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EAN : 9782336006239
270 pages
Editions L'Harmattan (15/11/2012)
5/5   1 notes
Résumé :
Sous le régime de Vichy (1940-1945), 76 000 malades mentaux sont morts dans les hôpitaux psychiatriques français. Morts de faim.

Il y a peu, s'agissant des crimes commis le 17 octobre 1961, un ancien Premier ministre, François Fillon, déclarait en avoir assez « que tous les quinze jours, la France se découvre une nouvelle responsabilité, mette en avant sa culpabilité permanente. J'ai déjà été choqué des déclarations de la France responsable des crime... >Voir plus
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L'abandon à la mort … de 76 000 fous par le régime de Vichy est un essai, pamphlétaire, d'Armand Ajzenberg en réaction à L'Hécatombe des fous d'Isabelle von Buelzingsloewen paru en 2007. Si nul ne conteste plus aujourd'hui la surmortalité sans précédents due à la famine dans les hôpitaux psychiatriques français durant la seconde guerre mondiale, la responsabilité du régime vichyste n'est pas reconnue par tous, notamment par certains historiens, qui considèrent ce drame comme un concours de circonstances malheureuses. L'Hécatombe des fous a reçu les louanges de toute la presse, y compris celles de Rivarol, heureux de voir « Vichy enfin innocenté ». 76 000 malades mentaux sont décédés durant la période d'occupation. S'ils ne sont certes pas tous morts de faim, le chiffre officiel se situant entre 40 000 et 45 000 morts de faim, n'est qu'une estimation se basant sur des statistiques écartant les personnes âgées. Rien ne nous permet pourtant d'assurer avec certitude que ces derniers sont morts de vieillesse et non de faim. Armand Ajzenberg préfère, lui, parler de plusieurs dizaines de milliers, aucun chiffre fiable n'étant établi. Les malades mentaux français n'ont pas subi le même sort que les malades mentaux allemands, gazés massivement après un décret secret d'Hitler, Aktion 4. Nos malades, eux, ont « simplement été oubliés », la faute à pas de chance, la faute à la dureté de la guerre. Peut-être aussi un peu la faute d'une idéologie qui, sans être une idéologie d'Etat gravée dans le marbre, était une idéologie ambiante, marquée notamment par Alexis Carrel et son texte à succès mondial L'Homme, cet inconnu. La période est difficile pour tout le monde, on doit se contenter de tickets de rationnement dont les quantités sont nettement inférieures au minimum vital. Alors les Français « bricolent » et achètent au marché noir, il faut bien se nourrir si on veut survivre. On accorde des tickets supplémentaires aux hôpitaux généraux, restaurants d'entreprises mais rien pour les aliénés, grands laissés pour compte. Les directeurs d'établissements psychiatriques alertent, réclament des suppléments pour leurs malades qu'ils ne veulent plus regarder mourir, impuissants, mais Vichy fait la sourde oreille. « Il y a des malades plus intéressants que les vôtres » se voit répondre l'un d'entre eux. En mars 1942, une circulaire de la Direction de la Santé leur indique que si on leur accordait des suppléments, ce ne pourrait être qu'au détriment des enfants et des travailleurs. Et puis, en décembre 1942, la circulaire « Bonnafous » tombe du ciel. Elle accorde enfin les suppléments (en quantité insuffisante) réclamés depuis si longtemps. Pourquoi un tel revirement ? Selon Isabelle von Buelzingsloewen, Bonnafous, sensibilisé par son épouse, fille d'un célèbre aliéniste, en est à l'origine. Pour Armand Ajzenberg, la réalité est un peu moins idyllique, Bonnafous ne passe que très peu de temps avec sa femme qu'il délaisse pour sa maîtresse (peu de chances donc qu'elle l'ait influencé) mais il émet surtout l'hypothèse que ce revirement soudain pourrait tenir au Conseil technique de l'enfance déficiente et en danger moral porté par le gouvernement. Pour mener à bien ce projet, des psychiatres, dont certains font partie des directeurs d'hôpitaux psychiatriques qui tirent la sonnette d'alarme depuis longtemps déjà, sont appelés par Vichy qui a alors tout intérêt à leur accorder ce qu'ils demandent. Ce n'est certes là qu'une supposition mais qui tient la route. Quoi qu'il en soit, même si Vichy a fini par céder aux revendications, du moins partiellement, le temps perdu aura été fatal à beaucoup de malades et pour ceux qui avaient pu encore résister jusque-là, la carence était souvent telle qu'elle était souvent devenue irréversible, la mort était déjà là. Si on ne peut pas parler de génocide, on peut parler d'abandon, de « laissez les mourir » selon l'expression de l'auteur. A ce titre, Vichy est responsable de non-assistance à personnes en danger, notion qu'elle a créée. L'a-t-elle fait sciemment, guidée par un eugénisme délibéré (jamais écrit noir sur blanc) ou par un désintérêt involontaire ? Si ces questions restent sans réponse, on ne peut cependant s'empêcher de penser que cette surmortalité d'inutiles et d'asociaux a pu en arranger certains.
A la suite de son essai, Armand Ajzenberg publie le texte d'André Castelli, ancien infirmier de l'hôpital psychiatrique de Montdevergues (Vaucluse). Il a recueilli des témoignages, douloureux, d'anciens personnels de l'hôpital, le reste lui sera livré par les archives sauvées de la destruction. On découvre l'indicible ; des estomacs qui se creusent au fil des jours, des êtres humains qui n'ont plus d'humains que le nom, qui seraient prêts à avaler n'importe quoi, à l'affût de la moindre miette de pain. Ils ne sont plus que squelettes, affamés à un point qu'on ne saurait imaginer. le peu d'images du drame laissent apparaître des hommes et des femmes qu'on croirait sortis d'Auschwitz. Les attributions de charbon, elles aussi, sont insuffisantes. A Montdevergues, comme partout ailleurs dans les hôpitaux psychiatriques français, on a froid, on a faim, on meurt de maladies qui en découlent. Le personnel assiste, impuissant, à leur agonie massive et insupportable. Certains arrivent à s'évader, parfois avec la complicité du personnel qui essaie, tant bien que mal, de faire quelque chose. Montdevergues-Montfavet fut la dernière demeure de Camille Claudel où, tiraillée par la faim, elle a rendu son dernier soupir à l'âge de 78 ans.
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Comme l'indique Michaël Guyader au début de sa préface : « L'étude de la question de l'extravagante surmortalité à l'hôpital psychiatrique pendant la guerre ne saurait se comprendre autrement qu'à l'enseigne d'une étude attentive des conditions de l'oubli organisé des malades les plus fragiles par le régime de Vichy. Il ne peut raisonnablement se concevoir que cet oubli s'inscrive autrement que dans le programme de mise en ordre de la société dont témoignent le statut des juifs, la part prise par le gouvernement de Vichy dans l'extermination des juifs, la mise à l'écart des minorités, politiquement validée par l'engagement d'écrivains de renom dans l'élaboration du programme politique de Vichy et dont évidemment l'hécatombe des malades mentaux ne saurait être absente… »

Le préfacier ajoute aussi « Quel que soit le nom donné à cet épisode tragique de l'histoire de la folie elle est paradigmatique de la tendance des puissances dominantes et excluantes à désigner l'autre comme radicalement autre, étranger, porteur le plus généralement avili des fantasmes les plus éculés qu'il convient de convier dans le meilleur des cas à l'oubli et dans le pire à l'élimination organisée ».

Il conclut sur les politiques de bouc-émissaires et le refus du « traitement discriminatoire de certaines catégories de citoyens réduits aux actes commis par une infime minorité d'entre eux ».

Dans ce livre, Armand Ajzenberg revient sur les politiques de Vichy envers les malades mentaux. Ces politiques ne sauraient être comprises hors de l'emprise de l'idéologie eugéniste prégnante (et du rôle d'Alexis Carrel). L'auteur analyse non seulement les faits. Il recherche les responsabilités de ce « génocide doux ».

Et sur ce point, il se heurte à la corporation des historien-ne-s qui dédouanent, sous prétexte des difficultés de la guerre ou d'intentions non-proclamées, le gouvernement de la France de ses responsabilités.

De longs passages sont consacrés à remettre en cause les « histoires » ainsi écrites, les présentations mensongères des positions de l'auteur ou des auteur-e-s de la pétition Pour que douleur s'achève (2001), reproduit en annexe, les versions lisses de celles et ceux qui veulent refermer ce temps, ouvert bien tard… par des historiens étrangers (Robert O. Paxton).

L'auteur revient aussi sur Alexis Carrel, les batailles pour « débaptiser » les rues portant le nom de cet ignoble individu. (A quand une gigantesque plaque devant le « sacré-coeur de Montmartre » pour rappeler l'ignominie de l'église, de l'armée, de la république et enfin rendre hommage aux milliers de fusillé-e-s de la Commune).

Faut-il rappeler ici que « personne n'a été jugé pour non-assistance à personnes en danger ou extermination douce des fous. Pour ces dizaines de milliers de morts là, Justice reste à faire. Pas sous forme judiciaire, il est trop tard. Par reconnaissance des torts qui leur ont été faits, par l'inscription de ces faits dans l'histoire ».

Le débat ne saurait être cantonné à une imaginaire Histoire, à une fantasmée Science, il est bien politique.

Nous n'en avons pas fini ni avec la république colonisatrice, ni avec le « régime de Vichy », ni avec la guerre d'Indochine, ni avec celle d'Algérie, pour ne citer que quelques faits glorieux de la république française et de ses gouvernements successifs. Nous n'en avons pas fini avec les universitaires, historien-ne-s ou non, qui au nom d'une certaine scientificité, d'une certaine impartialité, voilent les vérités, couvrent les crimes, et construisent des analyses ne prenant pas en compte les rapports sociaux et les rapports de pouvoir.
Lien : http://entreleslignesentrele..
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Il y a 60 ans, dans la France occupée, débutait un drame. Il s’agit de la mort de dizaines de milliers d’êtres humains (40 000 de plus que n’en condamnait la mortalité ordinaire) : les fous enfermés dans les hôpitaux psychiatriques pendant la seconde Guerre mondiale. Le drame depuis est resté généralement ignoré, parce que tu. Son évocation est devenue un tabou.

Alors qu’en Allemagne le nazisme, suite à un décret secret de Hitler et préludant ainsi à d’autres exterminations, éliminait les fous dans des chambres à gaz, mais aussi par un traitement dit » de la faim « , en France, le gouvernement collaborateur de Vichy, sans loi ni décret, mais par l’application d’un mot d’ordre discret qui aurait pu être « laissez-les mourir », parvint à peu près au même résultat. « Il est difficile de faire obtenir à ces malades un supplément à la ration qui leur est octroyée, supplément qui ne pourrait être prélevé que sur les denrées attribuées aux éléments actifs de la population, en particulier aux enfants et aux travailleurs « , disait une circulaire de la Direction de la Santé datée du 3 mars 1942 en réponse à des médecins qui se plaignaient de ce que les hôpitaux psychiatriques souffraient « d’une défaveur générale auprès des pouvoirs publics ».

Le gouvernement de Pétain s’obstina ainsi à ne pas répondre à qui sollicitait pour les malades des hôpitaux psychiatriques ce qui était accordé à ceux des hôpitaux généraux : des suppléments alimentaires (et autres) de stricte survie. Résultat : une catastrophe chez les premiers, aucune surmortalité notable chez les seconds. On ne pouvait alors survivre, s’agissant des catégories de population enfermées, sans suppléments substantiels aux rations alimentaires, et ce moins que partout dans les établissements relevant d’une institution psychiatrique peu faite pour résister matériellement – moins d’un médecin pour 500 malades -, ni idéologiquement : « Considérant que le nombre des aliénés augmente dans des proportions alarmantes, qu’il n’est pas douteux que l’hérédité soit l’une des causes principales de cette déplorable progression, et estimant qu’il appartient aux Pouvoirs publics de prendre d’urgence des mesures tendant à préserver l’avenir de la race française, [la Commission] a l’honneur de demander à M. le ministre de la Santé publique de rechercher les moyens de faire pénétrer dans les familles françaises, en vue d’encourager la pratique de l’eugénisme volontaire, la notion de l’hérédité propagatrice des maladies mentales « , déclarait une motion adoptée le 8 juillet 1936 par la Commission de Surveillance des Asiles publics d’aliénés de la Seine.

L’année précédente, en 1935, le médecin eugéniste Alexis Carrel déplorait « l’effort naïf fait par les nations civilisées pour la conservation d’êtres inutiles et nuisibles ». Message superflu, on le sait, pour l’Allemagne de Hitler, mais bel encouragement pour l’État français de Vichy. C’est ainsi que put se perpétrer sans horreur et être justifié comme une opportunité l’abandon à la mort des malades mentaux en France. Ce scandale, après la guerre, en dépit de quelques voix résistantes, fut vite étouffé. L’affaire, exhumée en 1987 par la publication d’un ouvrage né de la thèse de médecine du Dr Max Lafont, L’Extermination douce, retomba encore, malgré ces » résistants », dans les oubliettes pour vérités dérangeantes. Pans de nuit et nuées de brouillard s’étendirent alors, de nouveau, sur elle.

La réticence tenace de Vichy à donner à une catégorie particulière de malades des suppléments alimentaires représentant 1,25 calorie (moins d’un gramme de pain) par Français et par jour est donc un fait établi, trahissant une conviction et une volonté : celle d’abandonner à la mort ces » déviants » particuliers qu’étaient les malades des hôpitaux psychiatriques. Lorsque, face aux protestations qui continuaient, une circulaire de décembre 1942 prévoit enfin quelques suppléments – les trois quarts de ceux qui seront des morts » en trop » le sont déjà -, la mesure s’avérera décalée, insuffisante et inefficace, et sera suivie, encore, d’une » surmortalité » de 10 000 individus.

Cette volonté d’abandon à la mort était le corrélât d’une idéologie intervenant alors avec la force d’un fait concret. S’il est entendu que l’idéologie n’est qu’un ensemble de représentations du monde et des rapports sociaux répondant à des intérêts dominants, il n’en reste pas moins que dans des conditions historiques aussi déterminées que l’étaient celles de l’assujettissement des élites vichystes au pouvoir et aux conceptions des vainqueurs, certains groupes d’individus ont pu agir sous sa dictée et, sans décrets exterminatoires, choisir très spontanément la façon la plus » économique » (l’expression est d’Alexis Carrel) de traiter un péril dont la source, déjà captive, était offerte à l’épuration derrière les murs des asiles : la faim, le froid, et les maladies qui alors, fatalement, en dérivent.

Un historien a retrouvé un échange épistolaire du printemps 1942 entre les médecins de l’hôpital psychiatrique de Saint-Égrève (Isère) et un fonctionnaire du Secrétariat d’État à la Santé (23 éme région sanitaire). A la demande insistante de suppléments (matières grasses et lait notamment) la réponse fut en substance la suivante : dites à vos médecins «

de faire un choix, non pas uniquement pour départager ceux qui peuvent encore être sauvés de ceux pour qui il est déjà trop tard, mais pour privilégier ceux qui ne sont pas trop atteints mentalement, les « récupérables » pour la société « (Samuel Odier). Aucun courrier similaire, marque d’une décision politique avouée, n’a été à ce jour retrouvé ailleurs. Cet exemple montre bien comment des individus – ici, un fonctionnaire – peuvent marcher d’une manière apparemment autonome, « à l’idéologie », et, sans qu’il soit besoin d’ordres venus « d’en haut « , devenir des exécuteurs d’inhumanités. L’oubli de la force concrète des idéologies, et de la réalité matérielle de ce qu’elles » font faire « , conduirait à ce qu’entrent dans l’histoire du temps présent, comme « morts sans intérêt », ceux qui durant la seconde Guerre étaient regardés comme des « malades sans intérêt « . « Il y a des malades plus intéressants que les vôtres « , avait été par exemple la réponse obtenue par un médecin-chef de l’Hôpital psychiatrique de Montdevergues-les-Roses (Avignon) qui signalait aux « autorités compétentes » la détresse de ses patients.

La conduite de la société à l’égard de ceux qu’elle regarde comme différents ou faibles est révélatrice de l’état de sa civilisation en chaque moment de son histoire. Idéologies, politiques, pratiques sociales (et psychiatriques) se retrouvent ainsi dans un ensemble cohérent caractérisant la structure d’une société où l’abandon des malades mentaux, en 1940, rejoint les procédures d’ » effacement » des juifs, des Tziganes et d’autres catégories de personnes placées en dehors ou en deçà des normes. Or ce qui condamne la » civilisation » de cette sinistre période condamnerait identiquement la nôtre à l’aube du nouveau millénaire si les « malades sans intérêt » d’hier étaient aujourd’hui maintenus dans leur condition de « morts sans intérêt « .

Le temps est désormais venu pour les plus hautes autorités de l’État français d’aujourd’hui de reconnaître les responsabilités de l’État français d’hier (celui de Vichy) dans ce désastre-là, comme elles l’ont fait pour d’autres désastres ayant frappé d’autres victimes. Il est temps aussi de faire entrer l’histoire de cette hécatombe dans les programmes et les manuels scolaires destinés aux élèves des Collèges et des Lycées, pour lesquels jusqu’ici elle n’a pas d’existence.

Nous demandons que soit reconnu par les plus hautes autorités françaises l’abandon à la mort, par l’État français de Vichy, des êtres humains enfermés dans les hôpitaux psychiatriques pendant la deuxième Guerre mondiale en France. Nous demandons que soient situées et analysées, en termes d’idéologie globale et de système politico-institutionnel, les responsabilités relatives à ces faits. Nous demandons que ceux-ci et la mention de leurs causes assignables soient inscrits dans les programmes et les manuels scolaires. Ainsi, après une amnésie presque générale concernant les conditions de cette immense agonie, le renouvellement de drames analogues sera, nous en sommes convaincus, rendu plus difficile.

Pour que… Plus jamais…
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Sous le régime de Vichy (1940-1945), 76 000 malades mentaux sont morts dans les hôpitaux psychiatriques français. Morts de faim.

Il y a peu, s’agissant des crimes commis le 17 octobre 1961, un ancien Premier ministre, François Fillon, déclarait en avoir assez « que tous les quinze jours, la France se découvre une nouvelle responsabilité, mette en avant sa culpabilité permanente. J’ai déjà été choqué des déclarations de la France responsable des crimes commis pendant l’Occupation sur son territoire… Au début, c’était le gouvernement de Vichy qui était responsable. Jacques Chirac est allé un peu plus loin en parlant d’État français ». Il reprenait en quelque sorte le propos d’Éric Conan et Henry Rousso de 1994 : « … que cesse ce rituel infantile consistant à s’indigner tous les six mois parce qu’un scoop révèle que des Français ont collaboré, ou que Vichy fut complice de la « Solution finale » », ou celui de Georges Pompidou en 1972 : « Allons-nous éternellement entretenir saignantes les plaies de nos désaccords nationaux ? Le moment n’est-il pas venu de jeter le voile… ? »

La cohésion nationale d’un peuple ne passe pas par cette idéologie de l’oubli. Il ne s’agit pas de jeter de l’huile sur le feu, mais la cohésion nationale passe par la reconnaissance des responsabilités des uns et des autres : collaborateurs et résistants, colonialistes et anticolonialistes. C’est ce que nous voulons aussi dire avec ce livre, L’Abandon à la mort…

Dans une tribune du Monde (26.07.2012), un journaliste (Thomas Wieder) énumérait les pièges de l’histoire attendant François Hollande : « … les critiques qui ont accompagné son hommage à Jules Ferry et son discours du Vél d’Hiv apparaîtront sans doute bien fades. D’ici à 2017, trois dossiers historico-mémoriels autrement plus délicats attendent en effet le chef de l’État. Le premier, par ordre croissant d’intensité, concerne la Grande Guerre, dont on célébrera le centenaire en 2014. [...] Autre dossier sensible : le génocide des Arméniens, dont le centenaire tombera en 2015 et dont M. Hollande s’est engagé à en pénaliser la négation. [...] Dernier dossier, enfin : la guerre d’Algérie. C’est à la fois le plus urgent et le plus explosif. »

Un historien (Henry Rousso, qui publia en 1994 Vichy, un passé qui ne passe pas) déclare, dans le même article : « Désormais, ce passé est passé : non pas qu’il soit oublié, mais parce qu’il a enfin trouvé sa place. » Faut-il rappeler la conclusion de son livre ? « Le devoir de mémoire donne-t-il le droit d’ouvrir un procès perpétuel à la génération de la guerre ? D’autant que, pour la nôtre, l’obsession du passé, de ce passé-là, n’est qu’un substitut aux urgences du présent. » Pour Henry Rousso aussi, la mort des 76 000 fous pendant la guerre est un non-événement ne méritant aucune attention mémorielle.

Dans cette analyse du journaliste, pas trace de cet autre dossier sensible : l’abandon à la mort par le régime de Vichy, le seul État français d’alors, des dizaines de milliers de fous (76 000 plus précisément). Oubli ou censure ? Ceci dans le même temps où le même État français arrêtait des juifs de France (76 000 également) et les chargeait dans des trains allant vers les camps de la mort.

« Il y a 60 ans, dans la France occupée, débutait un drame. Il s’agit de la mort de dizaines de milliers d’êtres humains (40 000 de plus que n’en condamnait la mortalité ordinaire) : les fous enfermés dans les hôpitaux psychiatriques pendant la Seconde Guerre mondiale. Le drame depuis est resté généralement ignoré, parce que tu. Son évocation est devenue un tabou. » Il s’agissait de la première phrase d’une pétition lancée en 2001 dont j’étais (Armand Ajzenberg) l’un des initiateurs avec Lucien Bonnafé et Patrick Tort.

« Le temps est désormais venu pour les plus hautes autorités de l’État français d’aujourd’hui de reconnaître les responsabilités de l’État français d’hier (celui de Vichy) dans ce désastre-là, comme elles l’ont fait pour d’autres désastres ayant frappé d’autres victimes. Il est temps aussi de faire entrer l’histoire de cette hécatombe dans les programmes et les manuels scolaires destinés aux élèves des collèges et des lycées, pour lesquels jusqu’ici elle n’a pas d’existence », ajoutait cette pétition.

Avec ce livre, L’Abandon à la mort…, nous sommes dans la continuation de l’esprit de la pétition citée. Dans celui-ci, il s’agit aussi de réagir à l’installation d’une certaine idéologie qui au nom d’une cohésion nationale tend à mettre sur le même pied, hier, à propos de Vichy, résistants et collaborateurs, aujourd’hui, à propos de l’Algérie, colonialistes et anticolonialistes.
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Rompre le silence sur ces histoires n'est pas assuré. Il suffit que les grands médias se taisent pour que soit niée l'extermination douce des fous sous Vichy. C'est en tout cas le plus sûr moyen pour que de telles "histoires" se renouvellent. Il y avait, hier, des malades plus intéressants que d'autres, des vies humaines plus utiles que d'autres. Est-on certain que ce n'est plus le cas aujourd'hui ?
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En cette fin d'année, les inhumations se font dans des conditions de plus en plus "expéditives". La dépouille de Mlle Claudel n'échappera pas à cette mise en terre réglée au plus pressé. Comme Mozart, la fosse commune sera son lieu de repos éternel. Qu'on ne s'étonne pas de l'absence de sépulture sur laquelle nombreux sont ceux qui voudraient aujourd'hui se recueillir : il en manque près de 2 000. Camille Claudel : le génie l'a exclue d'une société avide de moralité chrétienne et de normalité, l'asile l'a conservée trente années dans l'interdiction d'exprimer une folle passion de la terre et de la sculpture. Elle a été rendue à cette terre, les yeux fermés par cette douce torpeur qui envahissait les carences arrivées au terme du supportable.
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La conduite de la société à l'égard de ceux qu'elle regarde comme différents ou faibles est révélatrice de l'état de sa civilisation en chaque moment de son histoire. Idéologies, politiques, pratiques sociales (et psychiatriques) se retrouvent ainsi dans un ensemble cohérent caractérisant la structure d'une société où l'abandon des malades mentaux , en 1940, rejoint les procédures d'"effacement " des juifs, des Tziganes et d'autres catégories de personnes placées en dehors ou en deçà des normes. Or ce qui condamne la "civilisation" de cette sinistre période condamnerait identiquement la nôtre à l'aube du nouveau millénaire si les "malades sans intérêt" d'hier étaient aujourd'hui maintenus dans leur condition de "morts sans intérêt".
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