Le Manège est un bidonville circulaire de Buenos Aires, refuge des indigents et des cartoneros. Un jeune garçon de la classe moyenne souffrant de "cécité nocturne" et dont la seule occupation est de soulever de la fonte dans le gymnase du quartier est devenu le cheval de trait des chiffonniers. Par bonté d'âme, Maxi, géant inoffensif se plaît à charger les ballots et tirer les charrettes de fortune jusqu'aux portes de la Villa. Fasciné par ce lieu fait d'édifices précaires habités par une masse indistincte dont on ne connaît ni les noms ni les visages, il s'en approche chaque jour davantage. L'omniprésence de la lumière crochetée par les cartoneros qui brille "comme une gemme éclairée" est un spectacle dont il ne se lasse. Mais le bon géant est suivi par un monstre, Cabezas, flic du commissariat 38, que l'on peut percevoir comme un dangereux chasseur. Les habitants du bidonville, bien qu'invisibles, ont pris conscience de l'étrange maladie de Maxi, qui s'enhardit au risque de perdre conscience et lui ont fabriqué un lit à sa taille pour qu'il puisse s'y réfugier.
Thème récurrent dans la littérature latino -américaine, l'espace urbain est ici omniprésent, indissociable de l'action, remarquablement évoqué par
Cesar Aira, qui balaie d'un trait de plume les images stéréotypées. Oublions tout ce que nous avons lu auparavant sur les bidonvilles, la corruption, la violence et le trafic de drogue.
le Manège est une fable extraordinaire sur la barbarie et la civilisation qui met en scène un géant attiré par les lumières d'une ville dans la ville peuplée d'êtres chétifs et mal nourris que personne ne distingue à part celui qui d'ordinaire ne perçoit distinctement ni les hommes ni les choses et un monstre à l'affût. Comme Maxi, le lecteur se perd dans une temporalité confuse, celle du mystère de la Villa, fasciné par un jeu de miroirs, par cette même lumière qui danse sur les baraques et qui est la clé du roman. "Au-dessus de lui, les guirlandes d'ampoules disposées en cercles, en carrés, en triangles, en rangées, avec un dessin différent pour chaque rue. Il regardait autour de lui. A l'extérieur, les lumières blanches de l'avenue Bonorino; à l'intérieur, l'obscurité. Les profondeurs du coeur de la villa se perdaient dans les ombres, ce qui, ajouté au sommeil, le dissuadait d'aller plus avant. Surtout que ces ruelles n'allaient pas vers le centre, mais s'en éloignaient. Alors, il prenait le chemin du retour."
Le Manège est un ouvrage remarquable, une évocation singulière de l'espace et du temps, édité par
André Dimanche (Marseille), à qui l'on doit le génial
Respiration artificielle de
Piglia.