C'est Gwen21 qui m'a proposé de me joindre au Challenge Nobel et, alors que je n'ai encore lu qu'un ouvrage sur les 15 prévus, je suis déjà emballée à l'idée de découvrir d'autres oeuvres.
Petit rappel de l'objectif du challenge : lire 15 oeuvres d'auteurs ayant remporté le Prix Nobel de Littérature durant les années 2013 et 2014.
Cet objectif m'a permis de m'intéresser à un auteur que je n'aurais certainement jamais eu l'idée de découvrir autrement :
Sully Prudhomme. D'habitude, je ne suis pas très branchée poésie. C'est un genre littéraire qui ne me parle pas. Peut-être parce que quand on nous en parle durant nos études, c'est pour souligner la forme du poème plutôt que son contenu...
Ici, pas de contrainte scolaire. Je me suis donc laissé bercer par les mots de
Sully Prudhomme. Et du coup, la magie a opéré : j'ai - enfin ! - compris pourquoi tant de lecteurs sont amateurs de poésie. Les sujets abordés par
Sully Prudhomme sont universels. Il nous parle de la nature, de la vie et de la mort, de l'amour réciproque ou non. le poète nous emmène donc sur les sentiers tortueux de l'humanité et de tout ce qu'elle implique de beau ou de moins agréable. le tout avec des rimes agréables à l'oreille (oui, j'en ai lu quelques uns tout haut, pour tester) et avec le langage élégant de son époque (Les Vaines Tendresses ont été publiées en 1875).
Mention spéciale pour le poème d'introduction, Aux Amis Inconnus.
Sully Prudhomme s'y adresse directement à son lecteur :
AUX AMIS INCONNUS
Ces vers, je les dédie aux amis inconnus,
A vous, les étrangers en qui je sens des proches,
Rivaux de ceux que j'aime et qui m'aiment le plus,
Frères envers qui seuls mon coeur est sans reproches
Et dont les coeurs au mien sont librement venus.
Comme on voit les ramiers sevrés de leurs volières
Rapporter sans faillir, par les cieux infinis,
Un cher message aux mains qui leur sont familières,
Nos poëmes parfois nous reviennent bénis,
Chauds d'un accueil lointain d'âmes hospitalières.
Et quel triomphe alors! quelle félicité
Orgueilleuse, mais tendre et pure nous inonde,
Quand répond à nos voix leur écho suscité
Par delà le vulgaire en l'invisible monde
Où les fiers et les doux se sont fait leur cité!
Et nous la méritons, cette ivresse suprême,
Car si l'humanité tolère encor nos chants,
C'est que notre élégie est son propre poëme,
Et que seuls nous savons, sur des rhythmes touchants,
En lui parlant de nous lui parler d'elle-même.
Parfois un vers, complice intime, vient rouvrir
Quelque plaie où le feu désire qu'on l'attise;
Parfois un mot, le nom de ce qui fait souffrir,
Tombe comme une larme à la place précise
Où le coeur méconnu l'attendait pour guérir;
Peut-être un de mes vers est-il venu vous rendre
Dans un éclair brûlant vos chagrins tout entiers,
Ou, par le seul vrai mot qui se faisait attendre,
Vous ai-je dit le nom de ce que vous sentiez,
Sans vous nommer les yeux où j'avais dû l'apprendre.
Vous qui n'aurez cherché dans mon propre tourment
Que la sainte beauté de la douleur humaine,
Qui, pour la profondeur de mes soupirs m'aimant,
Sans avoir à descendre où j'ai conçu ma peine,
Les aurez entendus dans le ciel seulement;
Vous qui m'aurez donné le pardon sans le blâme,
N'ayant connu mes torts que par mon repentir,
Mes terrestres amours que par leur pure flamme,
Pour qui je me fais juste et noble sans mentir,
Dans un rêve où la vie est plus conforme à l'âme!
Chers passants, ne prenez de moi-même qu'un peu,
Le peu qui vous a plu parce qu'il vous ressemble;
Mais de nous rencontrer ne formons point le voeu:
Le vrai de l'amitié, c'est de sentir ensemble,
Le reste en est fragile, épargnons-nous l'adieu.