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Mikaël Cabon (Traducteur)
EAN : 9791036001475
128 pages
L’Atalante (11/05/2023)
4.11/5   68 notes
Résumé :
Des tigresses métamorphes amatrices de poésie, des mammouths de guerre aussi impressionnants que placides, une jeune lettrée tiraillée entre son cœur et sa raison, fantômes, goules et esprits-renards à l’affût, aventures baroques et amours libres...

Dans cette aventure de l’adelphe Chih, Nghi Vo nous convie à un étonnant voyage, inspirée tant par les contes et la poésie de l’Asie du Sud-Est que par les combats sociaux qui l’animent. Aucun carcan ici, ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (20) Voir plus Ajouter une critique
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L'adelphe Chih, de l'abbaye des Collines-Chantantes, poursuit son périple à la recherche d'histoires à consigner dans les archives de son ordre. Abandonné pour un temps par sa neixin occupée à couver sa nichée, iel se doit de demander de l'aide afin de franchir un col enneigé. Iel s'avance donc sur des routes peu sures, escorté par Si-yu et son mammouth, Piluk. Jusqu'à ce qu'ils tombent sur un trio de tigres affamés.

Dans ce monde aux tons asiatiques mâtiné de fantastique, les tigresses peuvent se transformer en humaines et ne rechignent pas à discuter avec leurs proies. Avant de les dévorer. Car nous ne sommes pas chez Walt Disney. Les animaux sont cruels. Ils tuent par nécessité, mais aussi par goût. Ces gros félins aiment la bonne chère avec délectation et savent en apprécier la saveur. Mais quand un humain leur cause souci ou les agace, ils n'hésitent pas à s'en débarrasser d'un coup de dent sec et précis. D'où leur réputation de prédateur bien justifiée. Aussi, quand Chih et Si-yu, en fin de journée, sont poursuivis par le trio, ils savent que leur dernière heure est proche. Ils parviennent à se réfugier dans une grange. Mais rien n'est joué, car les renforts sont loin et ne devraient de toute façon pas arriver avant le lendemain. Heureusement, la jurisprudence Shéhérazade a encore frappé ! Les tigres (tigresses devrais-je dire, car ce sont des soeurs) aiment les histoires. Et, surtout, la vérité. Enfin, leur vision de la vérité.

Or, Chih évoque Dieu (oui, oui, c'est son nom), une femme célèbre pour sa relation forte et son mariage avec la tigresse Ho Thi Thao. le trio de félins ne résiste pas à l'envie de découvrir la version archivée dans la mémoire de l'abbaye des Collines-Chantantes. Et de savoir si elle correspond à ce qu'elles en savent. On s'en doute, les divergences seront nombreuses, donnant lieu à de savoureux récits et contre-récits. Les uns à la gloire des humains, les autres des tigres. Et, même si ce n'est pas le but premier de cette novella que de s'interroger sur la véracité des faits et leur transformation selon les intérêts et le temps qui passe, on ne peut s'empêcher d'y songer à la lecture de ces pages. Si l'on pense à la période de la Rome antique et à sa réécriture permanente de l'histoire. Ne serait-ce que la défaite d'Hannibal : qui en a écrit le déroulement, si ce ne sont les vainqueurs eux-mêmes, les Romains, qui n'hésitent pas à décrire leurs ennemis comme des barbares tueurs d'enfants ? Et Jules César, qui se donne le beau rôle dans la Guerre des Gaules, dont on sait bien à présent qu'elle est truffée de contre-vérités et d'imprécisions. Deux exemples parmi des milliers. Lointains alors qu'on en trouve de bien plus proches, tant sur le plan géographique que temporel. Surtout aujourd'hui, où les moyens de propager des informations se sont amplifiés à un point tel que c'en est vertigineux.

Ce qui ressort aussi de ce récit, et avant tout même, c'est une impression de calme et de tranquillité. La vie de Chih semble bien menacée puisqu'iel risque de se faire dévorer par trois tigresses puissantes et sans pitié. Mais la lecture de Quand la tigresse descendit de la montagne n'inquiète pas. Comme dans les petits livres de Becky Chambers publiés chez le même éditeur, l'Atalante (Un psaume pour les recyclés sauvages et Une prière pour les cimes timides), en tant que lecteurice, on ne se sent pas en danger. Les aventures du personnage principal nous concernent, mais elles restent sans réel danger. Ce qui compte, c'est l'aventure intellectuelle. Pas d'objets et leurs histoires, comme dans L'impératrice du sel et de la fortune. Ici, on assiste avec ravissement à un duel d'histoires. le passé légendaire et fantasmé d'une Asie de contes s'ouvre à nous, empli de ce qu'on attend à trouver dans un tel contexte, mais aussi de découvertes. Rien de déstabilisant donc, mais, pour autant, pas d'ennui. Au contraire, du confort. L'autrice a trouvé un rythme de narration idéal, alternant les dialogues humains-tigresses et les bribes de contes. On se croirait par moments, quoique de façon très éloignée, dans le Décaméron de Boccace ou l'Heptaméron de Marguerite de Navarre : des histoires imbriquées dans une histoire de base. Et on ressort apaisé de ce voyage.

Troisième tome en vue chez l'Atalante, en V.F. : Entre les méandres est annoncé pour septembre prochain. Si on ajoute que le cinquième tome est en vue, lui, de l'autre côté de l'Atlantique, en V.O., cela fait deux bonnes nouvelles. Si l'autrice maintient ce cap et cette qualité d'écriture. Car ces Archives des Collines-Chantantes brillent par leur poésie et leur puissance évocatrice. En quelques mots, on est plongé dans l'univers de Nghi Vo et on s'y sent tellement bien qu'on a du mal à le quitter. J'attends le prochain opus avec assurance et patience.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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Après « L'impératrice du sel et de la fortune », les éditions L'Atalante continuent d'explorer l'univers de Nghi Vo et de sa série « Les archives des Collines-Chantantes » avec une deuxième novella qui se déroule dans le même univers et met à nouveau en scène l'adelphe Chih. Membre d'un ordre d'archivistes chargés de compulser tout le savoir du monde, ce dernier (ou cette dernière, puisque son genre nous demeure inconnu, l'adelphe se définissant tour à tour au masculin ou au féminin) entreprend de traverser des montagnes avec pour seule guide une jeune femme montée sur un mammouth. Mais le voyage ne se déroule pas comme prévu, les deux compagnons se retrouvant un soir nez à nez avec trois tigresses. Des félins pas tout à fait comme les autres puisque, outre le fait qu'ils peuvent se métamorphoser en femmes, il se trouve qu'ils sont aussi doués de paroles. Afin de gagner du temps avant l'arrivée de potentiels secours, l'adelphe va se lancer dans le récit de l'histoire de Ho Thi Thao, une tigresse renommée, et de Dieu, une jeune femme qui croisa sa route et dont elle tomba éperdument amoureuse. Tout comme dans la précédente nouvelle de l'autrice, le texte se compose de récits imbriqués et confronte plusieurs versions d'un même événement. Les trois tigresses ont en effet bien des choses à redire à la version de l'histoire telle que retenue par les humains, aussi le récit est-il rythmé selon un régulier va-et-vient à mesure que les tigresses reviennent sur une scène pour ajouter certains détails, ou même en modifient totalement le déroulement. On retrouve ici une partie du charme de « L'impératrice du sel et de la fortune » : le récit prend rapidement des allures de conte et met en scène des humains confrontés à des forces ou des créatures surnaturelles difficiles à cerner et donc imprévisibles.

La plume de l'autrice est agréable et non dénuée d'une poésie qui renforce l'impression de parenthèse enchantée. La construction narrative est ici ingénieuse, car elle permet de mêler étroitement le récit passé de la tigresse Ho Thi Thao tout en continuant à évoquer le présent et la situation périlleuse de l'adelphe et de son guide. Comme dans le précédent texte, aussi, on retrouve la même violence insidieuse qu'on ne perçoit pas immédiatement car elle est occultée dans un premier temps par les formes que mettent les personnages pour s'adresser les uns aux autres ou par le respect qu'ils portent à certains traditions. L'univers de Nghi Vo n'est ainsi pas dénué de cruauté, et le récit de cette tigresse insatiable en appétit comme en amour en est la preuve. J'ai toutefois quelques réserves concernant cette deuxième nouvelle que j'ai trouvé moins profonde que la première qui avait également le mérite de nous immerger un peu dans des intrigues politiques qui permettaient de mieux cerner le monde dans lequel évoluent les personnages de cette série. Ici, on a finalement peu d'indices sur cet univers : ni repère géographique, ni éléments de compréhension sur l'existence de ces animaux étranges qui peuplent les montagnes, qu'ils soient mammouths ou tigresses. On ressort ainsi de la lecture un peu frustré, avec l'idée que cette nouvelle à elle-seule ne permet pas d'appréhender pleinement la qualité de l'oeuvre de l'auteur, et qu'il aurait sans doute mieux valu l'intégrer à un recueil. L'idée d'un format « novella », un peu à la manière du Bélial, est intéressant, mais, autant cela fonctionnait à merveille avec les textes de Phenderson Djeli Clark, autant les histoires de Nghi Vo ne se suffisent à mon sens pas tout à fait à elles-mêmes pour constituer des publications indépendantes.

Deuxième incursion dans l'univers des « Archives des Collines-Chantantes », « Quand la tigresse descendit de la montagne » est un joli conte narrant la rencontre entre un/une archiviste et un trio de tigresses métamorphes avec lesquelles iel va se lancer dans le récit d'un épisode de la vie d'une de leur plus emblématique souveraine. Bien que poétique et intéressante par sa construction, la novella peine toutefois à satisfaire complètement la satiété du lecteur qui aurait souhaité davantage de contextualisation pour mieux cerner l'univers de l'autrice et ses spécificités. Mais peut-être que « Entres les méandres », dont la parution est prévue pour la fin de l'année, remédiera à cet écueil.
Lien : https://lebibliocosme.fr/202..
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Suite des aventures de Chih, l'archiviste qui consigne les faits du passé pour en révéler une certaine vérité. Alors qu'il est en périple, ses pas l'emmène vers trois tigresses métamorphes. Sa survie ne tient qu'à un fil. Comment ? En consignant la version réelle - selon les tigresses - d'une légende parlant d'une romance entre une humaine et une tigresse dans le passé.

Cette aventure-ci prend vraiment des allures de conte. On trouve aussi l'idée d'une légende orale qui se déforme avec le temps mais aussi le parti-pris des conteurs qui influence le contenu de ladite légende.

Le format conte fait que j'ai été bien moins frustrée qu'avec le premier tome. Pour autant, même si j'ai été moins frustrée, l'histoire m'a moins séduite. J'ai préféré l'aspect fantasy politique du premier tome. Même si je reconnais encore une fois la poésie qui émane du récit, à laquelle la couverture correspond complètement. On retrouve cette ambiance asiatique si particulière et le/la protagoniste, encore toujours en retrait, reste très attachant.e.

Je suis assez curieuse de découvrir les nouvelles aventures de Chih pour acquérir la prochaine novella qui sortira très prochainement.
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Si j'avais eu quelques difficultés à entrer dans le premier tome, découvrant son univers et le personnage de l'adelphe Chih, pour le deuxième, ce fut un jeu d'enfant.

Nous retrouvons donc Chih de l'abbaye des Collines-Chantantes et iel est en voyage à dos de mammouth (qui n'écrase aucun prix).

Chih a dû demander de l'aide à Si-yu et son mammouth, Piluk afin de franchir un col enneigé. Bison Futé n'a pas annoncé de problèmes.

Et là, bardaf, nos deux personnages croisent la route de trois tigresses affamées, qui, tel Shere Khan, sont douées de paroles et même capable de prendre forme humaine ! Réfugiés dans une grange, sous la garde de Piluk, Chih va la jouer comme Shéhérazade et narrer le récit d'une tigresse chère aux yeux de notre trio de félins affamés.

Quel suspense et quelle histoire ! Tout comme les tigresses, je me suis installée plus confortablement pour écouter le récit fait par Chih, sur la tigresse Ho Thi Thao et de sa rencontre avec une lettrée prénommée Dieu (on a le nom qu'on a).

Mais la version archivée dans la mémoire de Chih (qui est celle des Collines chantantes) comporte des fautes que les tigresses se feront un félin plaisir de mettre en évidence, ce qui donnera lui à des contre récits bien différents. Chacun écrivant SA vérité, selon qu'il soit tigre, ou humain.

Comme dans la vie réelle où la vérité est écrite par les vainqueurs, au détriment de la réalité. Propagande, mensonges… Quand on ne veut pas que la vérité exacte soit connue (et parfois, on ne la connait même pas), on change un peu le récit et on gomme ce qui nous gêne.

Cette lecture fut un réel plaisir, j'avais l'impression d'être au coin du feu (j'y étais, ce mois d'avril 2024 n'est pas chaud) et d'écouter une histoire, tranquillement, en sirotant une boisson chaude, le tout dans le calme absolu, alors qu'il y a trois tigresses prêtes à nous dévorer.

Alternant le conte et les dialogues entre nos protagonistes et les tigresses, l'autrice a réussi à nous donner un récit qui nous tient en haleine, dont on veut connaître la suite et à transformer une nuit oppressante en nuit tranquille, malgré les dents brillantes des tigresses métamorphes.

Un récit de fantasy asiatique qui m'a tenu en haleine, que j'ai lu d'une traite, savourant la plume de l'autrice, son univers, ses personnages et ses animaux qu'elle met très bien en scène.

Je poursuivrai avec les deux autres tomes prochainement.

Lien : https://thecanniballecteur.w..
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On retrouve l'adelphe Chih, à nouveau, sur les routes en quête de nouvelles histoires à consigner. Pour ce voyage, elle a rejoint la compagnie de Si-yu et de ses mammouths royaux qui servent ici de montures. Un jour, elles sont pourchassées par trois tigres qui les acculent dans une grange. Or, derrière cette apparence se dissimulent trois femmes qui ont bien envie de les dévorer. Sauf que Chih a l'idée de leur raconter une histoire afin de gagner du temps. C'est ainsi que l'adelphe choisit de conter le fabuleux destin de Ho Thi Thao et d'une mystérieuse lettrée. Mais est-ce que cela sera suffisant pour leur sauver la mise ?

Avec Quand la tigresse descendit de la montagne, Nghi Vo nous offre à nouveau un récit peuplé de mythes et de créatures fantasmagoriques qui prennent vie sous sa plume pour envoûter les lecteurs. Plus familier de la mythologie grecque ou de la geste arthurienne, c'est très agréable de se laisser bercer par d'autres influences qui donnent à cette fantasy son caractère dépaysant.

Nghi Vo s'inspire ainsi de mythes d'Asie du Sud-Est, notamment à travers la symbolique du tigre qui est considéré comme un animal ambivalent, associé aux esprits et qui, allégoriquement, vit à la lisière entre la civilisation et le monde sauvage. Dans la culture javanaise existe la légende du tigre-garou faisant référence soit à la réincarnation d'un aristocrate décédé en exil dans la forêt de Lodogo, soit à un shaman transformé. En tout cas, la personnification du tigre est intimement lié à la royauté. C'est pourquoi, on la retrouve aussi bien ici sous les traits de la reine des Dos-de-Sangliers, Ho Sinh Loan et de ses soeurs Sinh Hoa et Sinh Cam que sous ceux de la légendaire prêtresse Ho Thi Thao.

Au fil des pages, les rencontres oniriques se succèdent et se teintent parfois de notes horrifiques. L'Asie bruisse de fantômes, de revenants, d'esprits et de démons. Ils sont autant vénérés que craints. Leur rapport à la mort n'est pas le même qu'en Occident. Ainsi, il existe une tradition qui consiste à ne pas laisser un défunt partir seul pour l'éternité en lui trouvant un conjoint fantôme ou vivant. Or, l'autrice va clairement puiser dans ce rite pour mettre en difficulté l'une de ses protagonistes et susciter un certain effroi chez les lecteurs.

Ce récit se colore d'un puissant ésotérisme qui fait naître moult émotions allant de la fascination à l'épouvante.

Avec toute la sensibilité qui la caractérise, Nghi Vo brosse le portrait d'héroïnes fortes et indépendantes qui, grâce à une volonté farouche, se libèrent des chaînes de la tradition, notamment des unions arrangées, et peuvent, ainsi, vivre pleinement leurs passions. Ignorant les difficultés et surmontant les obstacles, les voici qui assument leur féminité et revendiquent leurs sentiments.

Le texte est beau et tout en poésie car tel est le moyen d'expression choisi par Nghi Vo.

Lire ce roman est finalement le gage d'une lecture hors du temps, d'un moment suspendu... suite sur Fantasy à la Carte.




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critiques presse (1)
Elbakin.net
22 mai 2023
Avec Quand la tigresse descendit de la montagne, on retrouve le monde délicat des Archives des Collines-Chantantes de Nghi Vo.
Lire la critique sur le site : Elbakin.net
Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
La tigresse s’étendit par terre à l’entrée de la grange, aussi à l’aise qu’une reine en son palais. Au bout d’un moment, ses deux sœurs s’allongèrent de part et d’autre et elle s’étira entre elles en calant ses pieds contre le ventre de l’une tandis qu’elle passait un bras autour du cou de l’autre.
« Je suis Ho Sinh Loan. Voici mes sœurs Sinh Hoa et Sinh Cam. Je suis la reine des Dos-de-Sangliers et des contreforts de la montagne Verte. Dites-moi comment vous vous appelez. »
Le peuple de Si-yu ne nommait pas Dos-de-Sangliers les présents reliefs, mais ce n’était pas la première fois que Chih avait affaire à une toponymie divergente. Si elle comprenait bien, la tigresse revendiquait l’ensemble de la chaîne montagneuse et la majorité du territoire que l’on désignait dans le Nord sous le nom d’Ogaï. Les Ogaïens seraient stupéfaits de se découvrir sujets d’une tigresse, mais ce n’était pas comme si elle exigeait d’eux taxes et soldats.
« Votre Majesté, je suis Si-yu, fille de Ha-lan, descendante de la Grue d’Isai. Voici Piluk, de Kiean, elle-même de Lotuk. »
La tigresse opina et tourna vers Chih un regard attentif.
« Madame, je suis l’adelphe Chih de l’abbaye des Collines-Chantantes. Je suis ici…
— Pour servir de dîner, je crois, l’interrompit la tigresse avec chaleur. Vous le constituerez tous les trois. Le mammouth peut rentrer chez lui s’il le désire.
— Le mammouth… commença Si-yu avec colère, mais Chih lui assena un coup de coude et elle finit par se taire.
— Nos lois nous l’interdisent, je le crains, répéta Chih. Madame, j’ai fait tout ce chemin vers le nord pour entendre vos récits et glorifier votre nom.
— Ce ne sont là que viles flatteries, adelphe, rétorqua la tigresse. Elles n’ont rien de bien savoureux et n’ont jamais suffi à remplir un estomac.
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Chih poussa un cri quand Si-yu sauta du dos de son mammouth la tête la première vers la chaussée, où elle allait s’éclater la cervelle. C’est alors que l’archiviste remarqua la semelle de l’éclaireuse, toujours sous ses yeux, et le reste qui pendait le long du flanc de l’animal. Le pied de Si-yu était pris dans l’une des lanières fixées à la selle, replié tel un crochet pour la retenir.
Le temps suspendit son vol et l’expérience de Chih lui fit remarquer les coutures des bottes de Si-yu, réalisées avec des tendons d’une teinte verte fanée. En se penchant, elle vit que l’éclaireuse avait attrapé au vol l’homme étendu à terre et s’y cramponnait du mieux qu’elle pouvait tout en criant un ordre à Piluk. Le mammouth tourna vivement la tête, sa trompe vola en arrière et Chih tressaillit quand le lourd appendice entra en contact avec la cavalière. Un instant, l’adelphe crut que Si-yu et son fardeau avaient été propulsés au loin sous la violence du choc, mais il comprit bientôt que celui-ci avait au contraire aidé l’éclaireuse à se remettre en selle tout en soulevant l’homme, terriblement immobile.
« Attrape-le ! glapit Si-yu. Adelphe, aide-moi ! »
L’appel au secours arracha l’archiviste à son hébétude. Elle aida l’éclaireuse à hisser son fardeau, d’une légèreté surprenante, qui tenait moins de l’homme que du fagot de brindilles sous sa toison. Au bout du compte, il se retrouva étendu à plat ventre sur les genoux de Chih. La corne de la selle lui aurait douloureusement meurtri l’abdomen s’il avait été conscient, mais il ne l’était pas. Si-yu, quant à elle, s’employait à diriger vers la grange son mammouth, qui continuait sa course dans un grand barrissement.
Chih sentait Piluk trembler et cahoter sous lui, et il grimaça quand le mammouth jeta la tête d’un côté puis de l’autre pour affronter les rugissements qui inondaient le crépuscule. Elle avait mal aux doigts à force d’agripper l’homme qu’avait secouru Si-yu, mais elle tint bon. Il ne fallait surtout pas tomber.
La grange était une lourde construction de rondins empilés ouverte sur un côté. Elle était assez spacieuse pour que le mammouth y prît largement place et assez haute pour qu’il suffît à ses cavaliers de baisser légèrement la tête pour se glisser sous son toit. Quand elle atteignit la bâtisse, Piluk courait à fond de train, les oreilles déployées, en poussant des barrissements furieux.
Pendant un instant, Chih aperçut l’éclat de deux yeux ronds dans le noir. Alors le tigre jaillit de la grange, à ras de terre comme un python, en évitant habilement les larges pieds de Piluk.
« Ils n’attaqueront jamais Piluk ni aucun autre mammouth de front, déclara Si-yu. Ils ne s’y risqueraient pas. Nous serions autant à l’abri que des œufs de keppi si nous avions deux autres éclaireurs avec nous. Même mon oncle et sa Nayhi suffiraient. Jamais ils n’oseraient s’en prendre à nous. »
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Chih avait en tête une histoire selon laquelle entendre un tigre rire était le signe d’un terrible malheur, mais il ne se rappelait pas pourquoi. S’agissait-il d’un tabou culturel ? D’une malédiction ? Fallait-il comprendre que les tigres trouvaient hilarant de tuer et manger les gens ? Il aurait voulu retrouver l’explication au fond de sa mémoire. Réussir à réprimer ses frissons. Voir les tigres s’en aller.
Mais rien de tout cela ne se produisit. Piluk se remit péniblement debout en reniflant et en agitant la tête de gauche à droite. Si-yu se leva à côté de son mammouth. Elle tenait sa lance d’une main ferme, mais Chih voyait bien qu’elle tremblait.
« Ils n’oseront pas attaquer face à Piluk, répétait-elle. Ce sont des lâches. Ils ne s’approcheront pas si elle se dresse devant eux…
— Continue sur ce ton si cela te rassure », dit le plus grand des tigres, et il y avait quelque chose de tellement inhumain dans ces paroles jaillies de la gorge d’un fauve que Piluk pilonna la terre de son pied et poussa un barrissement d’alarme. Si-yu dut tirer Chih en arrière pour lui éviter de se faire renverser par la trompe de l’animal.
« Arrête ! s’écria Si-yu. Arrête. Parle comme une personne ! »
Non, non, un tigre est bien une personne. C’en est simplement une qui risque de nous manger si nous nous en approchons de trop près, pensa Chih, mais elle n’avait pas eu le temps de formuler sa réflexion que le tigre émit un ricanement, toujours menaçant, mais moins surnaturel.
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La taverne n'était guère qu'une tente de toile cirée inclinée vers le sud par le vent qui devait la pente.
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En revanche, tu sais que les convives qui posent trop de questions importunes peuvent vite se transformer en un savoureux diner, n'est-ce pas ?
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