Comme vous êtes tous les mêmes ! Soyez donc bonne, intelligente et sincère ; évertuez-vous à vous rendre digne de votre maître futur ; préparez lui une compagne dévouée, un gardien fidèle de son honneur ; pauvres sottes ! Ce n'est rien de tout cela qui le touche ; c'est la nuance de vos cheveux ou la courbe de votre nez. Devenez coquettes, frivoles, égoïstes, son amour n'en diminuera pas, au contraire ; mais gardez-vous d'un cheveu blanc ou d'un grain de petite vérole, car tout votre bonheur s'écroulerait et votre mari vous dirait tranquillement : " J'en suis bien fâché ; il y a substitution de personne".
Mme DE VERLIERE
- Vous avez bien tort, mon pauvre Lancy, car je ne vous épouserai pas davantage. Le veuvage ne me pèse pas à ce point. Si vous voulez rester mon ami, bien ; sinon ...
M. DE LANCY
- Je le veux ! C'est déjà une commutation de peine.
Mme DE VERLIERE
- Je comprends. C'est Mme De Lancy que vous voulez installer dans mon appartement.
M. DE LANCY
- Vous l'avez dit.
Mme DE VERLIERE
- Je vous pardonne en faveur du motif, quoiqu'il soit bien pénible de déménager. Je suis bête d'habitude ; je me plaisais beaucoup ici, je l'avoue.
M. DE LANCY
- Qu'à cela ne tienne ; restez.
Mme DE VERLIERE
- Et Mme De Lancy ?
M. DE LANCY
- Elle s'y prêtera volontiers, pourvu ...
Mme DE VERLIERE
- Pourvu ?
M. DE LANCY
- Pourvu que vous changiez de nom.
Mme DE VERLIERE
- Comment l'entendez-vous ?
M. DE LANCY
- En cessant de vous appeler Mme De Verlière pour vous appeler Mme ...
Mme DE VERLIERE
- De Lancy ? Je crois, Dieu me pardonne que vous m'intentez une demande en mariage !
Ah ! Madame, pour un échappé des amours vénales, quelle ivresse dans la possession d'un cœur qui se donne en immolant tous ses devoirs ! Le malheur, c'est que je finissais par m'attacher au mari, le trouvant incomparablement plus honnête que la femme, et je reconnaissais alors qu'il n'y a pas un abîme entre celles qui nous trompent pour un autre et celles qui trompent un autre pour nous ...