Je ne sais pas très bien depuis combien de temps je me suis intéressé aux œuvres d’art : il me semble que, grâce à mes parents, j’ai appris à distinguer une porte gothique d’avec une porte romane dans le moment même où je commençais à déchiffrer mon alphabet. Mais j’estime que je ne suis réellement devenu historien d’art que le jour, passablement tardif, où j’ai lu, dans une étude d’André Chastel sur les problèmes de l’histoire de l’art contemporaine et l’incertitude de ses méthodes, cette phrase : « L’Histoire de l’art est placée (aujourd’hui) devant le fait gênant, mais irrécusable, qu’elle est largement responsable de son objet. »
[Ces mots] ne pouvaient que frapper ceux de ma génération.
La génération dont je parle était arrivée à l’âge de raison pendant la guerre. Jour après jour, la radio annonçait : Nuremberg est en flammes, le vieux Dresde est rasé, les Mantegna des Eremitani sont réduits en poussière, Caen, ses hôtels et ses églises ne sont plus qu’un tas de ruines. J’ai moi-même, après une nuit blanche au fond d’un abri, vu s’effondrer dans le petit matin, murs après murs, à mesure qu’éclataient les bombes à retardement, une de nos cathédrales – celle même que Rodin disait l’échafaudage du ciel.
Jacques Thuillier, « Leçon inaugurale au Collège de France », vendredi 13 Janvier 1978
Jacques Thuillier : Poussin
A propos du livre de
Jacques THUILLIER "POUSSIN" dans la série "Grandes monographies" chez FLAMMARION,
Olivier BARROT raconte la vie du
peintreNicolas Poussin.