Je remercie les éditions du Félin et Babelio pour cette oeuvre reçue lors de l'opération Masse Critique.
"La République face à la rue", ou un gouvernement face à des manifestants : celui qui veut maintenir l'ordre face à ceux qui sont prêts à se faire entendre, y compris parfois par la violence. le sujet est particulièrement intéressant, d'une actualité brûlante en France, alors que se succèdent les manifestations contre la réforme des retraites. D'ailleurs, on constate un changement dans la doctrine du maintien de l'ordre avec un nouveau préfet de police, moins d'éborgnés et de mutilés...
Bernard Hautecloque livre donc ici un essai, à la croisée de plusieurs champs. D'abord, l'histoire politique : l'ouvrage est le 1er tome d'une série, lui centre sa réflexion sur les débuts de la III ème République, avant la Grande Guerre. Ensuite, l'histoire sociale - il faut comprendre les raisons des manifestations, les revendications, dans une période où les syndicats se développent, ou les différentes tendances du socialisme commencent à se fédérer, mais aussi où la crise économique est forte. C'est aussi en partie une histoire de la police - dont
Bernard Hautecloque est un spécialiste, même si le maintien de l'ordre fait aussi appel à l'armée et à la gendarmerie. C'est également une histoire très parisienne, voire une histoire de Paris dans ses rues et ses faubourgs : l'auteur élargit son propos, donnant des exemples de grève des mineurs dans le Nord ou de manifestations de vignerons dans le Languedoc, mais c'est à Paris, la révolutionnaire, que le maintien de l'ordre est un enjeu plus important, du fait du nombre de manifestants, de la symbolique de la ville auprès de la presse comme des politiques.
C'est enfin une histoire d'hommes, à commencer par le préfet de police, Lépine. Si on connaît son nom en lien avec le concours d'inventions qu'il a fondées, c'était un personnage médiatique avant l'heure au tournant du siècle, se mettant en scène pour faire parler de lui, allant jusqu'à se rendre en première ligne face aux manifestants, laissant aussi pousser sa barbiche pour être reconnaissable. Il reste en poste plusieurs d'années, ce qui lui permet de transformer la police parisienne, en lien avec un de ses grands centres d'intérêt, le maintien de l'ordre : il invente des techniques, des procédures, veillant à la discipline au sein de ses propres troupes - il durcit les critères de recrutement pour exclure les brutes peu alphabétisées et alcoolisées. Autre personnage, Clemenceau, ministre de l'Intérieur, radical dans son combat contre le cléricalisme, conservateur dans ses relations avec les ouvriers en grève.
Après une présentation générale, l'auteur développe différents exemples chronologiques - certains connus comme le massacre de Fourmies, d'autres non, l'historien veut montrer que la République refuse progressivement la violence, encore moins les morts parmi les manifestants comme parmi les forces de l'ordre : c'est un régime démocratique, elle doit donc accepter la contestation, même si celle-ci la fragilise, et même si la manifestation reste interdite dans la loi jusqu'aux années 1930. C'est donc l'histoire des moyens mis en oeuvre, de façon plus théorique d'ailleurs qu'empirique, pour permettre à la rue de s'exprimer sans victime.
Même si j'aurais aimé parfois que certains épisodes soient plus approfondis et contextualisés, notamment en accentuant sur le rôle des acteurs, cet ouvrage fait réfléchir - en comparant forcément par rapport à la situation contemporaine - et donne envie de découvrir les tomes suivants.