Je voulais, à l'époque, sortir des polars anglo saxons ou nordiques, qui pour passionnant qu’ils soient commençaient à me gaver.
La lecture de Vargas m’ennuyait maintenant, après m’avoir longtemps enthousiasmé, j’avais épuisé Montalban et Camilleri, je boudais les prix du polar SNCF, des longueurs fastidieuses pour des énigmes pas vraiment convaincantes.
A l’été 2012, une série d’articles du Monde des livres, (http://abonnes.lemonde.fr/livres/article/2012/08/17/francisco-jose-viegas-le-portugal-ne-reve-plus_1746760_3260.html) consacré aux polars européens me redonna espoir, il y avait du Grec, de l’Italien, du Portugais, un genre rare jusqu’alors inconnu, d'ailleurs Gérald Meudal l’auteur de l’article ne précisait-il pas :
«La rencontre était prévisible, inévitable sans doute, même si elle a mis un certain temps à se produire, celle de la saudade portugaise et du roman policier.»
Excité comme un jeune chiot devant sa gamelle, je me précipitai sur Un ciel trop bleu, remerciant au passage la traductrice Séverine Rosset d’avoir traduit littéralement «Um ceu demaziado azul», et l’éditeur de n'avoir pas imaginé un titre, supposé booster les ventes, comme le mort habillé dans le coffre de la voiture, ou l’inspecteur et la stripteaseuse nostalgique, ou encore le dernier bain du mort, je vous laisse fantasmer sur le sujet.
Côté saudade je ne fus pas déçu. Les premières lignes du roman se perdent dans le questionnement d’un narrateur qui s’avèrera être le détective, un questionnement hallucinant sur les pensées du mort allongé devant lui sur une table de la morgue :
«C’était un jour livré à l’inconnu. Un jour indéchiffrable. Que fait un mort pendant toute une journée ?» (Page 11)
L’homme était bien mort, mais «personne ne l’avait recherché dans cet état».
Tout ce qu’il savait de lui est qu’il avait séjourné dans un hôtel de luxe du centre du pays.
J’avoue que ces premières pages demandent de s’accrocher à la lecture, quitte à les relire plusieurs fois pour se mettre dans la peau de l’inspecteur Jaime Ramos.
Jaime et Rosa, «(...) sa voisine du deuxième et, de fait, sa compagne de lit habituelle (...)» (Page 15) ont des projets de vacances à Cuba.
Viennent ensuite une série de tableaux peints avec délicatesse, dans lesquels sont représentés les personnages principaux du récit. Viegas insiste plus sur leurs états d’âmes, leur saudade pour faire simple, pas seulement vis à vis de l'enquête qu’ils dirigent ou dans laquelle ils sont impliqués, mais leur saudade , face à leur vie.
Filipe Castanheira et Isabel sont amants, ils vivent à Ponte Delgada, sur l’île de Sao Miguel dans l’archipel des Açores.
«Il cuisinait pour elle le week-end, elle lui offrait les livres qu’elle jugeait indispensable à un homme pour les soirées solitaires.» (Page 28)
Filipe est inspecteur adjoint de police. Venu volontairement sur l’île en 1988. Cela attise la curiosité de son supérieur Jose Silveira Enes qui s'interroge sur les raisons de sa venue dans l’île et surtout sur la façon dont il a résolu une affaire de meurtre. Filipe esquive :
«Je ne sais pas très bien. Il y a cinq ou six ans, le monde était une grande inconnue pour moi.» (Page 30)
«Enes se comportait comme un père distant et pudique.» (Page 33)
Il cherche à savoir si Filipe voudrait le remplacer à son départ en retraite dans quatre ans.
Derrière cette sympathie, un secret lie les deux hommes. Lorsque la maîtresse de Filipe, Isabel, a été impliqué dans le meurtre de son fiancé, tout en menant l'enquête, Filipe lui a servi d’alibi...démontrant qu’elle ne pouvait être l’assassin...
Filipe accepte la proposition de Enes, mais sa promotion ne pourra se faire qu’à condition qu’il suive une formation à Lisbonne.
Eugénio António Gomes est gardien de la paix à Régua, district de Vila Real au bord du fleuve Douro. Il a découvert le cadavre dans le coffre d’une voiture abandonné, et surtout il a été témoin des circonstances dans lesquelles deux voitures se sont garées au bord du fleuve, et l’une d’elle y a été abandonnée, apparemment sans conducteur ni passager, si ce n’est le mort du coffre.
«Comme il se le rappellerait les jours suivants et probablement à jamais, il n’y avait plus rien aux alentours quand tout était arrivé.» (Page 43)
Jaime Ramos est chargé de l'enquête.
Peu à peu les couleurs subtiles de chacun des tableaux se mêlent, on apprend que Filipe et Jaime se connaissent, que le mort à voyagé aux Açores, à Cancun et à Cuba. Son père a signalé sa disparition : «Horacio Alves Lopes, je crois que c’est le père. C’est le père, parce que la déclaration a été faite par le père. Donc, ce type est relativement important. Le père est celui qui a déposé la plainte, il est lié au gouvernement, tout au moins il est bien placé.» (Page 63)
Les autorités tiennent à ce que Jaime Ramos prenne l’enquête en charge même si Regua ne fait pas partie de sa zone d’activité. Quand il s’en étonne, le commissaire lui répond : « Non ça n’a rien de politique. Mais c’est une question de relations publiques avec un ministère, inspecteur.» (Page 75)
L'enquête le mène sur les trace de Luísa Paulos et Maria Amélia Lobo Correia, deux danseuses topless qui tournent dans plusieurs villes du Portugal. «Topless à une heure, nu intégral à trois heures. Je fais le travail pour deux.» (Page 83)
Sur fond de trafic international, que Jaime Ramos va mettre à jour, l'histoire raconte également la dérive des deux filles parties à la recherche du succès, le traumatisme de la société portugaise qui, après la révolution des oeillets, revient peu à peu à la normale, contrainte par les lois économiques. Les désillusions sont trop fortes pour certains, insupportables. La morale apparaît comme la grande perdante. D’ex communistes deviennent hommes d’affaires, d’autres se perdent à essayer de maîtriser des codes sociaux qu’ils ne comprennent pas. La force du récit est de mêler, l’affaire policière, politico-mafieuse, et une simple et abjecte tentative de domination sexuelle des deux stripteaseuses en mal de succès par des hommes arrivés, protégés par leur position sociale, et assurés de leur impunité.
Roman déroutant, mais roman passionnant, un ciel trop bleu joue avec les codes du roman policier en les rendant lusitaniens.
«La fille qui est là, celle là, Miss Kitty, elle est morte.»
C’est l’autre qui le regarda cette fois, mais d’un air amusé.
«Allons, mon vieux. Elle est peut-être morte pour vous...
Chacun à ses problèmes. Mais c’est bien celle-là qui était ici et qui nous a dit qu’elle quittait le Portugal. Et elle est encore revenue hier pour prendre les sacs d’une fille qui partait avec elle. Un bon contrat, à ce qu’il paraît.. Ces nanas, on n’a pas de nouvelles et un jour on les voit débarquer pour dire qu’elles partent au Mexique ! et allez ! dans une endroit touristique...Elles disent que c’est mieux qu’ici ! pas étonnant !» (Page 517)
Jaime Ramos, n’est jamais en mal de compassion, mais ce qui l’aide à vivre c’est sa croyance dans la réalité du monde qui l’entoure :
« Il n'y avait pas grand-chose en quoi Jaime Ramos crût autant, bien qu'il n'en parlât jamais, qu'en l'éclat orangé de la fin d'après-midi, presque irréel, se posant lentement sur la ville et installant la pénombre dans chaque rue. Cela lui rappelait une chanson populaire des années 1950.» (Page 69)
Le polar portugais : à découvrir absolument.
Je laisse la conclusion à Yann Plougastel du Monde des livres :
« On a longtemps cru que la littérature policière s'écrivait à l'encre rouge et noire. Francisco José Viegas y a mis le mauve de l'horizon, l'écume de la mer et le jaune du soleil. Comment reconnaît-on un de ses romans ? Une phrase suffit. Une phrase qui parle, à la fois, d'un ciel trop bleu, du geste d'une femme dans son sommeil, d'un cigare Cohiba ou H. de Cabañas y Carbajal fumé au soleil couchant, d'une île lorsque le dernier bateau a levé l'ancre, de l'odeur de poisson grillé et du bruit des conversations s'échappant d'un restaurant en bord de plage.» (Article cité)
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