On a l'habitude de dire qu'un homme doit savoir se sacrifier pour sa famille: cela est juste; mais en faisant un pas de plus, on ajoute que la patrie va avantla famille, c'est à dire que la famille doit, le cas échéant, être sacrifiée à la patrie. Alors pourquoi n'est-on pas conséquent jusqu'au bout, et pourquoi ne pose-t-on pas aussi en principe que l'humanité doit aller avant patrie?
Si la guerre est un duel entre deux nations, comme le duel est une guerre entre deux individus, n'est-il pas naturel et nécessaire de tâcher d'en atténuer les horreurs, et d'en conjurer les résultats par des mesures analogues, par exemple, à celles qui s'emploient tous les jours pour remédier aux suites sanglantes du duel?
Or, parmi ces mesures, la première est d'appeler sur le terrain du duel, et pour chacun des combattants, un ami ou un chirurgien, animé du désir et pourvu des moyens d'étancher les blessures, de calmer la douleur, et de prévenir, autant qu'il et en lui, tout dénouement funeste.
Pourquoi donc ne ferait-on pas pour les soldats, victimes de la guerre, ce qui se pratique depuis si longtemps, avec tant de raison et de succès pour les victimes du duel?
Les homme pensent pas tradition plutôt que par conviction personnelle; c'est ce qui fait que le militarisme, qui devrait les remplier d'horreur, ne choque pour ainsi dire personne. Nous sommes tous plus ou moins aveugle quant à la vérité, parce que que nous subordonnons notre jugement à celui du public, et le plus souvent à celui des personnes de notre petit entourage "qui végètent dans le court moment présent"; cependant quelqu'un a dit, avec beaucoup de raison, que "c'est la minute qui juge, non le siècle"; or, aux yeux de la Postérité, qui seule peut juger avec quelque impartialité, le siècle est encore bien peu de chose.