♫ ♫ Y a plus d'espoir
Dans la nuit noire
Sur le quai de la gare
Dans le brouillard
Il faisait un froid de canard
Euh, les mecs j'ai plus de rimes en "ar"
C'est pas grave on continue la chanson
Chanson ♪ ♪ ♪
( Isabelle a les yeux bleus,
Les Inconnus, Bouleversifiant, 1991 )
Des rimes en "ar", il y en a pourtant bien davantage et ce n'est pas
Luca Tahtieazym ( renomme à l'occasion de cette nouvelle Luca Tahtiemachin par pure auto-dérision de son nom de plume ) qui me contredira.
"Gérard devait forcément se trouver à l'écart, près de la gare ou des remparts, loin des banlieusards furibards."
"Madame Claminard, il est tard et je veux bien croire que Gérard a loupé le rencard."
"Gérard, encore dans le coaltar, blafard malgré le café noir, le coeur au bord des lèvres, ne comprit pas réellement ce qui se passait."
Et je m'arrête là mais du début à la fin
Luca Tahtieazym s'amuse avec la langue française, avec ses rimes, ses quiproquos, ou encore sa façon de revisiter le célèbre "Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos tête" ( Racine ) avec une autre allitération en S à répéter dix fois d'affilée tout nu sous la douche sans reprendre son souffle :
"Que tu ressasses cette sinistre stupidité, soit. Mais cessons ces sottises, car t'assassiner c'est ce que souhaitent les gens d'ici."
Rempli de références musicales ( de
Florent Pagny à
Mireille Mathieu en passant par La Marseilleise, Balavoine, Ferrat ou Sardou ),
le marchand de sable fait cependant davantage penser par son thème à la comptine Mon ami Pierrot. Une comptine libertine et grivoise quand on y regarde de plus près, mais bon on parle bien de cannibalisme dans Il était un petit navire...
Auprès de la lune, Mon ami Pierrot ...
Prête moi ta plume, que je te l'enfonce dans le dos ...
Une berceuse pour s'endormir.
Sauf que dans le quartier de la Grosse Lune, et plus précisément dans la rue des Paresseux et l'avenue
Winston Churchill, tous les habitants sont désormais privés de nuit.
Winston Churchill n'a évidemment pas été choisi au hasard : Il faisait une sieste de deux heures tous les après-midis et a écrit "La nature n'a pas conçu l'humanité pour travailler de 8 h du matin jusqu'à minuit sans lui accorder ce moment récupérateur béni, même s'il ne dure que 20 minutes, c'est suffisant pour retrouver toutes ses forces vitales."
Aucune chansonnette, aucun somnifère ne pourra guérir ces nouveaux insomniaques.
"On veut - du sommeil ! On veut - du sommeil !"
Cette partie du monde dépend entièrement de Gérard, fonctionnaire du ministère du sommeil dirigé par Morphée, le fils d'Hypnos et de Nyx en personne.
"Les endormeurs étaient un corps de métier choyé par les huiles qui gouvernaient le pays."
C'est à lui qu'incombe quotidiennement de passer un peu de sable sur les yeux de ses administrés afin que ceux-ci puissent s'endormir à heure fixe du sommeil du juste.
Mais Gérard n'en peut plus de ce métier répétitif qui ne lui laisse aucun répit.
"C'est chaque jour ! Enfin, chaque soir... Toujours la même chose, le même refrain, le même parcours, les mêmes gestes..."
On a tous piqué du nez dans les moments les plus inappropriés. Dans le train alors qu'on arrive à destination, au bureau, lors d'une cérémonie religieuse. le cerveau nous dit de nous mettre sur pause mais on ne peut pas se le permettre alors on lutte pour ne surtout pas nous endormir mais ce sont des moment qui peuvent être très compliqués. On ferme nos petits yeux et on les rouvre dix secondes après. Et encore, et encore.
Eh bien ici, avec un marchand de sable en grève, c'est une foule furieuse qui va d'abord se manifester après qu'on les ait obligé à passer une première nuit blanche. En attendant que le besoin de dormir, impossible à concrétiser, ne prenne la relève.
"Plus personne ne pouvait se concentrer. La fatigue était partout, à chaque coin de rue, dans toutes les conversations."
Quelles seront les conséquences sur des habitants condamnés à l'éveil ?
Quelles sont les revendications de Gérard ?
Les partis opposés finiront-ils par trouver un accord pour que le royaume des songes puisse reprendre ses droits ?
Evidemment, avec une telle histoire, les problèmes d'insomnie que j'ai pu avoir récemment me sont revenus à l'esprit. M'endormir ne posait que peu de problème, et je ne suis pas sûr qu'une poignée de sable dans les yeux m'aurait beaucoup aidé de toute façon.
Pour ma part, je me réveillais au moins trois fois par nuit, je vadrouillais, je lisais, je regardais un épisode de série, je me recouchais et rebelote deux heures plus tard.
Et évidemment même si j'arrivais au travail frais et dispo, ça durait rarement longtemps et tout comme les résidents du quartier de la Grosse Lune je finissais régulièrement par une désagréable somnolence devant mon écran, que je retrouvais marqué d'une ligne ----------------------------------------- longue comme mon bras une ( ou dix ? ) minutes d'inconscience plus tard.
C'était une torture de ne pas pouvoir réellement m'assoupir en de telles circonstances, qui m'a valu quelques remontrances compréhensibles par ailleurs.
J'ai expliqué à mon chef de service que c'était la faute du marchand de sable qui ne passait plus. Je pense qu'il m'a cru.
Quoi qu'il en soit ça paraît derrière moi aujourd'hui, même si je me suis quand même levé une fois cette nuit pour terminer l'histoire concoctée par
Luca Tahtieazym.
Je ne vais pas crier au chef d'oeuvre, on est loin de la qualité d'un roman tel que
Ceux qui ne renonçaient pas, mais pour autant il s'agissait d'une fable moderne fort sympathique mêlant onirisme, devoirs du fonctionnaire et stupidité humaine. Un mélange assez détonant ! Et on garde le sourire autant grâce aux altercations entre personnages qu' à l'écriture souvent originale et au concept pour le moins inédit.
Même s'il m'en reste encore beaucoup à lire, c'était l'un des rares textes publiés de cet auteur que je n'avais pas et je remercie chaleureusement la personne qui me l'a procuré