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EAN : 9782894060605
105 pages
Bibliothèque Québécoise (07/01/1995)
3.65/5   53 notes
Résumé :
Le récit qui suit est basé sur une croyance populaire qui remonte à l’époque des coureurs des bois et des voyageurs du Nord-Ouest. Les « gens de chantier » ont continué la tradition, et c’est surtout dans les paroisses riveraines du Saint-Laurent que l’on connaît les légendes de la chasse-galerie. J’ai rencontré plus d’un vieux voyageur qui affirmait avoir vu voguer dans l’air des canots d’écorce remplis de « possédés » s’en allant voir leurs blondes, sous l’égide d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
La Chasse-galerie est un recueil de contes et légendes québécoise paru en 1900. Un classique dans le genre. On y retrouve le Québec du milieu du XIXe siècle, ce Québec des petits villages et des grands espaces. Un Québec proche de ses racines, original, rafraichissant. La particularité de ces contes écrits par Honoré Beaugrand est qu'ils constituent d'une histoire dans une histoire. Avant qu'elles ne soient couchées sur papier, ces légendes étaient racontées lors des veillées et des réveillons les longs soirs d'hiver. Et Beaugrand a retenu cette tradition. Ainsi, des conteurs comme Joe le Cook ont leur place dans le recueil et ils introduisent leurs contes et les agrémentent de leurs commentaires par-ci et par-là. Mais que le lecteur soit averti : le vocabulaire et les tournures de phrases employés sont assez proches de ceux qu'utilisaient les gens à l'époque, il y a près de deux cents ans.

La plus populaire des légendes de ce recueil est sans contredit « La chasse-galerie ». Elle reprend quelques uns des thèmes important du folklore québécois : des jeunes bûcherons dans un campement éloigné et un pacte avec le diable. Dans cette légende, afin de retrouver les élues de leur coeur le temps d'une soirée, douze bûcherons font un pacte avec le diable – moyennant leur âme en cas de non-respect des conditions préétablies : l'interdiction de toucher les clochers d'église et de prononcer des mots très chrétiens. Ainsi, ils voyagent en canot dans les airs de leur camp dans l'Outaouais jusque dans leur village natal dans la vallée du Saint-Laurent. Mais, quand l'alcool brouille les esprits, les langues risquent de se délier lors du retour dans le Nord…

Les autres légendes font mention de loups garous, de bêtes à Grand'queue, de fantômes et autres créatures ou phénomènes surnaturels. On y retrouve également des thèmes chers aux Canadiens français de l'époque : les chicanes électorales, le petit commerce, les nouvelles criées sur les perrons d'église… Fait assez inusité, le recueil de Beaugrand contient également deux contes anecdotiques, « Macloune » et « le père Magloire », assez réalistes dans leur traitement. Mais tous mettent en scène des personnages ordinaires, c'est-à-dire des gens du peuple, presque pauvres, mais qui savent tirer leur épingle du jeu, espiègles, bons parleurs, débrouillards, hardis. Seul trait duquel ils diffèrent : ils ne sont pas trop portés sur la religion (il est dans leur habitude de sauter quelques Pâques) contrairement à la grande majorité de la population, composée de catholiques très pratiquants. Ceci dit, c'est bien souvent un bon curé ou les prières qui viennent au secours. Après tout, le but de ces histoires était de ramener les brebis égarées dans le bercail… Dans tous les cas, le lecteur a droit a un bon divertissement.
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Un voyage merveilleux dans les contes et légendes du Québec. Beaugrand raconte le folklore québécois avec une plume vivante, dynamique, simple et qui va droit au but. J'ai vraiment passé un super moment de lecture et j'ai enfin découvert le texte original de la Chasse-galerie, légende qui m'a été conté de nombreuses fois. Beaugrand mêle merveilleusement bien le fantastique, la nature sauvage, les créatures mythiques, des hommes bruts qui travaillent la terre et la forêt... bien que c'est fort peu probable qu'on puisse faire un pacte avec le diable, ou que des loup-garous dansent autour d'un feu... par la plume de Beaugrand, on y croit, on se dit que ça existe. Un vrai petit bijou de la littérature classique québécoise.
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Je vais donner beaucoup de mérite à Beaugrand; sa maîtrise est admirable, et sa retenue l'est encore plus. Pour le surnaturel, il ne se contente pas de raconter l'histoire et de la déclarer telle quelle. Non, il fait raconter l'histoire aux personnages, c'est toujours indirect, et donc, dans le contexte du livre, c'est toujours ouvert à l'interprétation. Il ne dit pas, spécifiquement, en tant qu'auteur et dieu théorique de cet univers, si tel ou tel est véridique; il ne fait que placer les preuves et laisse le lecteur en penser ce qu'il ou elle souhaite.

Je vais aussi lui donner encore plus de mérite pour son admirable talent de raconteur, pour le fait qu'il ait si ingénieusement fait la transition d'histoires orales à histoires orales écrites. C'est une petite différence entre ça et une simple narration omnisciente, mais pas tous les écrivains n'y auraient pensé, à cette simple solution pour garder le charme de ces vieilles histoires qu'on raconte d'habitude autour d'un feu. C'est aussi rusé de sa part de garder une langue authentique et d'éviter un vocabulaire trop hautain ou détaché, car ça garde l'aspect « réel » des histoires et permet à un plus large lectorat de facilement se plonger dedans, immortalisant de ce fait sous un format facile et plaisant à lire ces histoires, en faisant du même coup leur version définitive.

Ça l'aurait tant été facile d'assumer le rôle de narrateur et, en tant qu'auteur, se déclarer et montrer ses propres valeurs. Beaugrand aurait facilement pu prêcher et parler sans fin de Dieu et de damnation, comme c'était la mode de le faire, mais en s'abstenant et s'effaçant comme auteur, il préserve une certaine intemporalité pour son oeuvre qui traduit si bien les vieilles légendes. C'est extraordinaire de penser que ces mythes et légendes, fabriqués et modifiés (pour la plupart) spécifiquement pour effrayer les gens et les souder aux bancs des églises, soient racontés avec autant de tact et de neutralité.

Et qu'il ait eu la sagesse de faire ça est tout à fait admirable. Et quand Beaugrand assume le rôle de narrateur omniscient, il le fait en toute candeur et ne lèse pas du tout l'histoire, sa neutralité est remarquable et, s'il n'est pas neutre, alors il est sympathique envers le malheur des personnages. C'est une excellente plume que Beaugrand a, similaire je dirais à celle De Maupassant; simple mais efficace, capable de créer des succincts moments de brillance aveuglante. C'est une plume qui se vante d'être versatile, plaisante, intemporelle et secrètement maîtresse de la langue, tel qu'il est convenu de s'y attendre de la part d'un homme aussi cultivé et intelligent que Beaugrand. Et je dois dire, je suis enchanté que les légendes de mon peuple ait été immortalisées sous forme écrite par lui.
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Petit livre, petite lecture rapide😊
Je me rappelle avoir déjà lu cette légende mais pas raconté par Honoré Beaugrand. J'ai aussi souvenir de l'avoir vu interprété au Village québécois d'Antan, il y a bien une vingtaine d'années.
Ça m'a fait du bien de m'y replonger. j'en avais un souvenir tout autre, je ne sais pas pourquoi.
Je vais voir si je n'arrive pas a trouver d'autres livres de cet auteur car j'ai bien aimé sa façon de raconter cette légende.
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Classique de la littérature québécoise fantastique, ce recueil de contes et de légendes québécoise est paru en 1900, mais il offre encore couleurs, atmosphère surnaturelle et traditions québécoises. On y retrouve le Québec du XIXe siècle, avec ses croyances, ses petits villages et ses grands espaces. le conte le plus connu est évidemment celui qu'on retrouve dans le titre "La Chasse-galerie", mais il y a plusieurs autres classiques (contes ou légendes) tirés de notre folklore que l'on doit absolument connaître.
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critiques presse (1)
LeDevoir
02 janvier 2023
La chasse-galerie, comme plusieurs légendes de l’époque, met donc en valeur un vieil héritage français à risque d’assimilation, ses traditions, sa langue populaire et colorée, ses valeurs, sa foi et son esprit familial et communautaire.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Je vous disais donc, continua-t-il, que si j'ai été un peu tough dans ma jeunesse, je n'entends plus risée sur les choses de la religion. Je vas à confesse régulièrement tous les ans, et ce que je veux vous raconter là se passait aux jours de ma jeunesse, quand je ne craignais ni Dieu ni diable.

C'était un soir comme celui-ci, la veille du jour de l'an, il y a de cela trente-quatre ou trente-cinq ans.

Les camarades et moi, nous prenions un petit coup à la cambuse. Mais si les petits ruisseaux font les grandes rivières, les petits verres finissent par vider les grosses cruches, et, dans ces temps-là, on buvait plus sec et plus souvent qu'aujourd'hui. Il n'était pas rare de voir finir les fêtes par des coups de poings et des tirages de tignasse.

La jamaïque était bonne--pas meilleure que ce soir--mais elle était bougrement bonne, je vous le persuade!

J'en avais bien lampé une demi-douzaine de petits gobelets, pour ma part; et sur les onze heures, je vous l'avoue franchement, la tête me tournait, et je me laissai tomber sur ma robe de carriole pour faire un petit somme, en attendant l'heure de sauter à pieds joints, par-dessus la tête d'un quart de lard, de la vieille année dans la nouvelle, comme nous allons le faire ce soir sur l'heure de minuit, avant d'aller chanter la guignolée et souhaiter la bonne année aux hommes du chantier voisin.

Je dormais donc depuis assez longtemps, lorsque je me sentis secouer rudement par le boss des piqueurs, Baptiste Durand, qui me dit:

--Joe, minuit vient de sonner, et tu es en retard pour le saut du quart. Les camarades sont partis pour faire leur tournée, et moi je m'en vais à Lavaltrie voir ma blonde. Veux-tu venir avec moi?

A Lavaltrie! lui répondis-je, es-tu fou? Nous en sommes à plus de cent lieues. Et d'ailleurs, aurais-tu deux mois pour faire le voyage, qu'il n'y a pas de chemin de sortie, dans la neige. Et puis, le travail du lendemain du jour de l'an?

--Animal! répondit mon homme, il ne s'agit pas de cela. Nous ferons le voyage en canot d'écorce, à l'aviron, et demain matin, à six heures, nous serons de retour au chantier.

Je comprenais.

Mon homme me proposait de courir la chasse-galerie, et de risquer mon salut éternel pour le plaisir d'aller embrasser ma blonde au village. C'était raide. Il était bien vrai que j'étais un peu ivrogne et débauché, et que la religion ne me fatiguait pas à cette époque, mais vendre mon âme au diable, ça me surpassait.

--Cré poule mouillée! continua Baptiste, tu sais bien qu'il n'y a pas de danger. Il s'agit d'aller à Lavaltrie et de revenir dans six heures. Tu sais bien qu'avec la chasse-galerie, on fait au moins cinquante lieues à l'heure quand on sait manier l'aviron comme nous. Il s'agit tout simplement de ne pas prononcer le nom du bon Dieu pendant le trajet, et de ne pas s'accrocher aux croix des clochers en voyageant. C'est facile à faire, et pour éviter tout danger, il faut penser à ce qu'on dit, avoir l'oeil où l'on va, et ne pas prendre de boisson en route. J'ai fait le voyage cinq fois, et tu vois bien qu'il ne m'est jamais arrivé malheur. Allons, mon vieux, prends ton courage à deux mains, et, si le coeur t'en dit, dans deux heures de temps, nous serons à Lavaltrie. Pense à la petite Liza Guimbette, et au plaisir de l'embrasser. Nous sommes déjà sept pour faire le voyage, mais il faut être deux, quatre, six ou huit, et tu seras le huitième.

--Oui! tout cela est très bien, mais il faut faire un serment au diable, et c'est un animal qui n'entend pas à rire lorsqu'on s'engage à lui.

Une simple formalité, mon Joe. Il s'agit simplement de ne pas se griser et de faire attention à sa langue et à son aviron. Un homme n'est pas un enfant, que diable! Viens, viens! nos camarades nous attendent dehors, et le grand canot de la drave est tout prêt pour le voyage.

Je me laissai entraîner hors de la cabane, où je vis en effet six de nos hommes qui nous attendaient, l'aviron à la main. Le grand canot était sur la neige, dans une clairière, et avant d'avoir eu le temps de réfléchir, j'étais déjà assis dans le devant, l'aviron pendant sur le plat-bord, attendant le signal du départ. J'avoue que j'étais un peu troublé; mais Baptiste, qui passait dans le chantier, pour n'être pas allé à confesse depuis sept ans, ne me laissa pas le temps de me débrouiller. Il était à l'arrière, debout, et d'une voix vibrante il nous dit:

--Répétez avec moi!

Et nous répétâmes:

-Satan, roi des enfers, nous te promettons de te livrer nos âmes, si d'ici à six heures, nous prononçons le nom de ton maître et le nôtre, le, bon Dieu, et si nous touchons une croix dans le voyage. A cette condition, tu nous transporteras, à travers les airs, au lieu où nous voulons aller, et tu nous ramèneras de même au chantier. Acabris! Acabras! Acabram!....Fais-nous voyager par-dessus les montagnes.


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Et nous voilà repartis à toute vitesse. Mais il devint aussitôt évident que notre pilote n'avait plus la main aussi sûre, car le canot décrivait des zigzags inquiétants. Nous ne passâmes guère à plus de cent pieds du clocher de Contrecoeur, et au lieu de nous diriger vers l'ouest, vers Montréal, Baptiste nous fit prendre des bordées vers la rivière Richelieu. Nous filâmes comme une balle par dessus la montagne de Beloeil, et il ne s'en manqua pas de dix pieds que l'avant du canot n'allât se briser sur la grande croix de tempérance que l'évêque de Nancy avait plantée là.

--A droite, Baptiste! à droite mon vieux! car tu vas nous envoyer chez le diable, si tu ne gouvernes pas mieux que ça!

Et Baptiste fit instinctivement tourner le canot vers la droite en mettant le cap sur la montagne de Montréal, que nous apercevions déjà dans le lointain.

J'avoue que la peur commençait à me tortiller, car si Baptiste continuait à nous conduire de travers, nous étions flambés comme des gorets qu'on grille après la boucherie.

Or je vous assure que la dégringolade ne se fit pas attendre, car au moment où nous passions au-dessus de Montréal, Baptiste nous fit prendre une sheer, et dans le temps d'y penser, le canot s'enfonça dans un banc de neige au flanc de la montagne. Heureusement que c'était de la neige molle; personne n'attrapa de mal, et le canot ne fut pas brisé.

Mais à peine étions-nous sortis de neige, que voilà Baptiste qui commence à sacrer comme un possédé, et qui déclare qu'avant de repartir pour la Gatineau, il veut descendre en ville prendre un verre. J'essayai de raisonner avec lui, mais allez donc faire entendre raison à un ivrogne qui veut se mouiller la luette! Alors, rendus à bout de patience, et plutôt que de laisser nos âmes au diable qui se léchait déjà les babines en nous voyant dans l'embarras, je dis un mot à tous mes autres compagnons, qui avaient aussi peur que moi, et nous nous jetons tous sur Baptiste, que nous terrassons, sans lui faire mal, et que nous plaçons ensuite au fond du canot-après l'avoir ligoté comme un bout de saucisse, et lui avoir mis un bâillon pour l'empêcher de prononcer des paroles dangereuses, lorsque nous serions en l'air.

Et Acabris! Acabras! Acabram! nous voilà repartis sur un train de tous les diables, car nous n'avions plus qu'une heure pour nous rendre au chantier de la Gatineau. C'est moi qui gouvernais, cette fois-là, et je vous assure que j'avais l'oeil ouvert et le bras solide. Nous remontâmes la rivière Outaouais comme une poussière jusqu'à la Pointe-à-Gatineau, et de là nous piquâmes au nord vers le chantier.

Nous n'en étions plus rien qu'à quelques lieues, quand voilà-t-il pas cet animal de Baptiste qui se détortille de la corde avec laquelle nous l'avions ficelé, qui s'arrache son bâillon, et qui se lève tout droit dans le canot, en lâchant un sacre qui me fit frémir jusque dans la pointe des cheveux!

Impossible de lutter contre lui dans le canot, sans courir le risque de tomber d'une hauteur de trois cents pieds; et l'animal gesticulait comme un pendu, en nous menaçant tous de son aviron qu'il avait saisi et qu'il faisait tournoyer sur nos têtes en faisant le moulinet comme un Irlandais avec son shilelagh. La position était terrible, comme vous le comprenez bien. Heureusement que nous arrivions. Mais j'étais tellement excité, que par une fausse manoeuvre que je fis pour éviter l'aviron de Baptiste, le canot heurta la tête d'un gros pin, et que nous voilà tous précipités en bas, dégringolant de branche en branche comme des perdrix que l'on tue dans les épinettes.

Je ne sais pas combien je mis de temps à descendre, car je perdis connaissance avant d'arriver; et mon dernier souvenir était comme celui d'un homme rêvant qu'il tombe dans un puits qui n'a pas de fond.


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A peine avions-nous prononcé les dernières paroles, que nous sentîmes le canot s'élever dans l'air à une hauteur de cinq ou six cents pieds. Il me semblait que j'étais léger comme une plume; et au commandement de Baptiste, nous commençâmes à nager comme des possédés que nous étions.

Aux premiers coups d'aviron le canot s'élança dans l'air comme une flèche, et c'est là le cas de dire, le diable nous emportait. Ça nous en coupait le respire, et le poil en frisait sur nos casques de chat sauvage.

Nous filions plus vite que le vent. Pendant un quart d'heure environ, nous naviguantes au-dessus de la forêt, sans apercevoir autre chose que les bouquets des grands pins noirs.

La nuit était superbe; et la lune, dans son plein, illuminait le firmament comme un beau soleil du midi.

Il faisait un froid du tonnerre; nos moustaches étaient couvertes de givre; et cependant nous étions tous en nage. Ça se comprend aisément, puisque c'était le diable qui nous menait; et je vous assure que ce n'était pas sur le train de la Blanche.

Nous découvrîmes bientôt une éclaircie dans le lointain; c'était la Gatineau, dont la surface glacée et polie étincelait au-dessous de nous comme un immense miroir. Puis, petit à petit, nous aperçûmes des lumières dans les maisons d'habitants; puis des clochers d'église qui reluisaient comme des baïonnettes de soldats, quand ils font l'exercice sur le Champ-de-Mars de Montréal.

On passait ces clochers aussi vite que les poteaux de télégraphe, quand on voyage en chemin de fer. Et nous filions toujours comme tous les diables, sautant par-dessus les villages, les forêts, les rivières, et laissant derrière nous comme un traînée d'étincelles. C'est Baptiste, le possédé, qui gouvernait, car il connaissait la route, et nous arrivâmes bientôt à la rivière des Outaouais, qui nous servit de guide pour descendre jusqu'au lac des Deux-Montagnes.

--Attendez un peu! cria Baptiste. Nous allons raser Montréal, et nous allons effrayer les coureux qui sont encore dehors à cette heure-cite. Toi, Joe, là, en avant, éclaircis-toi le gosier, et chante-nous une chanson sur l'aviron.

En effet, nous apercevions déjà les mille lumières de la grande ville, et Baptiste, d'un coup d'aviron, nous fit descendre à peu près au niveau des tours de Notre-Dame. J'enlevai ma chique pour ne pas l'avaler, et j'entonnai à tue-tête cette chanson de circonstance, que tous les canotiers répétèrent en choeur:



Mon père n'avait fille que moi,
Canot d'écorce qui va voler...
Et dessus la mer il m'envoie:
Canot d'écorce qui vole, qui vole,
Canot d'écorce qui va voler!


Et dessus la mer il m'envoie,
Canot d'écorce qui va voler...
Le marinier qui nous menait:
Canot d'écorce qui vole, qui vole.
Canot d'écorce qui va voler!


Le marinier qui me menait,
Canot d'écorce qui va voler...
Me dit, ma belle, embrassez-moi:
Canot d'écorce qui vole, qui vole,
Canot d'écorce qui va voler!



Me dit, ma belle, embrassez-moi,
Canot d'écorce qui va voler...
Non,non, Monsieur, je ne saurais:
Canot d'écorce qui vole, qui vole,
Canot d'écorce qui va voler!


Non, non, Monsieur, je ne saurais,
Canot d'écorce qui va voler...
Car si mon papa le savait:
Canot d'écorce qui vole, qui vole,
Canot d'écorce qui va voler!


Car si mon papa le savait,
Canot d'écorce qui va voler...
Ah! c'est bien sûr qu'il me battrait:
Canot d'écorce qui vole, qui vole,
Canot d'écorce qui va voler!


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Le père Batissette vint ouvrir lui-même, et nous fûmes reçus à bras ouverts par les invités que nous connaissions presque tous.

On nous assaillit d'abord de questions:

--D'où venez-vous?

--Je vous croyais dans les chantiers!

--Vous arrivez bien tard!

--Venez boire une larme!

Ce fut encore Baptiste qui nous tira d'affaire en prenant la parole:

--D'abord, laissez-nous nous décapoter, et puis ensuite laissez-nous danser. Nous sommes venus exprès pour ça. Demain matin, je répondrai à toutes vos questions, et nous vous raconterons tout ce que vous voudrez.

Pour moi, j'avais déjà reluqué Liza Guimbette, qui était faraudée par le petit Boisjoli de Lanoraie.

Je m'approchai d'elle pour la saluer et pour lui demander l'avantage de la prochaine, qui était un reel à quatre. Elle accepta avec un sourire qui me fit oublier que j'avais risqué le salut de mon âme pour avoir le plaisir de me trémousser et de battre les ailes de pigeon en sa compagnie.

Pendant deux heures de temps, je vous le persuade, une danse n'attendait pas l'autre; et ce n'est pas pour me vanter si je vous dis que, dans ce temps-là, il n'y avait pas mon pareil à dix lieues à la ronde pour la gigue simple ou la voleuse. Mes camarades, de leur côté, s'amusaient comme des lurons, et tout ce que je puis vous dire, c'est que les garçons d'habitants étaient fatigués de nous autres, lorsque quatre heures sonnèrent à la pendule.

J'avais cru voir Baptiste Durand s'approcher du buffet où les hommes prenaient des nippes de whisky blanc, de temps en temps; mais j'étais tellement occupé avec ma partenaire que je n'y portai pas beaucoup d'attention. Mais maintenant que l'heure de remonter en canot était arrivée, je vis clairement que Baptiste avait pris un coup de trop, et je fus obligé d'aller le tirer par le bras pour le faire sortir avec moi, en faisant signe aux autres de se préparer à nous suivre sans attirer l'attention des danseurs.

Nous sortîmes les uns après les autres, sans faire semblant, et cinq minutes plus tard, nous étions rembarqués en canot, après avoir quitté le bal comme des sauvages, sans dire bonjour à personne; pas même à Liza, que j'avais invité pour danser un foin. J'ai toujours pensé que c'était cela qui l'avait décidée à me trigauder et à épouser le petit Boisjoli, sans m'inviter à ses noces, la boufresse!

Mais pour revenir à notre canot, nous étions rudement embêtés de voir que Baptiste Durand avait bu, car c'était lui qui nous gouvernait, et nous n'avions que juste le temps de revenir au chantier pour six heures du matin, avant le réveil des hommes, qui ne travaillaient pas le jour du jour de l'an. La lune était disparue; il ne faisait plus aussi clair qu'auparavant, et ce n'est pas sans crainte que je pris ma position à l'avant du canot, bien décidé à avoir l'oeil sur la route que nous allions suivre. Avant de nous enlever dans les airs, je me retournai et je dis à Baptiste :

--Attention, là, mon vieux! Pique tout droit sur la montagne de Montréal, aussitôt que tu pourras l'apercevoir.

--Je connais mon affaire, répondit Baptiste, et mêle-toi des tiennes!

Et avant que j'aie eu le temps de répliquer :

--Acabris! Acabras! Acabram!....Fais-nous voyager par-dessus les montagnes!

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Bien qu'il fût près de deux heures du matin, nous vîmes des groupes s'arrêter dans les rues pour nous regarder passer; mais nous filions si vite qu'en un clin d'oeil nous avions laissé loin derrière nous Montréal et ses faubourgs. Alors je commençai à compter les clochers: ceux de la Longue-Pointe, de la Pointe-aux-Trembles, de Repentigny, de Saint-Sulpice, et enfin les deux flèches argentées de Lavaltrie, qui dominaient le vert sommet des grands pins du domaine.

-Attention, vous autres! nous cria Baptiste. Nous allons atterrir à l'entrée du bois, dans le champ de mon parrain, Jean-Jean Gabriel, et nous nous rendrons ensuite à pied pour aller surprendre nos connaissances dans quelque fricot ou quelque danse du voisinage.

Qui fut dit fut fait; et cinq minutes plus tard, notre canot reposait dans un banc de neige, à l'entrée du bois de Jean-Jean Gabriel; et nous partîmes tous les huit à la file pour nous rendre au village. Ce n'était pas une mince besogne, car il y avait pas de chemin battu, et nous avions de la neige jusqu'au califourchon.

Baptiste, plus effronté que les autres, alla frapper à la porte de la maison de son parrain, où l'on apercevait encore de la lumière; mais il n'y trouva qu'une fille engagère qui lui annonça que les vieilles gens étaient à un snaque chez le père Robillard, mais que les farauds et les filles de la paroisse étaient presque tous rendus chez Batissette Augé, à la Petite-Misère, en bas de Contrecoeur, de l'autre côté du fleuve, où il y avait un rigodon du jour de l'an.

-Allons au rigodon chez Batissette Augé! nous dit Baptiste, on est certain d'y rencontrer nos blondes.

--Allons chez Batissette!

Et nous retournâmes au canot, tout en nous mettant naturellement en garde sur le danger qu'il y avait de prononcer certaines paroles, et de boire un coup de trop, car il fallait reprendre la route des chantiers et y arriver avant six heures du matin, sans quoi nous étions flambés comme des carcajous, et le diable nous emportait au fin fond des enfers.

-Acabris! Acabras! Acabram!....Fais-nous voyager par-dessus les montagnes! cria de nouveau Baptiste.

Et nous voilà embarqués tous ensemble pour la Petite-Misère, en naviguant en l'air comme des renégats que nous étions tous. En deux tours d'aviron, nous avions traversé le fleuve, et nous étions rendus chez Batissette Augé, dont la maison était tout illuminée. On entendait vaguement, au dehors les sons du violon et les éclats de rire des danseurs, dont on voyait les ombres se trémousser à travers les vitres couvertes de givre.

Nous cachâmes notre canot derrière les tas de bourdillons qui bordaient la rive, car la glace avait refoulé cette année-là.

--Maintenant, nous répéta Baptiste, pas de bêtises, les amis, et attention à vos paroles! Dansons comme des perdus, mais pas un seul verre de Molson ni de jamaïque, vous m'entendez! Et au premier signe suivez-moi tous, car il faudra repartir sans attirer l'attention.

Et nous allâmes frapper à la porte.


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