Pour financer ses études de physique,
Poul Anderson écrivait et vendait des nouvelles. Ouais. Il y en a qui font du baby-sitting ou vont bosser au McDonald's du coin. Et c'est en faisant ainsi qu'il a peaufiné son écriture, devenant l'un des maîtres incontestés de la science-fiction dans la seconde moitié du XXème siècle. Aujourd'hui, alors qu'il nous a quitté en 2001, on revient sur l'un de ses titres les plus connus, les plus réputés, monument sacré de la hard science.
Au XXIIIème siècle, l'Antarctique, la Lune et Mars ont été colonisées et l'humanité a déjà visité les système Alpha Centauri, Epsilon Eridani et s'apprête, au début du roman, à partir pour Beta Virginis. Ce sont des étoiles relativement proches de la nôtre. Concernant cette dernière, il gravite autour d'elle une planète que les astrophysiciens de l'univers du roman estiment habitable. Cinquante personnes, autant d'hommes que de femmes, embarquent à bord d'un vaisseau pour aller coloniser cette nouvelle planète. Bien que située à 32 années-lumières (il faut 32 ans à la lumière pour parcourir la distance qui nous sépare de l'autre étoile), le vaisseau devrait mettre 5 ans en temps propre pour y parvenir. le problème est qu'un incident majeur va avoir lieu, et le vaisseau et ses habitants se destinent alors à un
voyage cosmique et métaphysique.
Après avoir imaginé le trajet vers Mars et avoir colonisé notre belle voisine, il est temps de quitter notre système solaire et peut-être même l'Univers tel qu'on le connaît.
Tau Zéro n'est pas tant un roman de science-fiction qu'une illustration des relativités restreinte et générale, donc ça suppose de s'accrocher un peu plus que lors de la lecture des autres romans hard précédemment cités. En effet, si vous n'êtes pas à l'aise avec l'idée que le temps est relatif, qu'il est inter-dépendant de l'espace, vous aurez probablement du mal à accepter le réalisme du roman. Oui, je parle bien de réalisme en science-fiction ! Et contrairement à une idée reçue largement répandue, « réalisme » ne rime pas avec « réel », même s'il s'en approche le plus possible. Bien sûr, le roman est paru au début des années 1970, et depuis la physique a poussé ses connaissances, notamment grâce à des outils toujours plus perfectionnés, ce qui fait que certains aspects de
Tau Zéro sont devenus franchement improbables, pour ne pas dire faux.
Car le postulat du roman est quand même celui-ci : un vaisseau, avec cinquante personnes à son bord, parcourt 32 années-lumières en 5 ans de temps propre. En théorie relativiste, en effet, le temps n'est pas absolu et, très grossièrement, plus vous allez vite, plus le temps « se ralentit ». Quand je parle d'aller vite, je parle d'une vitesse proche de celle de la lumière.
Percutant à grande vitesse une petite nébuleuse large d'environ un milliard de kilomètres (pour comparer, notre système solaire fait à peu près 15 milliards de kilomètres de diamètre), le vaisseau est légèrement endommagé. Non seulement la décélération est inopérante, mais l'accélération continue de croître, si bien que le vaisseau finit par franchir quelques 300 millions d'années-lumières en 2 mois de temps propre τ et sa vitesse continue d'approcher celle de la lumière.
Une telle conception de la physique a un impact non-négligeable sur la psychologie et
Poul Anderson traite cet aspect-là d'une bonne façon, réaliste. Les personnages, qui constituent le haut sommet de l'intelligence humaine, comprennent petit à petit qu'ils ne pourront jamais plus revenir sur Terre, ni même dans la Voie Lactée, notre galaxie. Ils cherchent à tout prix un moyen d'arrêter d'accélérer voire de ralentir et de se trouver une planète autre que celle qu'ils visaient au départ. Dans un endroit clos, avec des forts caractères, la vie n'est pas toujours rose. Et bien qu'il y ait une cinquantaine de personnes à bord, seule une poignée d'entre eux est au centre de l'intrigue, et tous ont une identité propre.
Tau Zéro est une odyssée humaine, quelque peu utopiste (la moindre particule venant taper contre la carlingue du vaisseau à de très hautes vitesses dissout ce dernier sans sommation). Il relève plus de la docu-fiction, dans le sens où
Poul Anderson se permet de temps à autre d'interrompre le récit pour nous faire un cours de physique, et les scènes de fiction donnent parfois l'impression d'être là pour illustrer un propos. Cela dit, il s'enfonce beaucoup moins loin dans les considérations techniques que peut le faire
Stephen Baxter, et a un sens de la poésie qui le rapproche de
Kim Stanley Robinson.
Bref, si vous avez envie de passer un bon moment – l'écriture d'Anderson est fluide, simple, en dépit de quelques lourdeurs – et que vous aimez vous retourner la tête en pensant à l'immensité de notre univers, alors je vous conseille
Tau Zéro.