[…] la culture militante qu'ils observent est fondée sur une « éthique de la souffrance » et du « sacrifice de soi ». Les activistes ne prennent pas soin de leur propre bien-être car cela serait contredire le pacte implicite de « désintéressement ». En outre, les travaux de Cher Chen et Paul Gorski montrent que, pour celles et ceux qui s'engagent pour changer le monde, l'apathie du reste de la population, la lenteur des progrès d'une cause qui leur tient à cœur sont également sources de stress et d'épuisement. Cela se traduit par une perte de l'idéalisme qui les poussait autrefois à s'engager. Et plus que du cynisme, cela peut entraîner un sentiment de désespoir et d'incrédulité. Lorsqu'on est militant, on ne donne pas seulement son temps, on s'engage aussi émotionnellement. Les sociologues constatent que certaines personnes se sentent investies d'une mission, et ce d'autant plus qu'elles développent une compréhension du problème et des enjeux qui font l'objet de leur engagement. Celles qui sont au contact de victimes de violences et entendent de nombreux témoignages peuvent s'en sentir dépositaires. Un fardeau qui est d'autant plus lourd à porter que rien ne change.
Voilà bien le problème : à travailler trop longtemps sans patron, on peut finir par développer une inaptitude à évoluer dans une organisation hiérarchique. Malheureusement, la place des structures autogérées dans le tissu économique étant ce qu'elle est, les opportunités professionnelles s'en trouvent nécessairement limitées.
Ne pas avoir à rémunérer le capital peut constituer un atout important pour les structures de l'ESS. En principe, elles devraient disposer ainsi de davantage de marges de manœuvre que les entreprises capitalistes pour assurer la pérennité de leur activité et la rémunération de leurs salariés. Pourtant, force est de constater que les salaires sont, en moyenne, plus faibles dans l'ESS que dans le reste du secteur privé. Travailler dans l'ESS rapporte en moyenne, pour un emploi à temps plein, environ 11% de moins que dans une entreprise classique...
En résumé, l'homogénéité culturelle facilite l'obtention et le respect d'un consensus, mais elle peut limiter la base sociale de l'organisation collectiviste. Et ce d'autant plus que la société capitaliste dans laquelle nous vivons, de l'école à la vie professionnelle dans des entreprises hiérarchisées, ne nous prépare pas à faire vivre la démocratie au quotidien.
Comment associations et coopératives s'y prennent-elles donc pour rompre avec les rapports de production capitalistes ? De la plus simple des manières: en faisant disparaître les capitalistes de leurs structures, ou en les faisant simplement fuir en leur parlant de non-lucrativité ou de lucrativité limitée.