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EAN : 9791036001543
192 pages
L’Atalante (24/08/2023)
3.62/5   73 notes
Résumé :
La paix n'est pas l'objectif. C'est la solution. 2098. Aureliano est las du XXIe siècle, ses famines, ses guerres. Sa communauté s'entre-tue, isolée entre la jungle colombienne et l'océan. Seule porte de sortie : une aide extérieure à migrer et se séparer. Le vieillard lance des appels radio comme des bouteilles à la mer et érige un mausolée idéal fait des déchets déposés par les vagues. Mais une rumeur parcourt le monde : certains continuent à oeuvrer pour la paix.... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (25) Voir plus Ajouter une critique
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Ici à Nantes, plus qu'ailleurs, la rentrée littéraire passe aussi, et surtout, rue des Vieilles Douves, par l'Atalante, cette splendide librairie d'édition de l'imaginaire.
Car même si "Le premier jour de paix" est un récit de science-fiction, un roman de genre, il devrait très vite en venir à bousculer les codes, à déborder les limites imposées à ce genre, et par le bouche à oreille, venir se placer parmi les belles découvertes de la rentrée littéraire 2023.
"Le premier jour de paix" est un roman de science-fiction écrit par Elisa Beiram, et paru aux éditions de l'Atalante.
Tout d'abord, le livre-objet est splendide.
L'illustration de sa couverture et de sa quatrième a été réalisée par Thomas Dambreville.
C'est une sorte d'écrin qui enserre le récit, et le sert.
C'est assez réussi pour le souligner, pour le préciser ...
Mais l'écriture d'Elisa Beiram, aussi, est splendide.
Elle est tissée de sensations, émaillée d'odeurs, de bruits et d'images.
Décrire des décors, brosser des portraits, déjà, n'est pas un art facile.
Mais ici, la vie traverse les paysages, anime les personnages.
Le roman est constituée de trois parties : "Vers le rivage", "Vers le monde" et "Vers les étoiles".
Tout y est question de la direction du regard porté.
Elisa Beiram a créé un monde qui, dès les premières pages tournées, déjà ne lui appartient plus, n'appartient plus qu'à ses personnages, à ses lectrices, à ses lecteurs.
Aureliano est un vieil excentrique qu'une obsession désuète et saugrenue empêche de sombrer en même temps que le tragique décompte des tueries qui l'entourent - ériger le plus beau des mausolées à l'aide de ce que la mer rejette sur la grève ...
Esfir est une émissaire - qu'un million d'entre eux essaiment ... pour qu'un milliard de plus apprennent* -, et c'est la paix qui traverse les territoires juchée sur une mobylette antique ...
América Pérez est négociatrice au siège de l'Organisation pour la Paix Universelle mais déjà son regard se porte vers les étoiles, vers un pacte galactique, vers Xà~Ög ...
Ces personnages parcourent un monde très crédible, un monde qui n'en finit pas de s'effilocher, qui paraît être encore le nôtre, sans pourtant ne l'être plus vraiment.
Le récit est intelligent et introspectif.
Les notions qui le traversent, parfois même très fugitivement au coin d'une phrase, sont de celles qui seraient de force à extirper le vieux monde de la fange où il s'est englué.
L'avénement de la paix n'est-il qu'un conte dichotomique pour petite fille ?
L'argent est-il vraiment suspect ?
La ville est-elle vraiment maudite, et la campagne édénique ?
La conquête de l'espace est-elle une si bonne idée ?
Est-ce sa couleur, résultat de ses exodes, qui caractérise le mieux ce monde nouveau ?
Sommes-nous tous responsables d'un bout à l'autre de la chaîne humaine ?
Est-il si difficile de vieillir en résistant à cette furieuse envie de devenir un vieux con ?
Ce livre est plein d'images étonnantes mais très belles et très évocatrices.
Et, en attendant "le premier jour de paix", la rentrée littéraire passe aussi, et surtout, rue des Vieilles Douves, par l'Atalante ...

(*ref "Lumières et fumées"- à paraître vers 2048 ... Bientôt sur Babelio !)
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Elisa Beiram a fait le choix d'un parti pris fort, dans ce futur qui s'annonce désastreux pour la planète. le premier jour de paix est celui de l'espoir, celui qui permettra à l'Homme de s'élever. Ou du moins essayer. En 2098, dans une ambiance pas loin d'être apocalyptique, où les sociétés telles que nous les connaissons, où les pays tels que nous les rencontrons, ont dû s'adapter aux rigueurs climatiques, l'autrice a l'audace d'y voir du positif et de l'espérance en la nature humaine.

Voilà bien le premier roman du genre que je lis à ainsi développer une idée que certains pourront trouver naïve : la paix est possible entre tous les hommes. Ce n'est même pas un objectif, mais bien la solution. C'est la pensée maîtresse du livre.

Loin d'être candide, l'écrivaine a réfléchi l'idée pour proposer une fiction aussi enrichissante que ludique. Parce qu'en plus, elle use d'un ton franchement décalé.

Autant aller au bout du concept. Ce n'est pas parce qu'on parle de sujets difficiles qu'il faut se prendre trop au sérieux ! Là aussi, le texte va à l'encontre de beaucoup de romans de la production de SF actuelle.

Le roman peut sembler très court, 150 pages, mais il se révèle d'une densité et d'une profondeur étonnantes en si peu de pages. Beiram jongle avec les idées à travers sa vision du futur, en équilibre instable sur un fil. Mais sans tomber dans le vide, tout comme cette Humanité obligée de revoir ses fondements pour survivre.

Elle bat en brèche bien des règles qui s'installent, pour proposer une voie médiane, à coups de scènes qui servent autant à développer des personnages que son argumentation. Je le répète, sans prise de tête.

Le livre débute avec un vieil homme qui se met à refuser la violence. Seul dans son coin, alors qu'il faisait lui aussi partie de ce système brutal par le passé. Perdu dans sa jungle, il croit être seul.

Ce n'est pas le cas, loin s'en faut, c'est même une sorte d'épidémie pacifique qui se propage dans les différentes strates d'un monde en train de s'unifier par la force des choses.

Suivront les pistes, les directions, suivies par d'autres personnages, rassembleurs. Comme cette émissaire qui réconcilie les gens sur le terrain, ou cette femme qui tente de faire signer un traité de paix à l'échelle mondiale. Ils ont tous leurs incertitudes, mais la même conviction.

Quitte à dépenser de l'énergie autant le faire pour faire la paix. Même dans un monde dévasté, où décider de se battre pour des idées plutôt que des ressources n'est pas l'évidence.

Avec force arguments, l'autrice déconstruit l'idée, qui se développe dangereusement actuellement, que l'on ne peut pas accueillir toute la misère du monde. le futur qu'elle imagine est passé au-dessus de ces considérations, gommant les frontières.

L'écrivaine balaye les chamailleries, pour mettre en lumière des personnages qui osent dire stop, dire non. En s'engageant. Même s'ils sont perclus de doutes.

Le roman va à rebours, refusant le fatalisme, osant l'espoir, et le décalage. Jusqu'à la manière de raconter cette histoire, jouant sur la rupture et osant même l'humour !

Un texte à lire les écoutilles grandes ouvertes, pour y croire. Posément, ce n'est pas le genre de livre à proposer des rebondissements trépidants, mais bien différents prismes, dont certains vont beaucoup surprendre. Tout comme la révélation finale.

Le premier jour de paix est un roman qui va à contre-courant d'un pessimisme ambiant. Il est peut-être trop tard pour éviter des cataclysmes climatiques, mais Elisa Beiram refuse de baisser les bras avec ce texte engagé et engageant.
Lien : https://gruznamur.com/2023/0..
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Quand on regarde les informations, difficile de se réjouir : l'Ukraine est toujours attaquée par son voisin belliqueux, la Russie de Vladimir Poutine ; en Afrique, les coups d'état se succèdent. Alors quand on tombe sur un roman intitulé le Premier jour de paix, on ne peut qu'être intrigué et agréablement surpris. Un peu d'optimisme dans ce monde dont on se demande comment il tient encore debout ? Eh bien oui, mais pas seulement.

Le constat d'ouverture du roman est bien dans l'air du temps : nous sommes foutus ! On ne va pas barguigner, lire de la SF récente est idéal pour tester son moral. Les auteurices sont à l'écoute du temps et les raisons de se réjouir ne font pas la une des journaux. Comme dans Parcourir la Terre disparue d'Erin Swan, Terra humanis de Fabien Cerutti ou Antarcticas d'Étienne Cunge, le futur décrit est particulièrement négatif, du moins au début : les êtres humains se sont réfugiés là où ils le pouvaient et tenter de continuer. Mais, et c'est là le constat désolant, malgré la difficulté de survivre, ils ne peuvent oublier leurs querelles, leurs haines. Et les morts s'enchainent.

On commence dans un petit village d'Amérique du Sud (qui ne s'appelle plus comme cela, mais nous y reviendrons plus tard), isolé par la forêt des autres villes et autres groupes humains. Aureliano, le personnage central de cette première partie, « Vers le rivage », se tient un peu à l'écart de ses concitoyens, au grand dam de sa fille qui le traite de lâche. Lui, quand il cesse de s'occuper d'une sculpture au bord de l'eau, un mausolée qui ne sait pas encore son nom, tient le décompte de la population de sa localité. Et cela diminue à la vitesse de l'éclair. Car, abandonnés à leur triste sort, les survivants n'ont d'autre pensée que régler les différents et les détestations par le meurtre. Constat accablant, désespérant.

Et survient la deuxième partie du roman, « Vers le monde ». On est loin de l'Amérique du Sud. D'ailleurs, progressivement, on découvre la nouvelle division officielle de la planète. Les pays ont fait place à de bien plus grands groupes, les GT. Les « Great Territories », les « Grands Territoires ». Ils ne sont plus que quatre qui tentent de gérer la pénurie. Et, encore, les anciennes querelles. En attendant, sur la planète, des volontaires circulent de ville en ville, de village en village, afin de tenter de gérer les conflits. Ces négociateurs et négociatrices risquent leur vie en se plaçant entre les ennemis, entre les différentes parties en présence. Ils écoutent et, par le dialogue, grâce à certaines techniques et leur expérience, ils parviennent parfois à éviter que les discussions ne s'enveniment, que la violence ne s'invite, avec son cortège de décès et de peine.

On suit donc Esfir dans cette deuxième partie du roman, une vieille routière. Enfin, pas si âgée que cela, mais les années portent davantage quand on fait ce « métier ». Et aussi à cette époque où on ne peut s'occuper de soi comme on le fait aujourd'hui. Elle rallie, comme elle le peut, ses théâtres d'opération, sous la chaleur extrême, rationnée en eau, car cette ressource est de plus en plus rare. En tout cas sous une forme douce et consommable. Et elle use de ses années de pratique pour empêcher deux groupes autrefois voisins d'en venir aux mains parce que l'eau vient à manquer ou parce que des conflits de génération ou d'égo dégénèrent.

Et on en arrive à la troisième partie, « Vers les étoiles », la plus longue. Comme un zoom arrière ou avant, selon le point de vue. C'est celle qui m'a surpris, cueilli. À tel point que pendant un moment, je n'ai su qu'en penser. Il m'a fallu quelques pages pour l'accepter, tant j'ai trouvé que le ton changeait. Mais ensuite, j'ai pu reprendre comme si de rien n'était. Je ne vais pas parler beaucoup de ce troisième protagoniste et je vais cacher le texte pour éviter le divulgâchage.

J'avais aimé Rêveur zéro, le premier roman d'Elisa Beiram. Son côté légèrement décalé, son histoire qui accroche par le côté. J'étais donc curieux de découvrir sa nouvelle oeuvre, un court roman, qui lui aussi m'a surpris dans sa construction et son contenu. Mais qui m'a bien plu par son optimiste tout sauf béat. On peut penser, bien sûr, à Becky Chambers (Un psaume pour les recyclés sauvages et Une prière pour les cimes timides). Mais ici, l'autrice s'est fortement documentée avant l'écriture et ancre davantage son récit dans le réel. Et cela se sent : le ton n'est pas angélique, pas manichéen pour deux sous. Ce qu'elle évoque est crédible (sauf peut-être la fameuse troisième partie) et offre un autre panorama de ce que pourrait être notre avenir. Une lecture riche et très agréable, vraiment prenante, qui nourrit encore ma réflexion.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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La science-fiction est toujours, peu importe l'espace-temps où elle situe son action, une littérature du présent. Et si vous êtes sceptiques devant cette assertion, parlons du second roman de la française Elisa Beiram paru cette année chez L'Atalante à l'occasion de la rentrée littéraire. Ce nom ne vous est certainement pas inconnu puisqu'Elisa Beiram est déjà l'autrice de Rêveur Zéro sorti en 2020 et qu'elle travaille en tant que scénariste/dialoguiste dans le monde du jeu vidéo.
Avec le premier jour de paix, elle explore ce qu'il reste de l'humanité en 2098…

Et autant le dire tout de suite, ce n'est pas des plus folichons.
Transfigurées par les catastrophes climatiques et les déplacements de populations, les nations d'hier se sont éteintes.
Ou plutôt, se sont fondues les unes dans les autres, poussées et repoussées par les multiples exodes consécutifs aux guerres et au climat.
Ainsi, les Jiti ressemble davantage à de grands conglomérats de la taille d'un continent qu'au états nations d'hier.
Mais avant de revenir sur ces mastodontes, Elisa Beiram saisit l'autre bout de la lorgnette pour la braquer sur Aureliano, un vieil homme d'une communauté colombienne qui se meurt à cause de ses conflits internes.
Bientôt, il découvre que des personnes s'échinent de par le monde à construire une paix nouvelle : ce sont les émissaires.
Biberonnés à l'irénologie — la science de la paix — ils parcourent le monde et tentent de résoudre les conflits, peu importe leur échelle.
Qu'il s'agisse d'un différent autour d'un cours d'eau ou d'une guerre entre communautés… jusqu'à la résolution de rivalités étatiques (ou ce qu'il en reste, comme on l'a dit plus haut). On suit trois émissaires dont Esfir et América Perez, entièrement dévouées à la cause. Une cause noble mais qui ronge et use tant la bêtise humaine semble sans fin.
Quand au troisième émissaire, disons qu'il sera pour le moins inattendu et plus… étranger.

Le premier jour de paix tente donc une science-fiction entre prospective géopolitique et utopie. Elisa Beiram y dresse en creux un portrait de notre époque qui court irrémédiablement à sa perte et contemple, presque fataliste, ce qu'il reste de notre société à la fin du siècle.
Si le lecteur arpente cette planète ravagée qui cherche une nouvelle voix pour demain, c'est aussi, et surtout, parce que les prévisions les plus sombres se sont déjà réalisées pour l'homme.
Surtout, Elisa Beiram tente de montrer que le conflit n'est jamais si simple qu'on le dit. Que le ressentiment, les différences générationnelles, les ressources et tous ces grains de sable dans la machinerie de l'entente cordiale jouent un rôle sur le genèse (puis la pérennité) du conflit.
Ainsi, le roman devient foncièrement malin et intéressant, tantôt naïf tantôt lucide, espérant envers et contre tout (et tous), explicitant les principes d'une paix positive pour construire ensemble dans une même direction. On y retrouve un ton optimiste et une certaine bienveillance envers le genre humain qui renvoie à Becky Chambers ainsi qu'une volonté de mettre en avant le témoignage des hommes et femmes de l'époque un peu à la manière d'un World War Z.
À mi-parcours, l'autrice s'enfonce encore davantage dans le registre science-fictif et élargit encore et toujours la question de la paix.
Ce qui s'avère aussi déstabilisateur pour le récit que surprenant. S'il fallait déjà accepté la nouvelle donne géopolitique qui paraît bien « utopique », il faut en plus faire un second saut de foi pour croire aux nouveaux personnages qui interviennent dans un récit jusque là le plus terre à terre possible. La bascule entre l'envie de réalisme et la science-fiction la plus exotique aura de quoi laisser perplexe certains lecteurs.
Sans en dire trop, disons simplement que toute la partie consacré à Xa~Ög arrive comme un cheveu sur la souple et enlève l'intéressante réflexion sur la capacité de l'humanité à changer d'elle-même. On peut comprendre les objectifs d'Elisa Beiram, notamment dans sa volonté de montrer les différentes échelles de conflits et d'enjeux, mais tout cela semble en fort décalage avec ce qu'on a lu auparavant. Reste tout de même une fin de récit particulièrement intéressante sur ce que la paix et tous les efforts pour l'atteindre peut drainer d'énergie à ses émissaires.
Comme si le messager devait souffrir et se sacrifier pour le bien commun.
Cela suffira-t-il pour qu'une paix durable soit possible ?
Voilà bien toute la question…

Le premier jour de paix est un intéressant roman sur l'application de la paix et les raisons de la guerre. Même s'il aurait gagné à rester réaliste jusqu'au bout, le récit d'Elisa Beiram captive et donne à réfléchir sur comment nous voulons construire demain, le tout avec un optimisme qui change des lugubres avenirs qui nous sont promis habituellement.

Lien : https://justaword.fr/le-prem..
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Dans une terre ravagée par les guerres, les humains continuent à s'écharper.
Des émissaires (bien aidés par celleux que je ne dévoilerait pas) tentent douloureusement de faire advenir la Paix. Nous en suivons quelques unes sur les chemins du monde, allant à la rencontre de communautés tentées par le bellicisme.
Mais "la paix n'est pas l'objectif, c'est la solution".
Ce livre représente en partie la non-violence et la solution pacifique des conflits cependant il m'a semblé guère plausible et un peu "tarabistoqué".
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critiques presse (1)
LeMonde
06 octobre 2023
Le deuxième roman d’Elisa Beiram a tout, derrière sa noirceur initiale, pour surprendre et enchanter.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
Grattez délicatement la surface et laissez les émotions, les acteurs, les enjeux se dévoiler. Un conflit n’est jamais simple, surtout lorsqu’il en a l’air.
— Il me semble que cette pénurie d’eau touche tous les habitants, tu ne crois pas ?
Generoso partit à grandes enjambées vers la porte et fit sonner une cloche, trois fois, après quoi il revint s’asseoir à la table.
— Est-ce que tu détestes vraiment Divine ?
— Pas plus qu’un autre. Je sais qu’au fond nous sommes pareils, que nous avons les mêmes besoins. C’est ça, le problème. Nous avons tous les mêmes fichus besoins.
— Quand le point de non-retour a-t-il été franchi ?
— Quand ils ont attaqué le figuier pour trouver sa source d’approvisionnement. C’était il y a environ un mois.
— Qu’est-ce qui aurait pu être fait, à ce moment-là ?
— Laisser ce maudit figuier tranquille ?
Quelques habitants s’étaient glissés sans bruit dans la maison, formant un arc de cercle respectueux autour de la table. L’une d’entre eux, la première, avait osé libérer la parole.
— On aurait pu partager les figues, aussi. Même en conserve, elles contiennent un peu d’eau.
— Ils n’avaient que des aliments secs, et on le savait. Normal qu’ils soient devenus fous.
— On aurait même pu partager un peu de nos réserves. On avait encore un fond de cuve, à l’époque.
— Et surtout, on aurait pu dépenser notre énergie à chercher de l’eau ensemble, au lieu de la gaspiller à se tirer dans les pattes.
— Sur ce point, les habitants du village d’à côté sont d’accord avec vous.
— Mais c’est trop tard.
— Ils nous ont causé trop de tort.
— Nous nous sommes causé trop de tort, mutuellement.
— C’est surtout l’œuvre de Divine.
— Generoso, ne remets pas ça sur la table.
— C’est de sa faute. Si les jeunes étaient restés…
— Ton fils n’a pas aveuglément suivi Mina, et même si c’était le cas, Divine n’y serait pour rien. Il a fait son choix. On a tous eu le choix.
— Oui, et Divine souffre tout autant que toi du départ de sa fille.
— Ils avaient peut-être raison de partir, les jeunes…
— Là-bas, en ville, il paraît que la civilisation se reconstruit.
Esfir fouillait tranquillement dans sa sacoche, laissant la conversation se dérouler d’elle-même. C’était comme ça, le plus souvent, il n’y avait rien à faire. La seule présence de l’émissaire, n’importe quel émissaire, suffisait à délier les langues, à calmer les plus dominateurs, à révéler les véritables enjeux. Esfir n’était que ça : un bâton de parole.
Et puis… Et puis, un petit peu plus que ça, aussi. Constatant que la discussion s’essoufflait, elle sortit de son sac à dos un fin rouleau, qu’elle ouvrit et déploya sur la grande table en bois. L’écran était fissuré de toute part et une large entaille irrégulière le déchirait en son centre, mais quand Esfir l’alluma, on distingua immédiatement l’image qui s’affichait sur l’interface. Des nervures de couleur sillonnaient un bout de carte, semblables aux réseaux racinaires des forêts, à l’arborescence des bronches irriguant les poumons, en bref, à un système d’alimentation vital. Un petit sifflement d’admiration accompagna le soudain éclat de lumière dans la pénombre forcée de l’après-midi. C’était autant destiné à l’outil qu’à ce qu’il contenait.
— Une carte des cours d’eau…
Assortis des dernières nappes phréatiques connues, pour l’heure invisibles sur l’interface. Autant dire, un bien extrêmement précieux. Esfir étudia l’artefact pendant plusieurs minutes, posant des questions sur l’emplacement de tel point de repère, l’historique de tel ruisseau, l’existence de tel ou tel foyer de populations. Avant de rendre son verdict.
— La mauvaise nouvelle, c’est que votre cours d’eau principal n’est pas censé être saisonnier, ce qui veut dire que la source en amont s’assèche. En revanche, la zone regorgeait de ruisseaux, avec une couche aquifère très importante. Il doit en rester quelque chose.
— On a ratissé large sur tout le périmètre autour de la commune, on n’a rien trouvé que des vestiges.
— Vous sauriez m’indiquer les lieux que vous avez déjà prospectés sur la carte ?
— Mieux, on peut te les montrer.
— Nous irons demain, à l’heure tiède.
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Aux frontières du village, un singe venait une nouvelle fois de faire des siennes en subtilisant un plat laissé à tiédir sans surveillance sur un rebord de fenêtre. On entendait hurler et s’entrechoquer des casseroles, ce qui terrorisait les oiseaux dispersés en nuées désordonnées. Pas les macaques, cependant, qui étaient trop occupés à ricaner et se repaître de leur méfait. On ne voyait pas les coupables, mais on les devinait aux agitations vertes qui se répercutaient de branche en branche. Il y avait davantage d’excitation que la normale sous le couvert des arbres, une chaleur plus humide que les autres jours. On attendait un orage – un petit, car la saison des tempêtes avait déjà fait ses démonstrations annuelles. Du moins, c’était à espérer. Malmenée par des courants ombrageux, la chape hésitait encore à s’installer tout à fait au-dessus des toits de tôle. Cela laissait quelques heures avant le déluge, même si les habitants, dans la torpeur de midi, ne semblaient guère vouloir en profiter. Les cris d’outrage apaisés, il régnait un silence tranquille de fumées et de cliquetis familiers, un tapis réconfortant pour l’oreille.
Au-delà, c’était un autre silence, celui de la jungle, trop-plein de bruissements sauvages, de gazouillis douteux, de coups de vent pareils à des rugissements, et surtout, d’une attention muette et sournoise constamment portée sur le huis clos du village. De toute part, on était enserré par ses griffes. « Encore un coup du jaguar ! », dirait-on demain, au matin, dès qu’on aurait remarqué la disparition d’un membre de la communauté. Il avait bon dos, le jaguar, lui qui s’était éteint, en captivité, plus de quarante ans auparavant. Mieux valait accuser les singes, qui eux étaient réels, quoique seulement chapardeurs. Mais non, accuser le jaguar était plus commode… De qui se moquait-on ? Pour la dernière cité de Colombie encore debout, on aurait pu espérer un peu plus de tenue. Mais chaque jour se traînait dans la mangrove de l’hypocrisie.
Qui s’en souciait ? Aureliano était peut-être le dernier homme à regretter la couleur, la saveur, le souvenir de son pays. Ç’avait été la Colombie. Maintenant il n’y avait soi-disant plus de Colombie, plus de nations, seulement des Grands Territoires, que tout le monde surnommait « Jitis ».

(INCIPIT)
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Au delà, c'était un autre silence, celui de la jungle, trop-plein de bruissements sauvages, de gazouillis douteux, de coups de vent pareils à des rugissements, et surtout, d'une attention muette et sournoise constamment portée sur le huis clos du village.
De toute part, on était enserré par ses griffes.
"Encore un coup du jaguar !", dirait-on demain, au matin, dès qu'on aurait remarqué la disparition d'un membre de la communauté.
Il avait bon dos, le jaguar, lui qui s'était éteint, en captivité, plus de quarante ans auparavant ...
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Les villes sont une erreur que nous avons répétée trop de fois. Une aberration en matière d'acheminement et de consommation des ressources, et une déshumanisation des contacts. Tu sais que les groupes perdent en efficience au-delà de cinquante individus. Les relations de confiance se tarissent, la communication interindividuelle baisse, et le ciment de la communauté s'effrite.
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Ne le prends pas mal, mais qui sont ces hurluberlus qui veulent à tout prix faire la paix, résoudre tous les maux de la Terre, réparer les pots cassés en mille morceaux ? Nous, les humains, on est une espèce damnée et condamnée, abandonnée de tous les dieux. On a montré de quoi on était capables, on a montré qu’on ne valait rien, et qu’on méritait tout l’enfer qui nous consume.
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En 1999, Edgar Morin listait sept items pour fonder l'éducation du futur. Ils conduisent à prendre conscience des cécités de la connaissance, à affronter la complexité et les incertitudes, à reconnaître l'unité comme la diversité humaines et à réaliser une citoyenneté terrienne. Est-ce cela que nous apprendrons demain ? Et un savoir pertinent ici et aujourd'hui, l'est-il toujours ailleurs et demain ? Et si la fiction était la piste d'apprentissage idéale ?
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