Magnifique livre par ses photographies très souvent saisissantes des "montagnes maudites" avec un texte adéquat commentant chacune d'entre elles. Des références intéressantes à des guides comme Alphonse Couttet, décédé en 1977, qui a pu revoir les sommets depuis l'hélicoptère peu avant sa mort. Edité il y a quarante, les photographies de ce livre permettent de constater le recul catastrophique des glaciers pris dans toute leur splendeur à l'époque.
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Les aiguilles : celles du Midi, de l'Argentière, du Géant et les autres, connues déjà ou encore sans nom, allaient être gravies par toutes leurs faces et par toutes leurs arêtes. Aucun sommet de ce gigantesque massif ne serait vierge du sceau de l'homme; ces hautes solitudes désolées allaient être le théâtre d'un héroïsme aussi démesuré que gratuit, de drames sanglants et d'indicibles joies. L'alpinisme était né!
Le voyageur venant à Chamonix surgit de la pénombre des derniers virages de la route blanche là où la rivière d'Arve entaille profondément la montagne en une gorge étroite et sombre. Il est brutalement saisi par le jaillissement soudain du massif du Mont-Blanc qui lui saute littéralement aux yeux!
La protogine rouge des roches, les glaces étincelantes, la profondeur bleue du ciel se mêlent en une triomphante symphonie.
Les aiguilles sont autant de gigantesques flammes pétrifiées, les puissantes vagues du Tacul, du Mont Maudit, du Goûter entourent et soutiennent la sommité souveraine. Les glaciers, torrents ayant rompu leurs digues, se précipitent vers la vallée menacée de toutes parts.
La gigantesque cascade de glace des Bossons semble alors tomber du ciel et s'enfoncer comme un fer de lance dans le flanc boisé de la montagne pour venir mourir à quelques pas de la grand-route. On imagine mieux alors qu'en la voyant réellement, la prodigieuse masse de neige et de rocs qui sert de berceau à un tel fleuve.
La montagne n'est pas un bien de consommation, elle doit demeurer le terrain privilégié où l'homme peut se mesurer avec lui-même, affronter les périls et la mort, tenter de discerner ses raisons de vivre et saisir la finalité de son existence terrestre.
Connaître la montagne, c'est savoir l'interroger, lire le livre de la nature et de la vie offert à nos yeux clos, à nos sens émoussés. Ce que l'habileté du photographe a pu saisir sur le film, chacun de nous peut le découvrir.
Précurseur! Balmat fut le premier à affronter sans corde ni crampons ou piolet, ces matériels n'existant pas à l'époque, la redoutable arête qui mène de Vallot au Mont-Blanc et porte encore de nos jours le nom de "mauvaise arête". Il s'y engagea, d'abord à pied puis à califourchon, seul comme toujours, et ne fut stoppé que par la raideur de l'arête effilée et glacée.
Précurseur encore, cette nuit mémorable où il découvrit l'itinéraire d'accès au sommet par les rochers rouges et fut le premier homme à bivouaquer, solitaire et transi, assis sur son sac en peau de chèvre, "racorni sur lui-même" à 4300 mètres d'altitude, balayant par sa détermination et son endurance les sortilèges de la montagne, les maléfices des glacières et de la nuit.