Amélie, elle m'a envoyé son dernier roman. Elle sait pourtant, et elle n'est pas la seule, que je suis pas fan de cette littérature à mi-chemin entre le blanc et le gris clair, voire gris foncé pour certains romans.
Elle sait aussi que je suis pas gentil tout le temps, mais il semblerait qu'elle ait même pas peur. Elle m'a même mis un gentil mot dedans, pour m'amadouer…
J'ai pas été amadoué du tout.
Je suis pas amadouable (me parle pas de néologisme, j'écris ce que je veux).
Le premier truc que tu remarques, d'abord, c'est que le roman commence à la page 391. D'accord, elle nous a pondu un manga. Ça promet. Autant j'ai une admiration sans borne pour
Masashi Tanaka et
Kentaro Miura, autant, chez Michel Lafon, j'étais pas sûr du truc…
Mais finalement, c'est pas un manga, c'est un effet de style.
Pas con, l'effet de style.
Elle est forte en effet de style,
Amélie Antoine.
T'as vu, j'ai rien dit du roman encore, et tu sais même pas si je l'ai aimé.
Je sais, c'est pénible.
Donc, ça s'appelle «
Les secrets ».
Dans
les secrets, il y a des mensonges. Les choses qu'on ne dit pas, qu'on préfère laisser de côté, celles auxquelles on préfère ne pas penser, peut-être.
Dans
les secrets, il y a aussi un peu de la mère et de l'enfant. Celui qu'elle espère, qu'elle attend parfois quelques semaines avant de le sentir tout au fond d'elle, avant que le père pose ses mains sur le ventre qui s'arrondit. Mais aussi, de temps en temps, l'enfant qui décide de faire attendre la mère plus longtemps qu'elle s'en croit capable, tellement longtemps qu'elle finit par ne plus penser qu'à ça, puis un jour, parfois, par ne plus y croire.
C'est un roman pour les mères, alors, tu vas me dire.
Ben ouais, forcément, mais aussi pour les pères, puisqu'ils font partie de l'équation. Qu'ils soient ceux qui élèvent, ou qu'ils soient ceux qui abandonnent, ceux qui espèrent être à la hauteur ou ceux qui fuient sans jamais se retourner, puis ceux qui font demi-tour et se laissent prendre par la main, malgré les peurs et les nuits sans sommeil.
Tu vas donc connaître la fin de l'histoire avant d'en apprendre le début, et c'est finalement quelque chose qui arrive souvent en littérature (Souviens-toi d'Elisabeth Brundage et de ses angles morts). Donc rien de très déstabilisant, contrairement à ce qu'en disent certains internetistes…
Juste un voyage dans le temps, même pas perturbé par la pagination, puisque comme moi, j'imagine que tu passes pas ton temps à regarder à quelle page tu en es…
Toutes les chroniques que j'ai pu lire (je te rajoute ça après avoir fini la mienne) parlent de ce roman au féminin. La relation à la maternité. C'est pénible. C'est pénible parce que les mecs qui vont lire ce genre de commentaires vont passer leur chemin, et à mon sens, ce serait une erreur.
Mathilde, elle veut un môme. Elle ne pense qu'à ça. Elle ne vit que pour ça, et toute sa vie tourne autour de ça. On en profite pour faire connaissance avec sa mère, et on va pas se mentir, elle m'a rappelé pourquoi les psys disent qu'il faut, à un moment donné, finir par tuer ses parents… C'est assez logique, même si le parricide n'est pas encore passé totalement dans les moeurs.
C'est aussi un roman sur le désir. le désir qui fabrique les enfants, mais aussi celui qui fabrique la relation amoureuse. Ce désir qui nous enferme parfois dans une cage dont on ne voit pas les barreaux. Ce désir qui nous cache celui ou celle qui nous fait face en nous laissant imaginer que le vide qu'on entrevoit n'est qu'une illusion, que notre vie est pleine de cet amour qu'on espère depuis l'enfance.
Un roman sur l'égoïsme, sur ces moments où nous ne pensons plus qu'à nous, où les autres finissent par disparaître derrière nos propres envies. Mathilde qui justifie cette avarice de sentiments par ce besoin irrépressible de maternité.
Une livre sur ce chemin hallucinant que certains couples empruntent pour se pencher sur un berceau ou sur le visage d'un enfant. Un chemin dont peut-être, comme moi, tu n'avais jamais imaginé les obstacles, les difficultés, les montagnes qu'il faut grimper pour mettre le pied dans la chambre du bout d'humanité que tu écoutes respirer.
Et puis sans doute un roman sur l'amour, mais en même temps, on n'est pas chez Harlequin, Amélie n'a pas encore franchi ce pas là…
En revanche, après « Quand on a que l'humour », j'ai imaginé que ce roman résonnait comme une suite à ces émotions perçues entre le père et le fils. Ces émotions cachées dans des secrets, et liées à ces deux voix qui nous racontaient leur histoire.
«
Les secrets », ce sont ceux de la maternité imposée par la vie, puis ceux de la maternité vécue comme une épreuve, et parfois comme un fardeau, tellement lourd à porter qu'il peut sacrifier une enfance.
Enfin, et c'est sans doute le sujet principal, cette maternité, voulue comme un horizon qui s'éloigne au fur et à mesure qu'on souhaite qu'il se rapproche.
Alors bien sûr qu'on est loin de ces romans noirs que je lis presque chaque jour.
Alors bien sûr qu'Amélie a peut-être eu un peu les chocottes en m'envoyant son dernier bébé…
Mais cette parenthèse m'a fait du bien. Elle m'a remis dans ce chemin qui nous impose l'intégrité si on veut que nos enfants soient fiers des adultes qui les aident à grandir.
Amélie se débrouille pour surprendre à chaque fois, et quant à moi, c'était pas gagné…
Bien joué.
Lien :
http://leslivresdelie.org