Recueil de poésie japonaise (principalement des haïkus mais pas que) écrite par les témoins des deux plus grandes catastrophes du Japon moderne, à savoir les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki et le tremblement de terre du 11 mars 2011…
On y retrouve l'horreur :
« Quelqu'un
Devait être ici
Son ombre est restée
Fixée sur la pierre
Par le feu des rayons »
Mais aussi de l'indifférence de la nature, « un choeur de cigale/invisibles aux yeux humains/les radiations » et de la ridicule tentative des hommes à continuer à vivre malgré tout, « ces chercheurs [qui] cherchent du riz/ Résistant au césium/ Pour toute réponse », dans ce monde de « centrale nucléaire/comme un château fort en ruines/sous la lune trouble ».
On y lit aussi les poèmes de Mastuo Atsuyuki , un rescapé des explosions de 1945 qui a perdu les siens à l'exception de sa fille ainée :
« Sous le clair de lune
Ma propre voix qui appelle
En vain mes enfants »
« Elle savait déjà rire
Ma fille souriant au sein-
Au sein de la mort »
« le vent j'allume
Le bûcher de mes enfants
Puis une cigarette »
« Libellules au ciel
Dans ma tête les enfants
Qui ne vieilliront jamais »
« Seule chose au monde
En quoi je puis croire
Cette pierre que je caresse »
C'est un témoignage douloureux auquel s'ajoute un regard cynique sur le Japon moderne. Ainsi, en 1970, lors de la commémoration des 25 ans de l'explosion, il écrira
« Au nom du Ministre
Un suppléant parle aux atomisés
Qui ne furent pas suppléés. »
Et chez nous, cela aurait-il été différent ?
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Ce recueil poétique en dehors de ses qualités intrinsèques, nous amène à une profonde réflexion sur le nucléaire et les menaces qu'il fait toujours peser sur le monde actuel. Car quand Oppenheimer et ses équipes se lancèrent dans le projet Manhattan, afin de construire une bombe A avant les nazis et les Japonais, avaient-ils vraiment conscience où ils emmenaient l'humanité ? A priori oui et non, on peut leur laisser le bénéfice du doute. Cependant, dès 1943, les alliés savaient que la guerre était gagnée avec les moyens conventionnels, alors pourquoi continuer ce coûteux objectif ?
Mais si, j'oubliais, le danger futur avait changé de nature, les vilains communistes avaient remplacé les méchants nazis et nippons fanatiques, donc il fallait montrer les muscles face au péril rouge.
Conséquence de tout cela, les Japonais trinquèrent pour tout le monde et deux fois, histoire de dire, ça fonctionne bien vous avez vu !
Une fois la boite de Pandore ouverte, plus rien ne pouvait la refermer. Revanche de l'histoire, tout le monde fut victime de la folie nucléaire : les Américains subirent le très grave incident de Three Miles Island en 1979, les Russes le désastre de Tchernobyl en 1986 et comme l'histoire aime parfois se répéter, les malheureux Japonais en reprirent pour leur grade avec la catastrophe de Fukushima en 2011.
Ce recueil rend hommage aux souffrances subies par le peuple japonais et son injuste persécution de par l'atome. Au travers de courts poèmes, les poètes nippons écrivent leurs ressentis face à la malédiction nucléaire qui les poursuit sans relâche, génération après génération. Avec leurs mots, leurs émotions, leurs imaginations, ils illustrent sans haine ce destin tragique, professant malgré l'adversité, l'espoir d'un monde futur rempli de sagesse.
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La vérité
Du chrysanthème sauvage
En quoi d'autre croire ?
6 août 1945 - 6 aout 2020
A la mémoire des victimes d'Hiroshima et de Nagasaki
De la libellule
Il ne reste que deux ailes –
Commémoration de Hiroshima
(Kobayashi Tami)
Il explose
En irradiant,
Le sakura en fleurs
La guerre
Je ne peux croire
non, je ne peux croire
que l'homme a fait
cette guerre détestée
qui a causé tant de morts
Et que l'homme recommence
à faire la guerre
Je ne sais pourquoi mais
je ne peux le croire
Les os de mes trois gosses
je les ai mis dans un pot
pris dans les décombres
La mère de mes enfants est morte elle aussi, trente-six ans.
Les os de mes gosses
à côté de ma femme aux
seins gonflés de lait
J'ai tout perdu
Dans mes mains après la bombe
quatre actes de décès
Corinne Atlan, Dominique Chipot, Patrick Honnoré et Delphine Roux interviewés par Patricia Martin pour leurs livres sur le Japon et sa culture lors de la 22ème Fête du Livre à AUTUN en 2019.