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EAN : 9782712215439
213 pages
Editions Médiaspaul (21/01/2021)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
Avec cet ouvrage, Patrick Llored, un spécialiste de cette question à renommée internationale, nous introduit dans la présentation la plus actuelle de l'éthique animale contemporaine, replongeant dans ses racines et son histoire pour mieux expliciter les différentes manières d'aborder ce sujet. L'intérêt pour l'écologie et la préservation du vivant ravive actuellement l'intérêt pour l'éthique animale.
Or, la question animale n'est pas une question comme les au... >Voir plus
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Le petit essai de Patrick Llored, une éthique animale pour le XXIème siècle, se veut une réflexion chrétienne sur la question animale, principalement basée sur l'oeuvre de Saint-François d'Assise. Paradoxalement dirais-je, ce penseur n'est évoqué que dans certains chapitres. Il me semble que sur la question animale Llored s'inspire beaucoup plus de la réflexion initiée par Derrida, dont il est un spécialiste.





Déconstruire l'anthropocentrisme chrétien



Le premier chapitre invite à la reconnaissance d'une responsabilité particulière de la religion dans les violences qui frappent les animaux. Llored présente la religion chrétienne comme la source de l'anthropocentrisme moderne. La religion chrétienne, mais aussi les religions musulmane et juive, ont en effet développé un anthropocentrisme caractérisé.

Dans la Génèse (9, 1-6), Dieu déclare en effet aux humains : « … toutes les bêtes de la terre, aux oiseaux, aux petits animaux et aux poissons ; ils sont à votre entière disposition. »

Ce point est développé par l'auteur qui lui adjoint une intéressante réflexion sur le problème du sacrifice animal.



Deux questions orientent la réflexion de l'auteur :

Est-il possible de délester les religions de l'anthropocentrisme ?

Peut-on sortir de l'anthropocentrisme chrétien tout en s'appuyant sur des ressources chrétiennes ?



Pourquoi faudrait-il en passer par la religion ? Je note ici que l'auteur tend à réduire l'anthropocentrisme à la seule religion chrétienne. Point sur lequel j'aurais quelques réserves. L'anthropocentrisme est-il un phénomène religieux, propre au christianisme, ou lui est-il antérieur ? Cette question n'est pas clarifiée dans cet essai.



Pour autant, l'auteur affirme qu'une critique religieuse est nécessaire pour nous défaire de cet anthropocentrisme car, s'appuyant sur la thèse de l'historien médiéviste Lynn Towsend White Jr, il estime que la crise environnementale actuelle est due à une sorte de jonction entre l'anthropocentrisme chrétien et le rationalisme techniciste de la modernité.



« En effet, l'éthique animale apparaît comme étant bien la grande victime à la fois d'une théologie excessivement 'rationaliste' et d'un positivisme 'techniciste' qui sont devenus complices de son exclusion contemporaine du monde » (p58).



Dans son livre sur Les racines historiques de notre crise écologique [lien externe], Lynn Towsend White Jr affirme en effet que le christianisme a provoqué un « désenchantement du monde » et ouvert la voie à un matérialisme peu soucieux de la nature ou de la vie animale.

Selon Patrick Lllored, cette thèse « établit un lien causal explicite entre la crise écologique et le christianisme contre un point de vue largement répandu selon lequel il y aurait une différence absolue entre la rationalité scientifique et technique d'une part et la religion chrétienne d'autre part » (p76).



En décrétant l'homme comme « non seulement le centre mais surtout le maître de la création », le christianisme peut être tenu comme un accélérateur du processus de divinisation de l'homme et donc du rejet de tous les autres vivants dans le domaine de l'accessoire, ou pire, de l'utilitaire.



Toujours selon White, il est peu probable que la science offre des solutions. Celle-ci fait plutôt partie du problème, « tout simplement parce que ce savoir techno-scientifique n'est pas en mesure d'accepter en lui plus de modestie, de maîtrise et d'humilité » (p77). Il y a là une personnification d'un problème qui n'est pas sans risque de brouiller plus que d'expliciter les choses. Quoiqu'il en soit, Patrick Llored jugeant illusoire d'attendre des solutions de la science, préconise donc de se tourner vers la religion : « il s'agit d'être capable de trouver un solution du côté de notre relation à la religion ».





Saint-François d'Assise



Au fil de l'ouvrage, l'auteur évoque trois moments emblématiques de la vie du Saint où il fut confronté à la vie animale.



L'épisode le plus connu est celui de sa rencontre avec le fameux loup de Gubbio. Un loup féroce terrorisait la population de Gubbio, ville italienne. Aussi, Saint François d'Assise se porte au devant de l'animal. Malgré la peur que pourrait provoquer une telle situation, le Saint choisit de s'approcher et, faisant le signe de la croix, le loup ni ne fuit ni ne l'attaque. Il semble écouter. S'ensuit une exhortation à la paix entre le loup et les habitants de Gubbio. Chacun doit pardonner l'offense de l'autre, afin de pouvoir vivre en paix. le loup n'attaquera plus et les habitants le nourriront.



L'autre épisode emblématique est le prêche aux oiseaux. Saint-François d'Assise s'approchant des oiseaux, ceux-ci ne s'envolent pas et se laissent toucher. le Saint s'adresse à eux « comme s'ils avaient part à la raison » et cette sentence peut résumer son propos : « Oiseaux mes frères, vous devez beaucoup louer et aimer votre créateur ».



Enfin, Saint François d'Assise s'est également élevé contre la vente d'un agneau. Un paysan portait un agneau se débattant. Pris de pitié pour l'agneau, le Saint accoste la paysan pour en savoir plus. le paysan déclare vouloir se séparer de l'animal, le vendre au marché car il est pauvre. Saint-François d'Assise lui rachète l'agneau puis lui restitue en lui faisant promettre de ne plus lui nuire.



De ces épisodes, on peut retenir que Saint-François d'Assise semble refuser de nier la raison animale. Dans le récit du prêche aux oiseaux, le terme de raison prend une importance particulière : il revient au moins trois fois dans le texte. On peut effectivement y voir un rejet de l'anthropocentrisme et du logocentrisme (Derrida). En estimant les oiseaux dignes d'admirer leur créateur, à l'égal de l'homme, Saint-François d'Assise reconnaît une égalité de considération morale et rationnelle aux animaux. Il en va de même lorsqu'il prêche la paix aussi bien auprès du loup qu'auprès des humains.

L'épisode de l'agneau va encore un peu plus loin puisqu'il semble exprimer un rejet de toute forme de propriété vis-à-vis de l'animal. Il y a comme une volonté de désappropriation que Llored reconnaît comme le fondement de la voie franciscaine.





L'éthique animale de Derrida



L'auteur fait aussi une large place à l'éthique animale de Derrida, dans laquelle il voit comme un écho au franciscanisme. Il rappelle que pour ce philosophe, auteur de L'animal que donc je suis, le sens du toucher joue un rôle fondamental dans la question animale.

Les légendes de Saint-François d'Assise ne sont effectivement pas sans faire écho à cela, lorsque par exemple le Saint frôle les oiseaux ou scelle le pacte avec le loup en lui tendant la main.

Dans l'éthique derridienne, la focalisation sur le toucher permet de déconstruire ce qu'il appelle le logocentrisme « en tant que celui-ci est une violente réduction de la vie à la pensée intellectuelle » (p133) ». de fait, le logos est réservé aux seuls hommes. Pour cette raison, Derrida développe le concept de carnophallogocentrisme. Déconstruction de nos partis pris reposant sur notre domination carnivore, domination du genre et enfin domination par la parole.

Le logocentrisme notamment consiste en une « réduction de la vie à la raison […] croyance selon laquelle tous les êtres qui ne disposent pas de la raison n'ont pas droit à une considération morale ni même politique » (p167).

Llored rappelle que cette même idéologie a exclu pendant des siècles les femmes, les enfants, les malades : « il nous faut insister sur le fait que pendant des siècles, cette notion si fondamentale de droits politiques et donc celle de citoyenneté qui lui est consubstantielle, a été réservé à une toute petite partie de l'humanité, les hommes blancs à l'exclusion de toutes les autres populations qui étaient animalisées » (p168).



Si on ne peut qu'être d'accord avec l'idée que le logocentrisme peut constituer une forme de préjugé dans le sens où cette conception retire toute valeur aux êtres vivants non doués de langage, la position derridienne me semble encore prêter le flanc à la critique que lui portait Étienne Bimbenet dans son essai : le complexe des trois singes (2017). Celui-ci signalait qu'il y avait là un risque de tomber dans le travers inverse en réduisant la vie à la seule faculté sensorielle. En insistant sur le primat de la sensibilité, (la sensibilité à la souffrance étant présumée qualité commune aux hommes et aux animaux), la plupart des éthiques animales, qui se sont pour la plupart fédérées autour de ce principe, postulent que l'homme est plus essentiellement vivant que rationnel, ou plus fondamentalement souffrant que parlant.

En voulant réduire l'homme et l'animal à la seule similitude pathique, l'éthique animale ne se rend pas compte que la reconnaissance morale qu'ils en espèrent reste proprement humaine. Cette éthique reste une intervention rationnelle, un mouvement qui ne peut jamais être initié par l'animal.

En réduisant le vivre-ensemble humain à une coexistence de vivants atomisés (de vivants souffrants), on ne se donne pas les moyens de comprendre comment une éthique animale serait possible.





Politisation de la cause animaliste



« Face à la situation catastrophique dans laquelle se trouve l'immense majorité des animaux, sauvages autant que domestiques, la thèse que nous aimerions défendre est que le moment est venu de rompre avec l'humanisme anthropocentrique » (p167).



Or, reconnaît Patrick Llored, cette rupture avec l'humanisme anthropocentrique est précisément le point de difficulté des mouvements animalistes : « ces mouvements s'écartent assez radicalement de ce qui a constitué historiquement le premier mouvement social issu de la société industrielle. de quoi s'écartent-ils assez profondément ? de rien de moins que de la défense des seuls intérêts proprement humains […] C'est la raison pour laquelle ces nouveaux mouvements sociaux non centrés sur l'humain rencontrent de grandes difficultés à s'inscrire dans les formes classiques de mobilisation » (p156).



Ces mobilisations ne trouvent pas d'écho dans les institutions politiques actuelles. Peut-être justement parce qu'elles les remettent en cause ou du moins en remettent en cause l'anthropocentrisme.



Or, pour l'auteur, il est évident que critiquer l'anthropocentrisme n'est pas renier l'humanisme : « si l'anthropocentrisme est un humanisme, sa déconstruction ne conduit en rien à un antihumanisme » (p56).





Patrick Llored évoque la proposition de Zoopolis (2011, W. Kymlicka & S. Donaldson [lien externe]) qui propose une théorie des droits politiques des animaux. Il s'agit d'octroyer des droits aux animaux, mais bien évidemment pas abstraitement, dans une égalité absolue, plutôt avec un traitement différent selon qu'il s'agit d'animaux sauvages, domestiques, ou liminaires (les « animaux humains » formant encore une autre catégorie). On insiste non sur une égalité de droit mais sur une égalité de considération.



« Si on prend au sérieux cette idée d'égalité politique et que l'on en tire toutes les conséquences vers un dépassement de tout anthropocentrisme, alors il nous incombe d'accepter l'idée inacceptable pour tout humanisme, même le moins anthropocentrique, selon laquelle seule une égalité de cette forme entre non humains et humains sera à même de sortir de la violence et de l'exploitation des animaux en vue de l'intérêt des hommes » (p183).





Un obstacle subsiste cependant, que Patrick Llored évoque expressément mais, je trouve, sans y répondre réellement. Il s'agit du problème de la propriété, du fait de considérer les animaux comme des biens meubles.

Le troisième récit – mettant en scène Saint-François d'Assise rachetant un agneau à un paysan et lui restituant non comme un bien à vendre mais un être vivant à protéger – avait commencé à aborder la question.

Cette considération de l'animal comme un être vivant n'est ni anodine, ni accidentelle. Elle s'intègre à une « éthique de la désappropriation » que Llored reconnaît comme un héritage du franciscanisme. Et, en effet, cette volonté de ne pas considérer l'animal comme un bien se retrouve explicitement dans 'la règle non bullata de 1221' (Il s'agit d'une règle sans bulle, c'est-à-dire qui n'a pas encore reçu le sceau officiel de l'approbation papale). En voici l'extrait, pour le moins explicite, que Patrick Llored met en avant :



« J'enjoins à tous mes frères, tant clercs que laïcs, qui vont par le monde ou qui demeurent dans les lieux, de n'avoir aucune bête en aucune manière, ni chez eux, ni chez autrui, ni d'aucune autre manière. Et qu'il ne leur soit pas licite d'aller à cheval, s'ils n'y sont pas contraint par la maladie ou par une grande nécessité. »



Si je n'irais pas jusqu'à parler de « droit de propriété déconstruit » (p191), comme le fait l'auteur en postulant que, dès lors que Saint François d'Assise s'est élevé contre la vente d'un agneau, le Saint a initié une véritable réflexion théorique contre l'usage économique de l'animal, on peut cependant y voir une indéniable volonté de considérer à égalité humains et animaux. On pourrait presque dire, anachroniquement, que Saint-François d'Assise se révèle quasiment un vegan avant l'heure dans le sens où non seulement il s'interdit de consommer de la viande, mais il s'insurge également contre les pratiques d'exploitation animale, y compris pour des choses non nécessairement violentes comme le transport.



De même, l'auteur me semble s'avancer un peu lorsqu'il croit voir dans la modernité un changement de cap possible. En effet, constatant la multiplication des relations humains/animaux par l'accroissement du nombre d'animaux domestiques, ou l'omniprésence des animaux dans nos vies modernes, il écrit : « les liens se transforment et les interactions laissent véritablement place à la prise en compte de l'autre. Mon hypothèse est qu'il s'agit d'une nouvelle étape historique de la domestication qui se produit en ce moment, marqué par la transformation du regard de l'homme sur l'animal du fait de notre plus grande proximité avec l'animal, et donc de la réduction de la distance entre l'animal et l'homme » (p105).



Du fait que l'homme côtoie de plus en plus d'animaux dans sa vie, peut-on en espérer une empathie plus grande ? Pour ma part, la multiplication des animaux domestiques ne révèle en rien un rapprochement humain/animal. Dans ces relations, l'animal reste le plus souvent un bien. le premier contact avec l'animal est un acte d'acquisition : on achète l'animal dans une animalerie comme on achète un bien (il faut nuancer bien sûr, car il est fréquent qu'on récupère un animal d'une portée imprévue par exemple). Mais la tendance actuelle à la domestications d'animaux autres que chiens et chats me paraît plus inquiétante que réconfortante. La multiplication des tentatives de domestications d'espèces sauvages (singes, tigres, araignées, renards, iguanes, serval, scorpions, etc.), acquis pour leur caractère ''exotique'' n'est qu'une extension du droit de propriété à la nature jusqu'ici préservée. On ne saurait en tout cas voir dans la multiplication de ces contacts un progrès pour la cause animale. Et si on voulait forcer un peu le trait, on pourrait évoquer le constat de Carnage, de Jean-Marc Gancille, qui démontre que la relation moderne des humains aux animaux relève plus du génocide que d'une quelconque empathie.



Pour autant, je ne crois pas l'auteur dupe : avec Derrida, il reconnaît que jusqu'ici l'identification avec les animaux se fait uniquement à titre privé (domestique). Il affirme la nécessité de dépasser cela et de politiser la question animale.



Sur ce thème de la propriété, l'auteur évoque le livre de Gary Francione, introduction aux droits des animaux (2015) dont la thèse semble être que tant que les animaux conservent un statut de propriété, le problème demeurera insoluble. Il est cependant regrettable qu'il botte rapidement en touche en disqualifiant la thèse de Francione sous prétexte qu'en suivant cette piste, la fin de l'exploitation animale entraînerait leur extinction. Cette étonnante affirmation n'est malheureusement pas étayée et explicitée par l'auteur dans cet essai. Peut-être le fait-il dans un autre ouvrage ?







Conclusion



En terminant cet ouvrage, on reste donc un peu sur sa faim. Outre qu'on ne voit pas réellement la nécessité d'en recourir à la religion, l'auteur ne donne pas la clé pour comprendre pourquoi et comment Saint-François d'Assise a pu se démarquer ainsi de l'anthropocentrisme chrétien.

L'impression d'ensemble est que l'on reste à la surface du personnage : on a les actes, certes marquants, de Saint-François d'Assise, et quelques citations indéniablement favorables à l'animal. Mais on ne peut savoir d'où vient cette position ? Quel cheminement intellectuel a amené Saint-François d'Assise à une prise de distance aussi nette envers l'anthropocentrisme chrétien ? Si on sait qu'aujourd'hui l'Église a consacré Saint-François d'Assise comme saint patron des écologistes, quelle fut sa réaction face à cette prise de position à l'époque ? A-t-elle tenter d'y répondre ? L'a-t-elle ignorer ? Ou persécuter ? On a sur ces points peu d'information dans ce petit essai.

Peut-être un ouvrage de synthèse exclusivement consacré à Saint-François d'Assise et son rapport aux animaux sera-t-il nécessaire ?
Lien : http://philo-analysis.over-b..
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