« "La vie est un rêve, c'est le réveil qui nous tue." J'avais toujours été impressionné par cette phrase de
Virginia Woolf à laquelle je ne comprenais pas grand-chose. Qui donc aurait osé contredire
Virginia Woolf? »
Aujourd'hui,
Pierre-Antoine se réveille. Pas d'une
nuit de sommeil, non, d'une vie de sommeil. Comprenez que pour lui, cette révélation existentielle est une pilule bien difficile à avaler. D'autant que ce matin,
Pierre-Antoine a très mal à la gorge.
Le constat est terne comme un chat gris : père de trois enfants qu'il connait à peine, mari "mal aimé", architecte désabusé,
Pierre-Antoine est un homme cafardeux. Un homme absent. Une espèce de Saul
Karoo au cynisme toutefois bien plus joyeux que son homologue américain, quoique extrêmement exubérant, et malgré un égoïsme feutré, cet homme est terriblement attachant. Alors qu'il consulte son médecin pour son inquiétant mal de gorge, il ressort penaud du cabinet avec un diagnostic bien trop mou à son goût : une allergie au cyprès. Quelle déception! Quelle blague! Lui qui aurait au moins voulu avoir un cancer, tant il s'est auto-persuadé qu'annoncer sa mort prochaine pourrait avoir l'effet d'un électrochoc sur ses proches.
« La véritable tragédie, c'était de constater à quel point j'étais passé à côté de ceux que j'aimais pour imaginer un seul instant que la maladie allait les faire accourir plein de regrets et de tendresse.
Quelle vie avais-je mené pour croire que la mort allait tout me restituer? »
Pierre-Antoine décide alors de jouer son va-tout en annonçant à qui veut bien l'entendre (ou le croire) qu'il souffre d'un incurable cancer de la gorge. C'est qu'il est déterminé à écrire sa propre légende, le p'tit père l'embrouille, avec cette mise en scène lamentable. Légende qui aura la forme d'un roman. Un chef-d'oeuvre posthume qui éclairera enfin sa vie. Sa grande "Autobiographie d'un homme absent". le projet est en marche. Il n'y a plus qu'à.
"Comment prétendre mourir d'un cancer et manger autant de pains au chocolat?"
J'ai ri. Beaucoup, et bruyamment.
Le premier roman de Paloma de Boismorel est un régal.
Je n'avais pas autant ri depuis “
Karoo” de
Steve Tesich.
L'écriture de Paloma de Boismorel fuse à 1000 à l'heure, on se croirait propulsé au milieu d'une tempête d'astéroïdes de répliques cinglantes, de traits d'esprits, et des meilleurs memes d'Internet. La langue est d'une incroyable richesse, pleine de trouvailles, sans cesse surprenante, rappelant parfois les meilleurs dialogues d'
Edgar Hilsenrath:
« - Vous êtes plutôt huîtres ou foie gras?
- Les deux, en commençant par les huîtres.
- Une raison d'être heureux?
- Les huîtres et le foie gras.
- Très bonne réponse. »
“
La Fin du sommeil” est loin de n'être qu'une comédie absurde, ça pourrait également être une espèce de manifeste contre les excès du développement personnel, contre la pollution sonore et le nombrilisme, contre les diktats de notre société qui stipuleraient que chacun.e doit avoir un avis sur tout et le partager à n'importe qui. Ce livre est beaucoup de choses, il est très fouillé, avec des personnages qui me manquent déjà :
Pierre-Antoine, évidemment, et ses sablés au citron ; sa mère, exécrable et qui mène une guerre nucléaire contre les taupes de son jardin ; Betty, qu'on découvre peu à peu ; Thomas et son innocence si chou ; et bien sûr bern1970@gmail.com. Ce livre n'est pas juste une comédie de plus, ce n'est pas un divertissement creux, c'est aussi une réflexion ô combien intéressante sur le processus d'écriture, mais tout de même... vous ai-je dit A QUEL POINT J'AI RI? Demandez à ma coloc'!
"Le destin n'a rien à voir avec le gluten."
La vivacité intellectuelle déployée tout au long de ces 281 pages est tout à fait bluffante, indomptable, imprévisible.
Je n'ai plus qu'une chose à dire : Chapeau bas. C'est une réussite détonante.