L'expression de "barbouilleur", datant du XVIè s, est entré dans le langage courant et attribué aux peintres italiens itinérants, terme véhiculé par les salons littéraires et des écrivains tels que
Voltaire,
Théophile Gautier ou
Prosper Mérimée. L'expression s'est alors généralisée pour qualifier péjorativement ces décorateurs d'églises, satisfaisant à "une clientèle de curé de campagne". On les appelait même parfois des barbares.
Durant tout le 18è siècle, des artistes italiens peintres, sculpteurs, menuisiers, quittaient leur ville natale par choix ou par nécessité, pour se rendre, souvent à pied, dans le Midi ou en Provence. Ils voyageaient souvent en petits groupes et proposaient leurs services de village en village. Les églises toulousaines regorgent de ce passé. Longue dynastie d'artisans (maçons, ouvriers agricoles, métayers) qui sillonnèrent l'Europe et la région du Tarn, depuis la Renaissance jusqu'à devenir un phénomène de masse à la fin du 19è s. Cette immigration était composée d'une élite d'ingénieurs, d'architectes ou de peintres. Certains se sont distingués et sont devenus populaires.
En fonction de leur connaissance en histoire de l'art, ils se qualifiaient eux-mêmes "peintre italien", "peintre en décor" ou "peintre d'histoire".
Leurs tâches étaient souvent peu valorisantes, mais ils étaient des artisans polyvalents. Leur foi indéfectible, leur assiduité aux offices religieux et leur réputation d'artistes travailleurs ont contribué à leur intégration, surtout dans les petites communes françaises difficiles d'accès. Il ne faut pas oublier que ces hommes pouvaient marcher 70 km par jour, traversaient les montagnes, les gorges, pour atteindre les villages les plus reculés, comme celui de Montirat, "le mont désolé" en occitan. Ils étaient accueillis par le curé de la paroisse qui les prenaient en charge, les logeaient, les nourrissaient, et aidait ainsi à les faire accepter par la population.
Les commandes étaient financées par les communes et il n'était pas rare que les curés apportaient une contribution financière supplémentaire. Ce pourquoi, ces artistes leur en étaient reconnaissants au point d'intégrer le visage de leur "bienfaiteur" dans les personnages peints.
Jacques Bosia (1788-1842) fut l'un de ces itinérants. Son histoire est mal connue. On sait qu'il était originaire d'Italie, sa culture a été partagée entre la France et son pays natal, entre l'art classique et l'art baroque. Il n'a pas fréquenté l'Académie des
Beaux-Arts, trop coûteuse, et a été formé dans des petits ateliers, très en vogue à l'époque en Italie (ce manque se percevra dans les défauts d'anatomie de ses personnages). Il a apporté les couleurs chaudes de son pays dans des églises austères, telles que l'église Saint-Jacques à Montirat, l'église de Labastide-de-Lévis ou celle de Lagarde-Viaur. Avant ces chantiers et l'oeuvre monumentale de Montirat, en 1834, il a participé à la restauration de fresques du XVIIe et de l'autel de la cathédrale d'Albi, en tant que décorateur et stucateur : tailler dans la pierre, dorure, maçonnerie, peinture à l'huile; bref petits travaux de retouche, petits boulots insuffisants pour nourrir la famille. Il quittera donc la ville d'Albi pour la région du Tarn.
C'est dans l'église de Montirat que Bosia arrivera à maturité dans son art. Autodidacte, il s'est inspiré des trompe-l'oeil de la cathédrale Sainte-Cécile à Albi et s'est nourri de ses voyages, de ses souvenirs, de ses observations.
Bosia s'est également attaqué à la peinture sur toile. On lui attribuerait sans certitude absolue, la réalisation de copies de la série de portraits "série des apôtres d'Albi". 11 toiles subsistent sur les 13, dont 2 attribuées à Georges de la Tour. D'après les experts et historiens, les 7 copies auraient été réalisées de la main d'une seule personne. Quelques détails, quelques indices, quelques signes distinctifs. Une représentation est donnée dans le livre. Personnellement, il m'est difficile de le penser, tant la copie est de qualité exceptionnelle.
Car Bosia fut avant tout un peintre de décor. L'harmonie des couleurs, l'utilisation des rideaux ouverts, guirlandes de fleurs ou de dentelles, la technique du trompe-l'oeil, le soin de la composition et de l'ornementation, les aplats rehaussés de cerne noir pour donner le relief, tout est là pour le spectacle. Bosia invite le spectateur au théâtre.
Pourtant Bosia n'a été ni compris ni apprécié. Avec ce mélange de classicisme français, de baroque italien, d'art florentin, il fut considéré comme un peintre "hors du siècle" et des modernités urbaines. Peintre jugé médiocre, tombé dans l'oubli, sauf pour les historiens d'Albi. C'est dans un souci d'instruction, par l'image, qu'ils transmettaient la parole chrétienne à une population rurale souvent analphabète. Bosia faisait partie de ces peintres passionnés qui, loin d'être des Poussin ou des Raphaël, transmettaient des émotions.
Ce livre n'est pas destiné uniquement aux étudiants, aux passionnés ou aux historiens, mais à tous, car l'art ouvre toujours les esprits, même quand il est approché par petites doses.
Sophie Duhem, historienne d'art, a fait un travail de recherche considérable et associé aux très belles photographies de
Jean-François Peiré, ce livre a été une belle découverte qui me restera en mémoire.
Grand merci à Babelio et aux éditions Presses Universitaires du Midi.
merci aussi à vous pour avoir été jusqu'au bout de ma critique :-)