Il dit d’un ton grave :
— Si je ne l’aime pas, ne croyez pas non plus que je la déteste, non. Elle est si douce, si affectueuse, si pleine de qualités. Elle n’a que cela. Est-ce un défaut ? Je ne sais. Pourquoi ne serait-ce pas une vertu ? Voyons, qui empêcherait qu’on regardât cela comme une vertu, cette énergie du corps, cet inépuisement des sens, cette fougue superbe de la chair que l’âge lui-même ne parvient pas à dompter ? En vérité, monsieur, je ne lui en veux point, je lui pardonne tout, et c’est pourquoi, quand vous m’avez offert ce poste, je l’ai fait passer pour ma servante. Oui, pour ma servante. Vous n’eussiez certes pas accepté l’inconduite d’une épouse, mais d’une servante, j’espérais…
Il se tut. Quelle pitié j’avais de lui ! Quelle peur qu’on ne lui retirât son gagne-pain ! Et je songeais à la leçon de morale que mon oncle avait voulu me donner. Étrange leçon que j’avais reçue, bien lointaine du but proposé, leçon d’autant plus profonde, leçon de justice, de vérité, d’indulgence, d’infini pardon. Ah ! mon oncle pouvait bien chasser le bonhomme et déployer tout l’appareil de ses principes rigoureux, il n’en serait pas moins certain que j’avais pris ma première et ma meilleure leçon de vie réelle.
Mais il se passa ce fait anormal, que mon oncle Anthime saisit les mains du vieux, balbutia quelques mots incompréhensibles, et s’en alla rapidement, comme s’il eût voulu cacher quelque émotion secrète.
La jeunesse d'Arsène Lupin Cagliostro