La Guerre de l'information : Les États à la conquête de nos cerveaux

Il y aurait tant et tant à dire tant La Guerre de l'information prolifère à notre insu. Nous sommes sous le feu permanent d'un conflit mondial répandu par de nombreux vecteurs connectés et interconnectés. L'information n'a plus de filtre, évince journalistes et chercheurs.
La guerre de l'infox opère sans fumée, se glisse dans les médias sociaux, la presse, l'intelligence artificielle, Internet, la collecte colossale de données...
Il y a de gros belligérants, la Russie, la Chine, les États-Unis et aussi le simple citoyen lorsqu'il accrédite des théories complotistes. David Colon module l'ingérence selon qu'elle émane d'une démocratie libérale ou d'un régime autoritaire.
L'Ukraine et le Moyen-Orient offrent actuellement un terrain d'études des campagnes de désinformation destinées à influencer les opinions publiques. Qui a vraiment visé un hôpital civil à Gaza ? L'Ukraine a-t-elle fourni des armes au Hamas (information russe) ?
Plus ancien, comment les États-Unis ont-ils persuadé une partie du monde de la présence d'armes de dissuasion massive en Irak ?
Aujourd'hui, la Chine promeut ses intérêts en séduisant les jeunes occidentaux via TikTok, qualifié d'arme informationnelle la plus redoutable jamais conçue.
Les narratifs mensongers fleurissent comme les "j'aime" sur les champs numériques. Entreprises, États, influenceurs, terroristes, associations douteuses s'ingénient à produire des récits ralliant à leur cause ou à leur profit. Dernier en date, la désinformation sur le climat, réactivée sur la vague de renoncement à des mesures impopulaires pour sauver la planète.
David Colon écrit une somme tous les deux ans. Sa puissance de travail est extraordinaire. Il défend l'information de qualité, aide à identifier les médias de confiance. Il traque les armes de subversion massive des esprits. L'information est considérée comme un bien public essentiel et non comme une marchandise.
L'historien et professeur à Science Po propose de multiples stratégies en vue de gagner la troisième guerre mondiale, notamment la coopération internationale, un observatoire indépendant, le soutien au journalisme de service public.
L'auteur est exhaustif, archi documenté (une soixantaine de pages de notes, bibliographie, sigles et glossaire). Son ouvrage encyclopédique donne le vertige tout en remplissant une mission de salut public : outiller nos consciences en état d'urgence informationnel.

Cet essai est impressionnant dans la mesure où nous croyions avoir compris que les mensonges et les rumeurs se répandent désormais dans le monde bien plus rapidement et abondamment que les "bonnes nouvelles" ; mais, sous une avalanche d'analyses de cas récents, la démonstration qui nous est proposée dans cette compilation va au-delà de ce que nous imaginions.

Où se trouve le champ de bataille de la guerre de l'information que se livrent les dictatures et les démocraties ? Dans les médias. Vous apprendrez ainsi comment les États-Unis, en exagérant en 2002-2004 le profil d'al-Zarqaoui ont contribué à lui procurer une publicité inespérée, ce qui a donné un résultat opposé à celui recherché. Vous reviendrez sur la détention d'armes de destruction massive et sur de nombreux épisodes des vingt-cinq dernières années : ce que vous soupçonniez est souvent démontré et ce que vous ne soupçonniez peut-être pas vous est révélé.

De nos jours, la guerre militaire se double d'une guerre de l'information : le récit l'emporte sur le char et le virus sape plus efficacement que les bombardements. Souvenez-vous des centrifugeuses iraniennes... et des cyberattaques visant banques, hôpitaux et secrets défense. En 2015, un éminent spécialiste russe de la désinformation définit la stratégie du Kremlin à l'aide de quatre "d" : dénigrer, déformer et détourner les propos de l'ennemi pour le désorienter.

Face aux discours russes ou chinois, les journalistes français et d'autres démocraties, parce qu'indépendants du pouvoir exécutif, sont écartelés entre leur mission d'informer et leur degré d'indépendance à l'égard de leur gouvernement. Cette faiblesse objective est exploitée par l'adversaire.

Petite perle illustrant tout le parti que peuvent tirer les régimes non démocratiques des techniques modernes d'information : à partir de l'analyse de profils Facebook, le ministère de la Sécurité nationale de Trinidad et Tobago (1,3 million d'habitants) a "identifié ceux des Trinidadiens qui avaient le plus de probabilité de commettre un crime, non pas dans le but de réduire la criminalité, mais dans celui de recruter des hommes de main pour de futures campagnes politiques". Édifiant n'est-ce pas ?

La guerre de l'Ukraine a démontré que "pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, il est presque impossible d'être inobservé" et elle a remis à jour la pertinence de l'art de la guerre tel que décrit en Chine il y a 2 500 ans : "duper l'ennemi, brouiller sa perception et semer la division en son sein" pour le soumettre sans avoir à le combattre.

L'ouvrage est très dense ; il est accompagné de près de 900 notes citant les sources utilisées, de plus de 150 références bibliographiques et d'un précieux index des noms de personnes citées. Je ne l'ai pas lu en intégralité : j'avais une impression d'overdose. Il m'a convaincu par ses démonstrations et m'a fait découvrir tout le parti que l'on peut tirer de la manipulation des esprits. Qu'en sera-t-il dans les décennies à venir, quand l'intelligence artificielle démultipliera la capacité de nuisance de l'ennemi ? Les mensonges d'État pourront-ils persister durablement ?

le développement de l'esprit critique ne nous immunisera pas, mais il demeure l'arme essentielle pour combattre la désinformation. Aidons les générations à venir à le cultiver. Et toi, lecteur, ne fais pas l'autruche : ose lire cette étude.

La guerre de l'information est un livre profondément anxiogène qui peut vous rendre assez paranoïaque. Sa force est pourtant de nous rappeler que la désinformation n'est pas un jeu anodin qui abuserait de la crédulité de certains esprits faibles virant complotistes. La désinformation n'est pas que la conséquence d'algorithmes peu responsables ou d'un marketing peu scrupuleux. L'historien David Colon nous rappelle que la désinformation et la manipulation de l'information sont la continuation de la guerre par d'autres moyens. On l'a vu très récemment quand des étoiles de David ont été taguées sur des murs dans les rues de Paris. Quelques images sur Twitter ont donné lieu à un déferlement de commentaires… même après qu'on ait appris que ces images avaient clairement été postées par des agents russes dans un but de déstabilisation politique qui semble avoir parfaitement fonctionné.

Colon rappelle que des entités mal intentionnées s'immiscent dans les algorithmes défaillants, dans le commentariat permanent. La fin de la guerre froide et les promesses d'un accès universel à l'information via le numérique nous ont fait croire que les conflits seraient derrière nous et que l'information deviendrait le bien commun de tous. Il n'en est rien. “L'information qui a toujours été une source de pouvoir est devenue un pouvoir en soi”, explique Colon. Elle s'est militarisée sans qu'on le voit. Elle est devenue un moyen d'ingérence, de déstabilisation, une arme permettant de se substituer à d'autres conflits. “A l'équilibre de la guerre froide a succédé le déséquilibre de la guerre de l'information”. de l'élection de Trump au Brexit, on se rend compte que la désinformation est une arme qui fonctionne. Et elle fonctionne d'autant plus que les changements qu'ont introduit les réseaux sociaux et qu'ont connu les médias de masse rendent ces manoeuvres de déstabilisation encore plus faciles, accessibles à des acteurs sans grands moyens. le livre de Colon, comme il l'explique lui-même raconte l'histoire de “cette guerre à laquelle nous n'étions pas préparés, qui s'est déroulée pour l'essentiel sans que nous en soyons conscients, et qui constitue pour nos démocraties une menace mortelle”.
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La fin de la guerre froide et la diffusion à l'échelle mondiale des informations auraient dû permettre la victoire des démocraties libérales. Ce début de XXIe siècle est pourtant marqué par l'arrêt de l'expansion des démocraties autant que par les succès de la Chine et de son modèle politique, qui mêle autoritarisme et leadership technologique. Pour l'historien et chercheur à Science Po David Colon, l'apparition de la télévision par satellite, du Web et des réseaux sociaux a ouvert la voie à une guerre de l'information. Il retrace dans son dernier livre ce conflit pour l'essentiel souterrain, et dans lequel les pays autoritaires ont su retourner les outils d'influence des démocraties occidentales contre elles-mêmes. [Critique complète à retrouver sur Nonfiction]
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