Et puis à un moment donné, après les hurlements d’effroi, les youyous, les balles qui font danser ceux qui tombent, les corps qui s’effondrent et les supplications ; arrive une vague de sang qui descend sur nous, elle touche nos rangers, puis peu à peu le niveau monte, inexorablement. On garde notre position et plus ça crie et plus on tire, il faut le silence, il faut le silence, et plus le niveau monte, jusqu’aux genoux puis jusqu’à la taille et jusqu’à la gorge, la bouche, les narines… mourir noyé dans le sang des autres, dans le sang de l’adversaire. Sentir le liquide chaud couler dans sa gorge puis envahir le nez pour étouffer dans la chair de l’autre, jusqu’à la noyade.
Et puis tout d’un coup le silence enfin, comme la joie de l’apaisement, et puis plus rien, plus un cri, plus de vague de sang. »
immédiatement les youyous se transforment en hurlements, en stridences aiguës, on tire d’autant plus. Des corps tombent. On tire. La foule tente de se disperser, beaucoup tombent, se piétinent, on avance en formation, tout doucement. Le soleil continue à nous regarder en face, il est un peu descendu sur les crêtes et nous fixe d’autant plus, nous sommes trempés de sueur, les yeux nous piquent, mon arme est brûlante, elle me glisse des mains. Le tissu de mon béret rouge est trempé d’une sueur acide qui pue.
Lettre à mes fantômes
30 septembre 2022