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EAN : 9782714307873
122 pages
José Corti (30/06/2002)
4.17/5   3 notes
Résumé :
Juarroz est déjà lui-même dans les premiers livres, et pourtant son oeuvre va crescendo. En dépit de ce qu’il pose dans les proses poétologiques, où il parle de 'l’oeuvre ouverte' selon Umberto Eco, du poème qui doit se compléter chez le lecteur, cette oeuvre semble se fermer au commentaire, dans la mesure où la plupart des poèmes sont si parfaits, et ou obscurs, ou le plus souvent limpides, si simples aussi de structure, qu’on n’a pas envie de poser un mot dessus. ... >Voir plus
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Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
I VERTICAL
"Aller vers le haut n'est qu'un peu plus court ou un peu plus long qu'aller vers le bas." De cette phrase, qui tremble au bord du non-sens comme saisie de vertige, on ne résoudra pas l'énigme. Mais il est significatif que Roberto Juarroz la mette justement en relief, choisissant de l'inscrire en exergue sur la première page de la première anthologie importante de son oeuvre dans notre langue, parue dès 1980 chez Fayard, dans les belles traductions de Roger Munier, et rééditée en 1989 dans une version augmentée. Tous ses recueils, seulement numérotés de un à quatorze, sont intitulés "poésie verticale". Ce titre déconcertant, qui fait de l'oeuvre entière un unique poème ininterrompu, met l'accent sur la cohérence d'une entreprise obstinément singulière, qui confère à cette oeuvre dont chaque poème relance un coup de dés son envoûtante monotonie. Et quand Juarroz écrit des aphorismes, ceux-ci sont encore nommés Fragments verticaux: "La loi de la pesanteur qui agit sur la poésie engage non seulement une force vers le bas, mais aussi une attraction vers le haut (...) Le terme vertical s'y réfère, appliqué à ces fragments et à la poésie qui l'inclut dans sa désignation." Sans être jamais beaucoup plus clair sur ce qu'il entend par là, Juarroz inscrit donc la totalité de son oeuvre sous le signe du "vertical": "une vérité, comme une tour qui pousserait de sa propre substance ". ou encore: "la dernière tâche: entre les mains vides, élever une tour de rien au bord de l'abîme ", "ce métier désolé d'ériger des tours sans échafaudage ". Telle une subversion de l'horizon, qui peut apparaître dans un poème:



Commencer alors sa conversion

jusqu'à le mettre fermement debout

comme un arbre ou un amour en éveil

et changer l'horizon en verticale

en une fine tour

qui nous sauve au moins le regard,

vers le haut, ou vers le bas .


Il peut être intéressant de relever les occurrences dans l'oeuvre du mot "vertical", ou même les contextes qui inscrivent la verticalité sans la dire. Un poème du début de l'oeuvre parle d'"habits verticaux", que "la chute de l'homme" "met debout", un autre d'une "porte terriblement verticale", un autre encore, plus banalement, de "l'histoire verticale de l'arbre". Un texte plus tardif est entièrement construit autour des "verticales de la pluie". Je citerai plus longuement un très beau passage, où l'on retrouve, avec le motif du dépassement de soi, un mouvement vers le haut, et vers le bas:


La hauteur de la rose n'est pas la hauteur de la pierre,

mais parfois la rose la surpasse en son extase.

La hauteur de l'homme n'est pas la hauteur de la pluie,

mais son regard va plus loin que les nuages.

Et parfois la lumière l'emporte sur l'ombre,

bien que l'ombre ait toujours le dernier mot.



Les hiérarchies sont une distraction de l'infini

ou peut-être un accident.

Les hauteurs se supplantent comme tours qui dansent

mais tout tombe de la même hauteur .



C'est encore autour d'un axe vertical que se structure un bref poème au sujet de l'existence, d'un équilibre miraculeux dans son extrême économie de moyens:



Etre.



Et rien de plus.

Jusqu'à ce que se forme un puits au-dessous.



Ne pas être.

Et rien de plus.

Jusqu'à ce que se forme un puits au-dessus.



Ensuite,

entre ces deux puits,

le vent s'arrêtera un instant .



Ou encore dans un autre poème, encore plus enrobé de mystère, que je tiens à citer, car il est un des derniers textes de son auteur: il s'agit du premier poème, magnifique, de Tryptique vertical, qui clôt le quatorzième recueil. La fusion du haut et du bas dans le point de rencontre qui annule jusqu'à l'axe qui les oppose, dans la concentration immobile de ce qui n'est plus qu'un point, et ensuite un geste, se concentre ou se résout en épiphanie, que Juarroz dit ailleurs "explosive". Geste de l'épiphanie: sans doute le geste lyrique par excellence .



Un geste vers le bas

ne trouve pas toujours

un geste vers le haut.

Mais lorsqu'il le trouve

ils vont tous deux vers le haut

ou tous deux vers le bas.



Ou peut-être les directions disparaissent

et inaugurent dans le point de rencontre

la transfiguration qui les dispense

d'un mouvement quelconque.



Tout geste est une épiphanie

lorsqu'il n'y a plus de différences

entre le haut et le bas .



Dans la plupart des occurrences que j'ai citées, on doit en premier lieu constater que la verticalité n'est jamais, comme on pourrait le croire, le seul mouvement ascensionnel, mais qu'elle est plutôt un axe, puisque le haut, dans la logique de l'ambivalence si caractéristique de Juarroz, est sans cesse corrélé à son contraire, le bas, comme à la chute l'essor, ou à la tour l'abîme . Ces occurences, il fallait bien les relever, mais on doit se résigner à ce que leurs contextes n'éclairent pas totalement la verticalité chez Juarroz, qui reste énigmatique, et excède le plus souvent le sens spatial. Il faut dès lors se référer à l'ensemble de sa pensée. "Vertical" dit en premier lieu la transcendance, qui est une dimension essentielle de la poésie selon Juarroz, étant bien entendu, comme il le dit souvent avec insistance, qu'il cherche à fonder un sacré en dehors de tout dogme, un sacré qui échappe à la théologie, sinon, toutefois, à la théologie négative, par la célébration du rien, du vide, et la prise en compte d'une inquiétude, qui persiste, du côté d'un dieu qui a "perdu son nom ". La "transcendance", dit-il, est à entendre comme "mystique insertion dans l'énigme qui nous entoure", ou encore sens de l'infini. "Vertical" évoque le creusement vertigineux de la "profondeur", cette troisième dimension dont Juarroz élabore le concept à propos de l'oeuvre de son ami et maître Porchia, mais qui est le terme le plus approprié pour qualifier sa vision du monde et son travail poétique. "Vertical" peut aussi suggérer la sidération du temps linéaire, horizontal, par la brève illumination poétique, ces "bouffées soudaines d'anti-temps ", ou encore "ces ilôts de présent qui retombent comme une lucide plombée au centre de l'être ". Un passage d'Octavio Paz, que Juarroz cite et commente dans Poésie et création , est à comprendre dans ce sens: "L'opération poétique consiste en une inversion et une conversion du flux temporel; le poème n'arrête pas le temps: il le contredit et le transfigure".

C'est encore dans sa postface aux aphorismes de Porchia que Juarroz écrit ceci: "approfondir est la forme la plus radicale et généreuse de l'héroïsme. C'est être aussi sans références. L'échelle de relation est désormais l'infini, et la rencontre avec la mort comme expérience anticipée et paramètre constant du possible". Je vois aussi, et peut-être même en premier lieu, dans la verticalité une injonction éthique, un appel à l'insurrection du sujet. Qui peut évoquer le mot d'ordre que s'était donné, tout au long de son oeuvre, un autre poète, Paul Celan: stehen, se tenir debout, se tenir. Ce rapprochement n'est pas artificiel, car comme Celan, dont il était d'ailleurs un lecteur attentif, Juarroz fait de la poésie, qui n'appartient dès lors plus tout à fait à la littérature, une affaire d'expérience et de destin, le plus exigeant des exercices spirituels, lui donnant sa suprême valeur à partir d'une définition existentielle et éthique. "Contrairement à ce qui est généralement admis, la poésie, la véritable poésie, est une manière éminente du dépassement de soi. Avec la poésie naît une dimension nouvelle, plus haute, un au-delà du soi", écrit-il dans un des Fragments verticaux .




II IL PLEUT SUR LA PENSÉE




Il pleut sur la pensée.



Et la pensée pleut sur le monde

comme les restes d'un filet décimé

dont les mailles ne parviennent pas à s'assembler.



Il pleut dans la pensée.



Et la pensée déborde et pleut dans le monde,

comblant depuis le centre tous les récipients,

même les mieux gardés et scellés.



Il pleut sous la pensée.



Et la pensée pleut sous le monde,

diluant le soubassement des choses

pour fonder à nouveau l'habitation de l'homme et de la vie.



Il pleut sans la pensée.



Et la pensée

continue de pleuvoir sans le monde,

continue de pleuvoir sans la pluie,

continue de pleuvoir.



(IV,20, traduction personnelle)



Pour introduire à la manière de Juarroz, je vais tenter de donner une lecture d'un poème difficile de Poésie verticale IV, 20, dont il existe deux traductions françaises, celle de Roger Munier et celle de Fernand Verhesen . Poème qui déconcerte toute logique, alors même qu'il existe, à l'opposé, beaucoup de poèmes de Juarroz parfaitement limpides, il me semble caractéristique de la manière de son auteur par le rôle des anaphores, des antithèses, des paradoxes. Succession de variations sur un même motif contradictoire, il introduit un rapport entre pluie et pensée, rapport que souligne, dans les versions françaises, une allitération initiale qui fait paronomase, mais n'existe pas en espagnol - la traduction gagnant, comme c'est parfois le cas, sur l'original. Ces deux mots sont pris ensemble dans un rapport à un troisième terme qui est "le monde". Ceci est un effet massif de la structure du poème, Juarroz utilisant, comme il ne le fait pas toujours, car d'autres textes sont moins sophistiqués, toutes les ressources de ce que Jakobson aurait appelé la poésie de la grammaire. En effet, le poème est construit sur l'alternance de strophes d'un seul vers, et de strophes plus longues. Le schéma de la strophe d'un seul vers est purement répétitif, seule une préposition variant, de la première à la dernière occurence, préposition qui dit le rapport entre pluie et pensée: on a "il pleut sur la pensée", puis "il pleut dans la pensée", "il pleut sous la pensée", enfin "il pleut sans la pensée".
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La musique …


La musique dissout la pesanteur de l’homme,
éclaire la maison des signes,
accélère les corrélations du cœur,
perfore les rêves et soude les morceaux détachés de l’éternité,
signalant à la fois que celle-ci n’est pas une seule.

Les mots sont une partie mystérieuse de cette musique,
à laquelle ils incorporent les subtiles métamorphoses musicales
 du sens jumelées au silence,
qui recueille les va-et-vient de l’occulte et allume les coïncidences
 du réel,
comme s’il rapprochait la flamme des cierges éteints
et toujours disponibles d’un candélabre aux bras infinis.

La poésie multiplie la musique et, en le faisant,
parfait d’une certaine manière le langage expectant de la réalité.
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L’appel de la musique …


L’appel de la musique assouplit quelque chose d’essentiel dans l’homme
sans raisons ni arguments.

Ce lien doit être en relation avec les rythmes épars dans l’univers.
Il n’y a pas de poésie sans musique,
mais l’essentiel, en elle, c’est la musique intérieure,
bien que demeure aussi une certaine musique extérieure.

Il s’agit d’une espèce de musique du sens,
en intime symbiose avec la musicalité propre des mots.
Comme dans toute musique, le silence habite ses interstices.
Ainsi que la transcendance et la consolation ?

Il est difficile de concevoir un homme, et moins encore un poète
qui n’aime pas la musique à l’intérieur et à l’extérieur du poème.

Le souci de l’être, qui est l’essence de la poésie, sait que l’être est musique.
Et devine même qu’il existe une musique du vide et du non-être.
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Inaugurer la transparence …


Inaugurer la transparence.
Voir à travers un corps, une idée,
un amour, la folie,
distinguer sans obstacle l’autre côté,
traverser de part en part
l’illusion tenace d’être quelque chose.
Non seulement pénétrer du regard dans la roche
mais ressortir aussi par son envers.

Et plus encore :
inaugurer la transparence
c’est abolir un côté et l’autre
et trouver enfin le centre.
Et c’est pouvoir suspendre la quête,
parce qu’elle n’est plus nécessaire,
parce qu’une chose cesse d’être interférence,
parce que l’au-delà et l’en-deçà se sont unis.

Inaugurer la transparence
c’est te découvrir à ta place.
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Il y a des espaces faits de rien …


Il y a des espaces faits de rien,
d’indispensables lieux
pour se reposer un moment,
car de toutes choses
on doit se reposer un moment.

En outre il y a des villes faites de rien
des hommes, des chemins, des arbres,
des paroles faites de rien, des livres,
des morts, des amours,
des mondes faits de rien.
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Vidéo de Martine Broda
« Une anthologie de femmes-poètes ! - Eh oui, pourquoi pas ? […] On a dit du XIXe siècle que ce fut le siècle de la vapeur. le XXe siècle sera le siècle de la femme. - Dans les sciences, dans les arts, dans les affaires et jusque dans la politique, la femme jouera un rôle de plus en plus important. Mais c'est dans les lettres surtout, - et particulièrement dans la poésie, - qu'elle est appelée à tenir une place considérable. En nos temps d'émancipation féminine, alors que, pour conquérir sa liberté, la femme accepte résolument de travailler, - quel travail saurait mieux lui convenir que le travail littéraire ?! […] Poète par essence, elle s'exprimera aussi facilement en vers qu'en prose. Plus facilement même, car elle n'aura point à se préoccuper d'inventer des intrigues, de se créer un genre, de se faire le champion d'une idée quelconque ; - non, il lui suffira d'aimer, de souffrir, de vivre. Sa sensibilité, voilà le meilleur de son imagination. Elle chantera ses joies et ses peines, elle écoutera battre son coeur, et tout ce qu'elle sentira, elle saura le dire avec facilité qui est bien une des caractéristiques du talent féminin. […] Et puis, au moment où la femme va devenir, dans les lettres comme dans la vie sociale, la rivale de l'homme, ne convient-il pas de dresser le bilan, d'inventorier - si l'on peut dire, - son trésor poétique. Les temps sont arrivés où chacun va réclamer le bénéfice de son apport personnel. […] » (Alphonse Séché [1876-1964])
« Il n'y a pas de poésie féminine. Il y a la poésie. Certains et certaines y excellent, d'autres non. On ne peut donc parler d'un avenir spécial de telle poésie, masculine ou féminine. La poésie a toujours tout l'avenir. Il naîtra toujours de grands poètes, hommes ou femmes […]. Où ? Quand ? Cela gît sur les genoux des dieux, et nul ne peut prophétiser là-dessus. […]. » (Fernand Gregh [1873-1960])
0:00 - Martine Broda 0:32 - Sylvie Fabre G 1:57 - Maximine Lagier-Durand 2:33 - Amina Saïd 3:53 - Béatrice Bonhomme 4:17 - Hélène Dorion 5:15 - Alicia Gallienne
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Références bibliographiques : Couleurs femmes, poèmes de 57 femmes, Paris, co-édition le Castor Astral/Le Nouvel Athanor, 2010. La poésie à plusieurs voix, rencontres avec trente poètes d'aujourd'hui, sous la direction de Serge Martin, Paris, Armand Colin, 2010. Françoise Chandernagor, Quand les femmes parlent d'amour, Paris, Cherche midi, 2016. Alicia Gallienne, L'autre moitié du songe m'appartient, Paris, Gallimard, 2019.
Images d'illustration : Martine Broda : https://www.babelio.com/auteur/Martine-Broda/183879 Sylvie Fabre G : https://www.editionsunes.fr/catalogue/sylvie-fabre-g/ Maximine Lagier-Durand : http://editionsws.cluster011.ovh.net/wp-content/uploads/2011/04/Maximine.jpg Amina Saïd : https://fr.wikipedia.org/wiki/Amina_Saïd#/media/Fichier:Amina-Saïd_Hazam_(21e_Maghreb_des_Livres,_Paris,_7_et_8_février_2015).jpg Béatrice Bonhomme : https://www.southeastreview.org/single-post/poetry-by-béatrice-bonhomme-translated-by-emelie-griffin Hélène Dorion : https://www.lesoleil.com/2020/10/15/entretien-public-avec-helene-dorion-pour-donner-vie-aux-mots-4119980a99b2ea22baac03f17396a0e7 Alicia Gallienne : https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2020/01/31/alicia-gallienne-etoile-filante-de-la-poesie_6027964_
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