben Laden, s'est enfoncé dans une pauvreté sans précédent. Ce texte fourmille d'analyses très pertinentes et très riches, et très claires, sur la complexité géopolitique de cette zone qui subit encore les conséquences de la colonisation, du conflit israélo-palestinien, de l'influence des Emirats Arabes. L'homme s'interroge sur l'avenir de son pays natal, qui a d'ailleurs été bien oublié depuis la Syrie. Ce tour d'horizon de ce récit ne serait pas complet si j'omettais de parler de l'homosexualité de Kamal Al-Solaylee, qui a contribué à son exil en Angleterre d'abord puis au Canada. Si je parlais de l'avantage de naître homme dans un pays musulman, il faut parler du désavantage de devoir dissimuler ses goûts qui l'attirent vers les individus du même genre, sous peine d'être renié par sa famille et la société dans laquelle il vit. A minima. On connaît le sort des homosexuels dans ces pays conservateurs, je n'ose imaginer l'armure en acier qu'il faut se construire au fil des années pour ne rien montrer de son attirance, ses goûts. Et dissimuler au mieux cette sensibilité qui était la sienne, encore une fois, j'emprunte ce mot à l'auteur, que sa mère et ses soeurs avaient depuis longtemps remarqué.

Safia, cette mère de famille, qui n'a jamais eu la possibilité d'apprendre à lire, qui a élevé dix enfants, a toute mon admiration : ce petit dernier auquel elle était attachée, elle a su trouver la force de le pousser à partir loin d'un pays dans lequel il allait dépérir. C'est un récit très intime, Kamal Al-Solaylee se livre à ce futur lecteur de façon totale, comme si les digues qui retenaient le secret de sa sexualité, de sa vie, et peut-être de ses origines yéménites - on sait évidemment que des origines moyennes-orientales ne fournissent pas forcément un avantage pour être accepté dans une partie du monde - avaient soudainement rompu. Et un récit universel qui s'épanche sur une histoire entachée des guerres de religion incessantes, des relents de patriarcat qui reviennent en force au moment où les femmes commençaient à profiter d'un début de liberté.






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Kamal Al-Solaylee est né à Aden au Yémen, en 1964, dernier enfant d'une fratrie de onze. Sa mère, Safia est illettrée, son père Mohamed est un magnat de l'immobilier qui parle anglais et vit bien le protectorat anglais, s'en sert même pour réussir.

1967, l'arrivée au pouvoir des révolutionnaires socialistes met fin à ces années fastes et la famille est contrainte de s'exiler, d'abord à Beyrouth où elle garde un certain niveau de vie, puis au Caire où la vie d'exilé yéménite est plus difficile. C'est là que Kamal vivra sa jeunesse et son adolescence et qu'il découvrira son homosexualité, pas facile à vivre dans des pays qui se radicalisent.

Étienne Gomez, traducteur et éditeur, a réussi à dénicher un grand livre, et c'est moi, qui ne suis pourtant point féru de mémoires, qui l'écris. Kamal Al-Solaylee est passionnant parce qu'il ne s'apitoie pas, parce son livre est un mélange savamment dosé entre géopolitique, politique, histoire personnelle et familiale, histoire de l'exil, des exils devrais-je même dire...

On assiste au changement radical des pays de son enfance et de son adolescence, le Yémen et l'Égypte, qui furent d'une grande tolérance, chacun y vivant librement sans que la religion impose ses dogmes. Kamal se souvient qu'il allait accompagner ses soeurs acheter des bikinis, qu'ils écoutaient de la musique occidentale, que sa famille profondément laïque ne pratiquait pas de religion. La première fois qu'il vit une femme voilée, ce fut une enseignante dans une école pour gens aisés, et ce voile était un signe social : celles qui en portaient étaient les femmes pauvres et non les plus favorisées. Lorsque cette enseignante essaya de convaincre des jeunes filles de se voiler, elle fut renvoyée sur pression des parents.

Puis, Kamal Al-Solaylee parle de la découverte progressive de son homosexualité dans un pays et une famille où l'on ne parlait pas de sexualité. Quelques signes arrivent : son peu d'appétence pour les jeux de garçons, une sensibilité dont ses soeurs usent pour les aider à choisir leurs vêtements, et puis des émois pour les acteurs davantage que pour les actrices... Puis, lorsqu'il comprend, à quatorze ans, il sait qu'il devra, un jour, quitter le Moyen-Orient et sa famille s'il veut vivre librement sa sexualité.

C'est un grand livre parce que l'auteur, en parlant de lui, parle de toute une période de profonds bouleversements dans les sociétés moyen-orientales mais aussi, plus globalement, dans le monde. Il est sobre, direct sans être cru, c'est même d'une grande pudeur. Nul besoin de connaître l'histoire des pays que l'auteur traverse, car en excellent journaliste, il dit tout en quelques phrases. 300 pages qui passent vite, qui instruisent et prônent tolérance et respect de chacun. Et j'aurais pu allonger ma recension tant le livre est riche et profond, mais le mieux est de le découvrir.

Si maintenant Kamal Al-Solaylee est devenu un universitaire canadien connu et reconnu, on mesure quels sacrifices, quel travail il a dû fournir pour y parvenir. Ce livre, paru en 2012, chez HarperCollins Canada, est postfacé par l'auteur dans sa version française de 2022 chez Perspective cavalière -avec cette superbe couverture signée Christophe Merlin et représentant Aden du temps du protectorat britannique-, qui parle notamment de l'accueil très difficile du livre dans sa famille retournée vivre au Yémen.

Kamal Al-Solaylee sera à Paris en octobre de cette année, le 10 au Café 61 (3 rue de l'Oise, 19e), le 13 à la librairie le Merle Moqueur (51 rue de Bagnolet, 20e), et le 14 à l'Institut du monde arabe (1 rue des Fossés Saint-Bernard, 5e).
Lien : http://www.lyvres.fr/
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Un choc culturel est censé se produire lorsqu'un individu, arraché à son environnement natif, est transplanté en terrain entièrement inconnu. Le Yémen n'aurait jamais dû m'être aussi étranger, mais, au contraire d'Aden, ville portuaire et creuset colonial, Sanaa s'était isolée du reste du monde pendant une bonne partie du vingtième siècle. C'était littéralement un pays muré derrière la Bab al Yemen, la porte du Yémen, qui se fermait jadis aux visiteurs la nuit. Depuis que Nasser et ses troupes avaient aidé les républicains à libérer le pays de la loi pseudo-monarchiste des Sayyids [Maîtres] près de vingt-cinq ans plus tôt, Sanaa, et le Yémen dans son ensemble, étaient déchirés entre le camp de la conservation dans une capsule temporelle - à mi-chemin entre la fin de la période victorienne et le début de l'époque moderne. A en juger par le nombre croissant d'entreprises, de voitures et de magasins de produits électroniques, le camp de la modernisation l'emportait. Mais de peu.

On s'y fera, mais ça ne nous plaira pas forcément : la formule résume l'atmosphère dans le foyer à nouveau réuni. Mes aînés ne vivaient à Sanaa que depuis trois ou quatre ans, mais, dès les premiers jours après mon arrivée du Caire, un élément me perturba dans la dynamique familiale. Nous vivions dans une maison individuelle aménagée en deux appartements distincts à Hasaba, qui était alors un quartier tranquille, à quelques arrêts de bus de la vieille ville et de l'université. (En 2011, c'est là qu'ont eu lieu les manifestations étudiantes qui ont dégénéré en guerre civile.)
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La forme verbale de mon nom, kamael, signifie combler le vide ou bien terminer une histoire. Chercher à tenir les nombreuses promesses contenues dans ce nom, même à un niveau subconscient, revient à risquer l'épuisement. Il va sans dire que je suis loin d'être parfait, mais "combler le vide" entre ma vie actuelle d'auteur et de professeur d'université à Toronto et celle de mes parents et de mes frères et sœurs au Yémen est ce qui fait de ce livre à la fois une nécessité et une tâche redoutable.
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