«Après tout, qu’est-ce qu’un cyclone, sinon une immense tristesse qui n’arrive pas à se dire ?»
Un homme isolé dans sa maison assiste au déferlement progressif d’un ouragan. L’arrivée de cette tempête vient réveiller ses turbulences intérieures, liées au deuil d’un grand-père qu’il a «suivi au bord de la mort», et à des terreurs familiales évoquées pudiquement, comme un œil du cyclone qu’on ne pourrait atteindre.
«La tempête s’est renforcée d’heure en heure. L’image passe en boucle sur les chaînes. Elle est explicite. Nuages et vents se sont enroulés autour d’une turbine géante.
Une force aveugle s’est donné à elle-même un œil, qui regarde fixement. Des cernes l’auréolent déjà. […]
Celle-ci me bouleversera moins que le fantôme dont je n’ai parlé à personne.
Seul le vieil arbre devant les fenêtres de ma chambre aura été jusqu’ici mon confident.
Une turbulence d’une nature bien différente s’est formée en moi. Depuis des mois, presque chaque nuit, j’ai affaire à son œil terrible.»
Cet homme a pris l’habitude de confier les turbulences affleurant dans ses cauchemars à un vieil orme rouge, présence imposante à rassurante face à sa maison, arbre fort, fatigué et doux qu’il compare à Baku, cette chimère japonaise entre fauve et tapir qui dévore tous les rêves.
Tandis que l’œil du cyclone se rapproche, et que le vent forcit et tourne, l’homme comprend soudain que le vieil orme est menacé par la tempête, sans savoir comment mettre le grand corps de cet arbre à l’abri du vent.
La tempête qui menace l’arbre-bouclier de ses peurs libère un chagrin insondable et les tremblements d’une angoisse écrasante, dont le pouvoir de nuisance demeuré intact ressurgit avec le tumulte du vent.
L’ouverture d’une brèche intérieure qui fait ressurgir les absents était déjà le thème de son roman «Les irréguliers». Dans ce texte écrit pour le théâtre, créé au Festival Hors Limites en mars 2015, et à paraître en Janvier 2016 aux éditions Verdier, qui évoque le texte poétique et fort de Gabriel Josipovici, «Tout passe», Patrick Autréaux réussit à saisir, à nouveau, un instant de déséquilibre intérieur, le dévoilement pudique d’une souffrance intime.
Retrouvez cette note de lecture sur mon blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/12/25/note-de-lecture-le-grand-vivant-patrick-autreaux/
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Une jolie découverte pour moi qui ne connaissais pas cet auteur. le texte est juste magnifique et je serais curieuse de voir le spectacle. J'ai été vraiment touchée lors de ma lecture, l'auteur partageant des émotions très personnelles, intimes. Un coup de coeur.
Merci à Babelio et aux éditions Verdier qui m'ont fait ce cadeau lors de l'opération Masse Critique du 20 janvier.
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Je m'y suis reprise à deux fois pour lire cet ouvrage reçu dans le cadre d'une Masse Critique. le temps de comprendre que ce que j'avais en main était un texte à lire à haute voix (oui je sais, sur l'explicatif de l'éditeur, il était écrit "théâtre" mais je ne les lis jamais avant).
Un très beau texte, bref mais intense qui met en scène un homme enfermé durant une tempête. Il regarde un arbre, pilier du souvenir, image du grand-père disparu... Cette nuit s'étend et se détend du passé au présent et nous fait passer un beau moment de lecture fort et poétique.
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Et soudain, je comprends. Ce ne sont pas seulement ses branches qui s’agitent, mais les débris de mes cauchemars, de tous ceux qu’a dévorés Baku. Le ventre du mangeur de rêves a dû se crever. Les voici à l’assaut, fantômes libérés. Je sens leur férocité, leur rage. Crient-ils vengeance ? Se ruent-ils contre la maison pour trouver un refuge ?
Je ferme les yeux et je te vois, Baku. Gueule ouverte, tu te débats et tu vomis. Tu n‘as plus de visage. Seulement deux yeux affolés. Tu ne peux rien faire pour les retenir. Ils déferlent.
Après tout, qu'est-ce qu'un cyclone, sinon une immense tristesse qui n'arrive pas à se dire ?
Des souvenirs.
Oui, appelons ça des souvenirs.
On vit sur des déchets. On l'ignore. Des relents nauséabonds filtrent pourtant, mais on l'ignore. Et quand on creuse, on se découvre en équilibre sur une décharge.
Les mauvais rêves sont des lassos.
Quand on ne peut rien faire pour détourner le péril, que nous reste-t-il, sinon demeurer aux côtés de ceux qui nous sont chers ?
Patrick Autréaux - Les irréguliers .Patrick Autréaux vous présente son ouvrage "Les irréguliers" aux éditions Gallimard. Rentrée littéraire 2015. http://www.mollat.com/livres/autreaux-patrick-les-irreguliers-9782070147618.html