Le coeur a ses (dé)raisons

Il faut avouer que je prenais beaucoup de plaisir à m’inventer ce passé, que je me construisais de toutes pièces jour après jour. Mais, parfois, je me laissais prendre à mon propre piège : ne me souvenant plus de tout ce que j’avais pu raconter ou écrire sous une inspiration soudaine, j’inventais d’autres choses qui pouvaient ne pas du tout coïncider avec ce que j’avais déjà dit avant, par exemple, je me retrouvais avec une sœur plus grande que moi, pour finir enfant unique trois semaines plus tard. Mais, le pire, c’est que je commençais moi aussi à ne plus m’y retrouver. Tous les matins, les différents parfums commençaient réellement à m’apporter des souvenirs, mais, était-ce les souvenances que je m’étais inventées ou de réelles réminiscences d’un passé qui resurgissait .

Tu as été l’homme des premières fois : premier amour, premier confident, premières tendresses, premières caresses. Mais aussi des premières larmes, des premières peurs, des premières souffrances, des premières absences. Je me souviens des frissons que j’ai ressentis quand ton visage s’est pour la première rapproché du mien, quand j’ai senti ton souffle vibrer sur ma peau, le contact de tes lèvres sucrées sur les miennes. Enfin, nous comprenions ce que ça voulait dire « être fait l’un pour l’autre ». Ma vie prenait un sens, la tienne aussi. Mais cela ne devait pas durer.

Tu disais que tu aimais tout chez moi : mon sourire, mon air parfois mutin, mes éclats de rire, mes pleurs, aussi. J’étais ton rayon de soleil, si tu savais comme tu illuminais ma vie. Nous avions très vite instauré nos petits rituels : tous les matins, tu m’attendais au pied de cet arbre, et nous poursuivions notre route ensemble jusqu’au lycée, puis, quelques mois plus tard, jusqu’à la gare et nous prenions ensemble le train pour aller à l’université.

Elle avait tapé, effacé, tapé, encore et encore, cherchant inlassablement le mot juste. Jamais la langue française ne lui avait paru si pauvre. Les mots n’étaient pas assez forts pour rendre compte de la force de ses sentiments, qu’ils soient bons ou mauvais. Pourtant, elle y était parvenue. Après une dizaine de jours, de longues réflexions, elle avait réussi à écrire quelque chose qui lui semblait juste. Elle sourit.

Il l’aimait, depuis longtemps déjà. Au fond d’elle, elle le savait. Il écrivait aussi qu’il serait toujours là pour elle, pour la protéger, qu’il ne voulait plus que leur chemin se sépare, mais qu’il respecterait ses souhaits. Elle pleura, encore.