Lost Lad London, tome 1

Repéré dans un premier temps lors de sa licence américaine, Lost Lad London m'avait intrigué par son trait quasi expérimental pour du manga, rappelant celui très sobre de Natsume Ono, qui elle aussi aimait jouer sur les grands aplats de noir et les visages anguleux. J'ai été ravie de voir ce polar arriver chez Ki-Oon, gage de qualité pour moi dans la fabrication. Toutes les conditions étaient réunie pour découvrir avec bonheur ce polar et ce fut un petit coup de coeur pour moi !

Découverte un peu plus tôt cette année chez Nobi Nobi pour sa participation au global manga Star Wars - La Haute République - Un équilibre fragile écrit aux États-Unis, Shima Shinya est une autrice au parcours atypique qui a décidé de quitter son pays pour aller étudier le dessin et l'animation en Angleterre. Grâce aux rencontres qu'elle y fait et aux expériences qu'elle y vit, elle développe une certaine sensibilité pour les sujets ethniques et les questions sociales qu'on retrouvera dans Lost Lad London justement, ce qui rend l'univers de ce dernier particulièrement réaliste et moderne, loin de l'Europe fantasmée qu'on trouve bien trop souvent dans les mangas.

Avec ces couvertures minimalistes à l'esthétique très moderne et rappelant notamment le pop art et l'art urbain à la Bansky où des silhouettes se détachent sur un fond très simple et symbolique, elle frappe direct un grand coup pour se démarquer. Cela fait trop pop, très moderne, très cinématographique aussi et c'est exactement ce qu'on retrouvera dans le récit qu'elle met en place et la narration graphique qu'elle y développe. On y adhère ou pas. Je pense que pour certains lecteurs de manga, cet aspect peu conventionnel pourra être un frein, pour moi, à l'inverse ce fut l'un des éléments qui m'ont conduit à ce coup de coeur. J'aime les auteurs engagés, qui ont leur patte et une présence forte, sachant imposer une narration graphique qui me percute. C'est exactement ce que j'ai eu.

Dès les premières pages, j'ai eu l'impression de me retrouver sur mon canapé devant un bon polar filmé avec soin et une belle recherche d'angle de prise de vue. L'autrice mélange histoire et découpage des planche percutants pour nous happer dans un récit qui se veut simple mais cache une belle riche et une complexité à tous les étages. C'est simple, l'expérience de lecture fut pour moi à l'opposé de ces dessins qui au premier coup d'oeil ont l'air si facile. Ce fut dense et immersif totalement prenant.

Dans une ambiance très occidentale, l'autrice utilisant avec brio son expérience anglaise, elle nous plonge dans le quotidien d'un jeune étudiant d'origine asiatique, adopté par des parents blancs en Angleterre, qui poursuit ses études à Londres où il cherche à être le plus indépendant possible. D'entrée de jeu, al détonne. Il est calme, posé, assez réservé et ne semble pas dans le délire des autres étudiants qui aiment sortir et faire la fête, lui, il a un objectif en tête, réussir ses études et s'assumer vite. Mais un jour, il est confronté à l'inimaginable : le maire de la ville est assassiné dans la même rame de métro que celle qu'il a emprunté pour rentrer chez lui !

En deux temps, trois mouvements, l'autrice nous fait basculer d'une histoire sociétale à un polar bien serré comme j'aime. Elle alterne et mélange les lignes narratives, celle de notre jeune étudiant pris dans un engrenage qui le dépasse, qui va découvrir de drôles d'indice autour de lui, très près de lui, et celle d'un enquêteur tourmenté par une affaire passée, qui en ne voulant pas reproduire les mêmes erreurs va s'associer avec al pour mener l'enquête. Un choix surprenant et atypique qui va offrir de très belles perspectives.

Maniant parfaitement les codes du thriller, l'autrice nous propose en Al, un héros qui semble banal mais a un je ne sais quoi qui interpelle et fait douter. Elle dissémine au fil des pages, dans son dessin, des indices pouvant faire penser à sa culpabilité ou du moins à son implication. Puis, avec Ellis, cet inspecteur bourru, elle nous offre le contre-champ idéal, celui du flic rongé par la culpabilité, qui va commet une faute et qui pourrait aussi être aveugle à certains faits à cause de ce choix. Cela donne une dynamique très intéressante. Tous deux mènent l'enquête et sont aussi menés par le bout du nez par celui derrière ce meurtre, ce qui est décrit subtilement, par petite touche, dans une ambiance très hitchcockienne, appuyé par le dessin très arty de l'autrice. 

Tout se découpe, se détache et se rattache dans une belle noirceur et une certaine morosité happante pour le lecteur. al est un garçon assez atrabilaire qui vit avec le poids de son adoption. Ellis, inspiré par l'acteur britannique Idris Elba (The Wire, Prometheus, La Tour Sombre, Thor, Mandela...), est en pleine déprime aussi. Pourtant, la rencontre de leur deux mal-être semble les réveiller et ensemble, ils vont mener l'enquêter et partir sur les rives du passé du Maire de Londres et sur celles de l'entourage proche d'Al, qui semble cacher bien des secret.

Ce n'est pas mené à un rythme trépident. Nous sommes dans quelque chose de plus lent et insidieux qui correspond bien à ce spleen londonien matérialisé par le Smog, mais que c'est immersif justement. On a l'impression d'être pris dans une nappe de brouillard pour de temps en temps ressortir la tête au moment d'une découverte. J'adore ça !

En plus l'autrice a su imaginer un décor très réaliste, quand elle évoque la vie des étudiants, leur précarité, les problèmes raciaux en Angleterre ou le manque de confiance dans les politiques. le choix d'un enquêteur noir est également à souligner, dans un genre, le manga, où on représente rarement ce pan ethnique. de la même façon, avoir un héros métis hindou-britannique, est un beau reflet de la diversité de la population de ce pays et ça change les codes de lecture du passionné de manga qui en voit trop peu. Les décors mêmes sont inspirés de sa vie dans la capitale européenne puis qu'on y voit les intérieurs, les bâtiments, les moyens de transports tels qu'ils existent là-bas avec réalisme.

Le trait de Shima Shinya a vraiment ce quelque chose de fascinant qui me percute et me pénètre. Au-delà du look des arty des personnages avec cette inspiration géométrique de leur design qui se retrouve plus particulièrement dans le nez et les yeux d'Al, mais aussi dans les proportions des corps et les tenues vestimentaires, il y a un sens de la ligne et des formes ainsi incroyable qui nous entraîne lors de la lecture des pages. Elle nous impose avec force sa lecture, sa ligne de force avec des effets d'optique vraiment percutant renforcé par les grands aplats de noir mais aussi de blanc dont elle noie ses pages. Les cadrages sont variés et toujours très signifiants. Elle joue également sur la présence de certains objets et induits plein de réflexion de certains découpages provoquant de riches mises en abyme. Il y a un énorme travail de réflexion et de composition ici, qu'on trouve rarement chez les auteurs plus mainstream dont on nous noie sur les étals. C'est extrêmement cinématographique, très hitchcockien (Hitchcock) mais aussi tezukien (Tezuka).

Attiré depuis que je l'ai découverte par cette oeuvre, j'ai été percutée par ses qualités lors de sa lecture en vf grâce à Ki-Oon. Mélange de polar, dont les codes modernes sont parfaitement maîtrisés, et d'enjeux sociétaux, grâce à l'expérience de vie de l'autrice, Lost Lad London se détache vraiment de la production manga actuelle et rappelle certains grands noms d'autrefois comme Hitchcock et Tezuka pour l'art de la composition et de la mise en scène dont fait preuve Shima Shinya. C'est un petit bijou très immersif, aux dessins atypiques (rappelant la poétique Natsume Ono), qui j'espère trouvera son public dans les amateurs de polar serré, car clairement il le mérite et ce serait bien ainsi d'ouvrir les horizons des lecteurs et de les préparer à encore d'autres titres différents. Merci Ki-Oon !
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Merci beaucoup à Babelio et aux éditions Ki-oon pour l'envoi, à l'occasion de la dernière édition de la Masse Critique Graphique de 2022, du premier tome de ce seinen en grand format : il me faisait de l'oeil depuis sa sortie, et avec raison car c'était vraiment une très bonne lecture ! 

Ali est étudiant en criminologie à Londres. D'origine asiatique, ce jeune homme studieux a quitté sa famille adoptive et vit avec son coloc un quotidien tranquille, entre ses cours et une vie sociale peu remplie. Mais un jour, Ali apprend aux informations que le maire de la ville a été poignardé à mort dans le métro, dans la même rame qu'il avait lui-même emprunté pour rentrer chez lui la veille… Stupéfait, il trouve justement l'arme du crime dans sa propre veste, ce qui fait de lui le suspect numéro un ! Mais c'était sans compter sur la perspicacité de Russell, un inspecteur de police aux méthodes peu conventionnelles qui est convaincu de l'innocence du jeune homme. Ensemble, ils vont enquêter dans l'ombre pour démêler les noeuds de cette affaire énigmatique… 

Ce qui saute immédiatement aux yeux dès la couverture de ce manga, c'est son style graphique très particulier. On est ici sur quelque chose qui se rapproche plus de la bande dessinée francobelge ou du comics, y compris dans le découpage des planches et la mise en scène assez dépouillée, qui permet au lecteur de se concentrer sur l'intrigue. Personnellement, j'ai été agréablement surpris par cet aspect visuel qui apporte vraiment de la personnalité à ce polar ! 

Il ne faut pas s'attendre à un thriller haletant à la Tetsuya Tsutsui : l'enquête prend son temps, il y a peu de personnages et pas de grandes scènes d'action ou de meurtres en série, mais cela fonctionne très bien à mon sens. le raisonnement des deux enquêteurs se suit de manière agréable, à la manière d'un bon roman policier. La mangaka développe ainsi les personnalités de ses deux protagonistes de façon réaliste, loin des clichés du genre. Je trouve le personnage de Russell particulièrement intéressant, dans le rôle du flic désabusé et cynique, qui sait comme Ali ce que signifie faire partie d'une minorité et lutter pour trouver sa place dans la société. Ces questions vont rapidement devenir le point central de l'enquête, mais sans pathos ou exagération, ce que j'ai apprécié. de plus, comme indiqué au début du tome, la mangaka s'est inspirée de ces années d'étudiante étrangère à Londres pour élaborer son manga, et cela se ressent dans le souci de réalisme des lieux où se déroule l'action et des situations vécues par les personnages. 

Je suis donc encore une fois très content d'avoir découvert, grâce à la Masse Critique, un seinen qui se démarque par son réalisme et son identité graphique, et suis impatient de connaître la suite de cette enquête ! 

A Londres, dans le métro, un homme est assassiné, poignardé discrètement. Au même moment, un étudiant est en train de sortir de la même rame.

Peu de temps après, les actualités révèlent l'identité de cette victime qui n'est autre que Mr King, le maire de la ville. Al, l'étudiant, qui s'est retrouvé dans le même que le défunt découvre alors dans la poche de son manteau l'arme du crime...C'est alors qu'il reçoit la visite de l' inspecteur Ellis. Contre toute attente, Ellis, tourmenté par l'injustice de sa dernière enquête décide d'aider al à se sortir du pétrin et à retrouver le vrai coupable.

Ce premier tome de Lost Lad London , courte série en trois tomes, chez Ki-oon détonne et nous entraine dans une enquête stylé qui se démarque par un style épuré et un joli jeu d'encrage tout en finesse.

La mangaka , Shima Shinya qui a fait ses armes non pas au Japon mais en Angleterre s'inspire ici de son vécu artistique mais aussi et sans doute social pour signer une courte série qui se déroule en plein Londres. La première influence majeur à la culture londonienne provient du personnage d'Ellis qui s'inspire directement de Luther joué par l'acteur Idris Elba dans la série éponyme. Personnage plutôt rocambolesque de par son caractère abimé (aussi bien au niveau physique qu'au niveau psychologique) , Ellis va décider d'aider un étudiant d'origine asiatique qui se retrouve pris au piège dans l'assassinat du maire. Cet étudiant du nom de al se démarque par sa maturité, son calme et sa volonté de devenir à tout prix indépendant.

C'est ici un duo plutôt bien assorti qui va tenter de résoudre l'assassinat du maire, une enquête qui va entrainer son lot de secret à commencer par les origines de Al.

Pour l'heure, ce premier tome plante le décor avec efficacité et un bon sens du réalisme. Sans user d'effets violents autour du meurtre ou sans en exacerber la noirceur, Shima Shinya préfère faire vivre cette enquête autour des interactions entre les personnages.. Les répliques sont savoureuses et parfaitement bien assorties au faux-calme qui réside dans ce titre. Les environnements sont traités de manière minimaliste tout en conservant une véritable ambiance grâce aux délicats aplats de Shima Shinya. le tout pourrait s'avérer parfois un peu froid et trop calme mais cela n'empêche par la mangaka de nous entrainer dans une enquête aux subtiles tonalités sociales qui ne manque pas d'intérêts. Ainsi donc, l'intrigue ne perd pas de temps et vient se concentrer sur les origines d'al sans trop en dévoiler. L'ombre du scandale planerait-t-il derrière la mort du maire ? Son déroulé est mené de manière assez classique sans que la dessinatrice appuie trop sur une véritable sensation de suspense mais le décor est bien planté et le jeu entre les personnages plutôt savoureux.

Malgré tout, j'attends une petite confirmation au tome 2 car si ce début d'enquête est prenant, le risque est peut-être de tomber dans une résolution un peu classique qui ne serait pas à la hauteur du parti pris graphique de cette oeuvre.

Le maire de Londres est assassiné dans une rame de métro. Al, jeune étudiant londonien, va, sans le vouloir, se retrouver mêlé à ce meurtre...

Je remercie Babelio et les éditions ki-oon de m'avoir permis de sortir un peu de ma zone de confort littéraire en me permettant de découvrir cette histoire dans le cadre d'une récente opération masse critique. Car "Lost lad London" est un manga, genre auquel je ne suis pas du tout habitué... d'où un petit temps pour s'adapter à une façon de lire un peu différente.

Le dessin est très sobre, un brin minimaliste. L'histoire est plutôt intéressante, l'intrigue se met en place progressivement. Elle se concentre principalement autour de deux personnages, al donc, et l'inspecteur Lenny, flic un brin désabusé, meurtri dans sa chair et son âme.

J'ai bien aimé cette expérience de lecture. Seul petit hic finalement (s'il fallait vraiment trouver quelque chose !) : je reste un peu sur ma faim, puisqu'il ne s'agit que d'un premier tome. Je n'ai désormais pas le choix : je vais devoir trouver la suite !

(Série complète)

Une sympathique trilogie de polar qui n'a pas dû émouvoir les grands amateurs de récits noirs, mais qui m'a facilement embarquée avec son dessin atypique et ses personnages touchants. La série ne se présente pas avec une grande ambition et c'est pas plus mal vu sa longueur. J'aurais pas dit non à un 4e tome pour que le mystère dure plus longtemps et que la résolution ne se fasse pas aussi facilement. Car c'est sûrement le plus gros défaut de ce récit : l'identité du coupable et son mobile m'ont semblé un peu "légers". J'aurais aimé qu'on plonge plus profondément dans l'esprit du tueur, qu'on comprenne mieux le cheminement mental qui l'a amené de sa situation initiale plutôt privilégiée à cette descente en enfer jusqu'à l'acte impardonnable.
À côté de ça, j'ai eu une véritable appétence pour le style graphique originale, très en contrastes et aplats de noirs. Un côté un peu "déconstruit" dans le chara-design et des métaphores glissées dans les paysages… Il y a de la poésie qui ressort des dessins malgré l'ambiance oppressante qui règne. Les personnages, surtout al et Ellis, m'ont touchée. Yuki, aussi. Ils sont humains, imparfaits, tous un peu grognons (les échanges entre al et Ellis avec leurs bâtons dans le uc m'ont bien fait rire).
Un autre point qui m'a fait franchement plaisir, c'est la façon dont l'autrice s'est saisie d'injustices sociales et de problèmes de société tels que le racisme systémique, le plafond de verre, la discrimination par le sexe, l'âge, l'ethnie… Avoir comme duo de protagonistes un homme noir et un jeune homme sud-Asiatique, c'est vraiment rare, surtout en mangas. Alors vraiment bravo à Shima Shinya pour avoir su analysé avec tant de brio la façon dont les minorités bataillent au quotidien en Occident pour la reconnaissance sociale au quotidien.