Chemins qui ne mènent nulle part
entre deux prés ,
que l'on dirait avec art
de leurs buts détournés ,
chemins qui souvent n'ont
devant eux rien d'autre en face
que le pur espace
et la saison.
Reste tranquille, si soudain
l'Ange à ta table se décide ;
efface doucement les quelques rides
que fait la nappe sous ton pain.
Tu offriras ta rude nourriture,
pour qu'il en goûte à son tour,
et qu'il soulève à la lèvre pure
un simple verre de tous les jours.
Après une journée de vent,
dans une paix infinie,
le soir se réconcilie
comme un docile amant.
Tout devient calme, clarté…
Mais à l’horizon s’étage,
éclairé et doré,
un beau bas-relief de nuages.
Puisque tout passe, faisons
la mélodie passagère;
celle qui nous désaltère,
aura de nous raison.
Chantons ce qui nous quitte
avec amour et art;
soyons plus vite
que le rapide départ.
Figure de femme, sur son sommeil
fermée, on dirait qu’elle goûte
quelque bruit à nul autre pareil
qui la remplit toute.
De son corps sonore qui dort
elle tire la jouissance
d’être un murmure encor
sous le regard du silence.
"L"heure grave"
Poème de Rainer Maria Rilke, chanté par Colette Magny